De notre envoyé spécial à Angoulême
Charlie est à Angoulême. Partout. Où que le visiteur pose les yeux, il se retrouve nez à nez avec le désormais célèbre « Je suis Charlie », qu’il soit imprimé sur une feuille A4 ou sur une banderole de deux mètres de large. Mais le journal satirique ne se contente pas d’une présence sur les murs et les estrades. Les organisateurs ont choisi de lui remettre un prix spécial. Ce n’est pas une première, mais celui-ci a une saveur particulière.
« Le grand prix spécial du 42e Festival est remis à Charlie Hebdo, pour que le souvenir du travail de tous les contributeurs de ce titre essentiel de la presse française reste dans les mémoires, en hommage aux dessinateurs assassinés et à leur nécessaire combat pour la liberté d’expression », clame le communiqué du Festival.
#FIBD2015 remise du Grand Prix et du Grand Prix spécial remis à Charlie Hebdo. pic.twitter.com/deEvLdor7o
— Le Fauve d’Angoulême (@actudufauve) 29 Janvier 2015
C’est dans une salle de la Mairie que s’est tenue la cérémonie d’hommage. En même temps que celle de la remise des prix du jury du Festival, à quelques centaines de mètres seulement dans le Théâtre ultra-moderne de la ville. Pas le même univers, comme pour marquer le côté symbolique de cette récompense : une salle qui ne ferait pas tache dans un château de la Renaissance, un sol rouge uniforme vivement éclairé par un trio de lustres imposants. Au milieu de tout ça, un « Je suis Charlie » trônant au dessus de l’estrade.
« Être Charlie ce n’est pas transformer en héros des satiristes dont l’activité était de ch… sur le pouvoir »
Le maire d’Angoulême a pris la parole brièvement pour présenter ce prix, celui de la « liberté d’expression », puis ce fut le tour de Jean-Christophe Menu, auteur et éditeur indépendant, proche de Charlie Hebdo et chargé par les survivants de les représenter au Festival. Sur son t‑shirt frappé du nom du journal, une caricature de Cabu représentant Jacques Chirac et Lionel Jospin. « Être Charlie, c’est n’avoir rien à branler », a‑t-il lancé en guise d’introduction avant de poursuivre :
« C’est la meilleure réponse à faire à leur mémoire. Être Charlie c’est ne pas faire sonner les cloches de Notre-Dame pour des anticléricaux, être Charlie ce n’est pas transformer en héros des satiristes dont l’activité principale était de ch… sur le pouvoir. Je suis Charlie a fait sortir quatre millions de personnes dans la rue, des gens qui, dans leur grande majorité, ne connaissaient pas Charlie Hebdo mais qui n’ont pas accepté que l’on puisse être buté pour des idées et des dessins. »
« Je voulais faire un discours politique, nous a confié Jean-Christophe Menu quelques minutes après la fin de la cérémonie. Il y a trois jours, Luz m’a appelé pour me dire : ‘on n’ira pas à Angoulême, c’est pour toi’. J’aurai pu le faire de mille autres façons, j’aurais pu faire chanter les gens par exemple, mais il fallait un discours carré. Je l’ai réécrit quinze fois, je n’ai pas dormi depuis trois jours. »
Le Festival d’Angoulême n’en est qu’à son premier jour, mais il est déjà, et restera Charlie jusqu’à dimanche soir, jour de la clôture. L’hommage rendu jeudi a donné le ton et le représentant de Charlie dans la Charente en a rajouté un peu plus avant de quitter la salle, doigt tendu vers le plafond : « Charb, Cabu, Tignous, Wolinski, vous étiez tous athées, mais moi je sais que vous êtes là. »
Photo : La salle de la mairie d’Angoulême ornée du slogan “Je suis Charlie” (Florian Maussion / 3millions7.com)