Culture, Monde

Prix américain décerné à “Charlie Hebdo” : les acteurs de la polémique

L'hebdomadaire est récompensé mardi aux Etats-Unis pour sa lutte en faveur de la liberté d'expression. Mais cette distinction ne fait, cependant, pas l'unanimité.

Char­lie Heb­do reçoit mar­di 5 mai le PEN/Toni and James C. Goodale Free­dom of Expres­sion Courage Award de l’organisation PEN Amer­i­can Cen­ter. Ce prix récom­pense l’hebdomadaire français pour son com­bat en faveur de la lib­erté d’expression.

Cepen­dant, de nom­breux auteurs ne sont pas de cet avis. L’écrivain Peter Carey a évo­qué l’« arro­gance cul­turelle de la France ».

Pourquoi Charlie Hebdo est-il récompensé ?

Le « PEN/Toni and James C. Goodale Free Expres­sion Courage Award » récom­pense, cette année, l’hebdomadaire français « pour son courage devant l’une des plus graves remis­es en cause de la lib­erté d’expression de l’histoire récente. C’est le rôle des satiristes de défi­er les puis­sants, de repouss­er les lim­ites pour que l’expression soit plus libre et forte pour tout le monde ».

Pourquoi ce prix provoque-t-il une polémique ?

L’annonce avait été faite le 25 mars. Char­lie Heb­do doit recevoir, en mai, le PEN/Toni and James C. Goodale Free­dom of Expres­sion Courage Award de l’organisation PEN Amer­i­can Cen­ter. Une poignée de médias relayent, alors, l’in­for­ma­tion. En France comme aux Etats-Unis. Ce n’est qu’un mois plus tard, le 24 avril, que ce prix sort de son anony­mat. Six auteurs, mem­bres de PEN, s’opposent à la déci­sion prise par leur asso­ci­a­tion. Ils ne par­ticiper­ont pas à la céré­monie organ­isée le 5 mai. Peter Carey est l’un d’entre eux. Ce lau­réat, à deux repris­es, du Book­er Prize dénonce, dans le Times, un « appar­ent aveu­gle­ment du PEN vis-à-vis de l’ar­ro­gance cul­turelle de la France ».

La réponse est cinglante. Salman Rushdie, l’an­cien prési­dent du PEN, traite ses con­frères de « lâch­es » (« pussies »), sur Twitter.

Aujour­d’hui, le nom­bre d’op­posant s’est gar­ni. 204 mem­bres de PEN ont annon­cé boy­cotter la céré­monie. Par­mi eux, des écrivains comme Joyce Car­ol Oates, Junot Diaz et Rus­sell Banks. Ils accusent notam­ment Char­lie Heb­do, dans une let­tre pub­liée dans The Inter­cept, de ridi­culis­er « une par­tie de cette pop­u­la­tion française déjà mar­gin­al­isée et ren­due vic­time. »

Qu’est-ce que le PEN American Center ?

C’est la branche améri­caine de l’International PEN. Cette insti­tu­tion non-gou­verne­men­tale se présente comme la plus grande organ­i­sa­tion inter­na­tionale de lit­téra­ture au monde. Son orig­ine remonte à 1921. La Pre­mière guerre mon­di­ale est fraîche­ment ancrée dans la mémoire col­lec­tive. Les fon­da­teurs de l’International PEN ont alors l’idée de pro­mou­voir les échanges entre auteurs du monde entier. Leurs objec­tifs étaient multiples :

  • met­tre en avant le rôle de la lit­téra­ture pour mieux com­pren­dre l’autre
  • militer pour la lib­erté d’expression
  • être le porte-voix d’auteurs empris­on­nés et assas­s­inés pour leurs pris­es de positions

Aujourd’hui, 144 cen­tres de l’International PEN sont présents dans 101 pays. Des écrivains, mais égale­ment des jour­nal­istes, tra­duc­teurs et his­to­riens peu­vent adhér­er à cette asso­ci­a­tion. Chaque branche pos­sède son pro­pre fonc­tion­nement. Out­re-Atlan­tique, le PEN Amer­i­can Cen­ter pro­pose, par exem­ple, un fond d’urgence des­tiné aux écrivains en dif­fi­culté finan­cière. Le cen­tre français de l’International PEN remet, quant à lui, un Prix de la cri­tique remis chaque année.

A quelle occasion ce prix sera décerné ?

Cette récom­pense sera remis à Char­lie Heb­do à l’occasion du PEN World Voic­es Fes­ti­val. Cet événe­ment, organ­isé chaque année par le PEN Amer­i­can Cen­ter, célèbre la lib­erté d’expression. Du 4 au 10 mai, la 11e édi­tion de ce rassem­ble­ment réu­nit, à New-York, 100 auteurs de 30 pays dif­férents autour du thème de l’Afrique.

Avant de recevoir sa récom­pense mar­di, Char­lie Heb­do par­ticipera à un débat sur les thèmes de la lib­erté d’expression en France et en Europe et du rôle de la satire dans une société. Gérard Biard, rédac­teur en chef, et Jean-Bap­tiste Thoret, jour­nal­iste ciné­ma, représen­teront l’heb­do­madaire français lors de cet échange.

Et ce sera lors d’un gala, organ­isé en fin de journée out­re-Atlan­tique, que sera remis ce trophée des mains d’Alain Mabanck­ou. Face au tol­lé général, cet écrivain fran­co-con­go­lais avait écrit une tri­bune pour défendre Char­lie Heb­do. « L’ar­ro­gance — je dirais l’im­per­ti­nence ou l’in­so­lence intel­lectuelle — est dans la nature française, et il n’y a pas de France sans arro­gance », avait-il écrit dans L’Express. Emu par cette prise de posi­tion, le PEN Amer­i­can Cen­ter avait ensuite décidé de l’inviter à remet­tre ce prix.

Crédit pho­to : flickr.com/carloszgz/