“Un coup de canif dans la laïcité”. C’est en ces termes que le directeur académique des services de l’Education nationale des Ardennes, Patrice Dutot, a qualifié le port d’une jupe longue par une jeune élève de confession musulmane de 15 ans. Pour la principale du collège, Maryse Dubois, qui a interdit l’entrée en classe à la jeune fille, le caractère religieux de la jupe longue “est manifeste”.
De son côté, Sarah K. n’a jamais caché sa religion. Elle avait pris l’habitude de retirer son voile avant d’entrer dans l’enceinte du collège, en respect de la loi en vigueur depuis 2004, et dit ne pas comprendre comment sa jupe a pu poser problème.
Avis d’experts à l’appui, nous avons tenté de comprendre comment une jupe longue a pu mener à une telle décision, assumée encore ce jeudi matin par le ministère de l’Education nationale.
Une interprétation stricte de la loi du 15 mars 2004
Que dit la loi, précisément ? La loi n°2004–228 du 15 mars 2004 dispose que “dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit”.
Cette loi est complétée par la circulaire n°2004–084 du 18 mai 2004 qui rappelle que “les signes et tenues qui sont interdits sont ceux dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive”. La même circulaire déclare que cette loi “ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des signes religieux discrets. Elle n’interdit pas les accessoires et les tenues qui sont portés communément par des élèves en dehors de toute signification religieuse”.
Une jupe, étant un vêtement “communément portée” par n’importe quel élève, quelques soient ses convictions, de nombreux soutiens à la jeune fille estime qu’il ne s’agit pas d’un signe d’appartenance religieux ostentatoire.
“Ce n’est pas aux autorités de savoir ce que pense l’élève”
Le rapporteur général de l’observatoire de la laicité auprès du Premier ministre, Nicolas Cadène, joint par téléphone, nous explique “qu’une jupe portée par une musulmane ne peut pas être considérée comme un signe religieux car, avant tout, la direction de l’école n’a pas à savoir la confession de l’élève”.
Ainsi, quand bien même l’élève attribuerait une valeur religieuse au vêtement porté, une jupe longue en l’espèce, ça ne regarde que lui. “On n’a pas à demander quelle valeur l’élève donne à un vêtement, ce n’est pas aux autorités de savoir ce que pense l’élève”, affirme Nicolas Cadène.
“Si on commence à s’attaquer aux jupes on ne s’en sort pas.
Selon lui, il faut uniquement s’en référer à des éléments objectifs. S’il y a un fait religieux (le port d’une croix, d’une kippa ou d’un voile) ou un comportement social problématique (prosélytisme ou refus de se soumettre à certaines règles de l’établissement scolaire en invoquant sa religion), il peut y avoir, dans ces cas-là, une sanction après une phase de dialogue.
Ainsi, “la loi interdit à un élève de se prévaloir du caractère religieux qu’il attacherait à la tenue pour refuser de se conformer aux règles applicables qui permettent d’assurer le bon fonctionnement des cours et de l’établissement, continue Nicolas Cadène. En clair : refuser d’avoir une tenue adaptée aux cours d’EPS ou de SVT”. C’est donc le comportement de l’élève qui doit être observé et non sa tenue vestimentaire. “Si on commence à s’attaquer aux jupes on ne s’en sort pas. Ce sont des modes vestimentaires, point”, conclut Nicolas Cadène.
Provocation groupée, selon le rectorat
Mais le sujet s’avère en réalité un peu plus complexe. Le 16 avril, Sarah s’est présentée au collège accompagnée d’un groupe de jeunes filles. Toutes portaient une jupe longue, selon les services académiques, qui évoque un geste en réaction à un incident récent lié à l’interdiction du port du voile au sein de l’établissement. Cette “provocation assumée” aurait motivée la décision de toute l’équipe éducative, “inspecteurs et rectorat compris”, de leur interdire l’accès en classe, et non au collège dans son ensemble.
Le rectorat de l’académie de Reims précise qu’aucune règle n’interdit « par principe » le port de jupes longues. C’est le contexte qui explique cette décision. A la suite de cet incident, une sensibilisation à la laïcité a été effectuée dans chaque classe, avec un « rappel de la charte de la laïcité » ainsi qu’une « explication sur ce qui est ostentatoire et ce qui ne l’est pas ». Le rectorat indique par ailleurs qu’aucune mesure d’exclusion de l’établissement n’a été envisagée.
La vague notion de signe religieux
Le sociologue Jean Baubérot, historien et auteur du livre “La laïcité falsifiée” paru en 2012, estime que “l’école récolte ce qu’elle a semé”. A l’époque du vote de la loi sur le port de signes religieux à l’école, les membres de la commissions sur la laïcité, appelée “Stasi”, avaient fait remarquer que n’importe quoi pouvait être interprété comme un signe religieux. “Le risque était d’entrer dans le jeu stupide du chat et de la souris, soupçonnant sans cesse les élèves”, explique le sociologue.
Pour éviter cet écueil, une liste des signes religieux ostentatoires a été établie, limitée au voile islamique, à la kippa et aux croix de dimensions manifestement excessives. Pour lui, “la circulaire a rendu les choses plus confuses”.
Ce mercredi, la mère de la jeune Sarah a indiqué qu’elle demandera à sa fille de se conformer aux directives de l’Education nationale. “On ne cherche pas de problème”, assure-t-elle. “C’est une jupe simple sans signe particulier, ce n’est pas religieux mais si l’école refuse que ma fille la porte en cours, elle ne la mettra pas”. Un geste d’apaisement qui permettra de calmer la vive polémique née de cette affaire.