Culture, Sécurité, Terrorisme

DGSE : à quoi ressemble la vie de nos espions français ?

La diffusion de la nouvelle série événement de Canal+, Le Bureau des Légendes, créée par Eric Rochant, ravive les fantasmes sur le métier de nos espions français. Au risque de briser un mythe, la vie de ces officiers ressemble le plus souvent à celle de "Mr Tout-le-Monde". Nous avons passé au crible quatre idées reçues.

 

Oubliez James Bond. Oubliez le smok­ing, les Aston Mar­tin et les James Bond girls. Nos officiers de ren­seigne­ment issus de la Direc­tion générale de la sécu­rité extérieure (DGSE) sont loin de la fig­ure de l’a­gent 007, née sous la plume du Bri­tan­nique Ian Fleming.

Le mys­tère qui entoure leur pro­fes­sion laisse le champ libre à l’imag­i­na­tion des écrivains, des réal­isa­teurs et de leurs scé­nar­istes. Des block­busters améri­cains aux comédies français­es, les fan­tasmes les plus fous cir­cu­lent sous les yeux, par­fois agacés, des prin­ci­paux con­cernés. Dans Le Bureau des Légen­des, la nou­velle série événe­ment de Canal+, l’au­teur Eric Rochant tord le cou aux clichés et plonge dans la réal­ité des agents de renseignement.

Nous avons inter­rogé un ancien offici­er des ser­vices de ren­seigne­ment pour ten­ter de démêler le vrai du faux.

Capture d’écran 2015-04-29 à 16.58.32Vous avez dit espion ? Agent?

 

“Non, nous ne sommes ni des espi­ons ni des agents”, explique un ancien offici­er de la DGSE, qui tient à garder son anony­mat. Ce terme employé dans la majorité des pro­duc­tions ciné­matographiques agace dans la pro­fes­sion. Cer­tains sont même très pointilleux sur l’in­ti­t­ulé de leur poste.

D’un côté, il y a les agents et de l’autre, les officiers de ren­seigne­ment. Les agents n’ap­par­ti­en­nent pas au ser­vice de ren­seigne­ment. Présents sur le ter­rain, ce sont eux qui four­nissent des infor­ma­tions aux officiers dits “trai­tants”, qui les ont au préal­able recrutés.

Ne fan­tas­mons pas, la DGSE est comme une grosse entre­prise, nous ren­con­trons les mêmes soucis admin­is­trat­ifs que tous les employés en France

Les officiers de ren­seigne­ment ont eux le statut de fonc­tion­naires d’é­tat. Ils peu­vent être mil­i­taires ou de sim­ples civils. Ces derniers sont rat­tachés à l’un des deux ser­vices de ren­seigne­ment français, la DGSI (anci­en­nement DCRI) et la DGSE. Leur mis­sion: pro­téger la France de toute attaque intérieure pour la pre­mière, et de toute attaque extérieure pour la seconde.

“Ne fan­tas­mons pas, la DGSE est comme une grosse entre­prise, insiste l’ex-offici­er, nous ren­con­trons les mêmes soucis admin­is­trat­ifs que tous les employés en France”. Batailler pour des notes de frais avec le ser­vice compt­abil­ité, faire face à des coupures d’élec­tric­ité, manger à la can­tine, tel est le quo­ti­di­en de la plu­part des officiers du 141 boule­vard Morti­er (XXe arrondissement).

Capture d’écran 2015-04-29 à 18.18.46Un métier à sensation ?

 

Faux. Un bon nom­bre d’en­tre eux ne par­tent jamais sur le ter­rain. Par­mi les 6000 per­son­nes employées, seule une élite est habil­itée et surtout entraînée à par­tir en mis­sion afin de recruter des agents, observ­er, filer …

“C’est un méti­er dont est fier, insiste l’an­cien offici­er, mais il faut être con­scient des réal­ités”. La plu­part du temps, les officiers tra­vail­lent der­rière un bureau. Leur méti­er n’en est pas moins impor­tant : ils sont ana­lystes, cryp­to-math­é­mati­ciens, pro­gram­meurs, ingénieurs ou tra­duc­teurs. Ils sont au cœur du sys­tème. Au siège parisien, ils inter­ceptent, décryptent et analy­sent les com­mu­ni­ca­tions ou les rap­ports remis par les officiers trai­tants avec qui ils sont en liai­son permanente.

Capture d’écran 2015-04-29 à 20.57.57Un monde d’hommes?

 

Encore faux. Loin du fan­tasme de la James Bond girl ou des “hiron­delles” du KGB qui couchaient avec l’en­ne­mi afin de soutir­er des infor­ma­tions à leurs amants, les femmes se sont imposées comme de vraies pro­fes­sion­nelles du ren­seigne­ment pen­dant la Sec­onde guerre mondiale.

Ici, la photographie de Dominique Prieur et d'Alain Mafart, alias Mr et Mme Turenge. Ils sont à l'origine de l'Affaire du Raimbow Warrior.
Ici, la pho­togra­phie de Dominique Prieur et d’Alain Mafart, alias Mr et Mme Turenge. Ils sont à l’o­rig­ine de l’Af­faire du Rain­bow Warrior.

Depuis la démil­i­tari­sa­tion de la DGSE dans les années 1980, le nom­bre de femmes a triplé. En 2013, elles étaient 26%. La plus illus­tre d’en­tre elles reste Dominique Prieur : elle fut la pre­mière femme inté­grée au ser­vice action de la DGSE, l’u­nité mil­i­taire en charge des opéra­tions clan­des­tines et notam­ment anti-ter­ror­istes. Avec Alain Mafart, ils for­mèrent le célèbre faux cou­ple Turenge, impliqué dans le sab­o­tage du “Rain­bow War­rior”, navire de Green­peace, en 1995, ayant entraîné la mort d’un photographe.

Capture d’écran 2015-04-29 à 21.35.05 Un milieu inaccessible ?

 

Plus de qua­tre mois après les atten­tats con­tre Char­lie Hebdo,les can­di­da­tures afflu­ent tou­jours au cen­tre de la DGSE. Par émo­tion, par patri­o­tisme, les deman­des ont triplées. Dans une entre­vue accordée au JDD, le directeur adjoint de l’ad­min­is­tra­tion de la DGSE affir­mait qu’a­vant le 7 jan­vi­er, “on rece­vait une trentaine de can­di­da­ture par jour con­tre aujour­d’hui env­i­ron une centaine.”.

Et cet engoue­ment pour la pro­fes­sion se mesure con­crète­ment. En moins d’une décen­nie, les effec­tifs de la DGSE ont aug­men­té de plus de 20%. 434 emplois sup­plé­men­taires sont prévus suite au vote de la loi sur la pro­gram­ma­tion mil­i­taire 2014–2019. Sans oubli­er les 185 postes annon­cés par le Pre­mier min­istre, Manuel Valls après les atten­tats de Paris.

Siège de la DGSE, 141 boulevard Mortier dans le XXe arrondissement de Paris. Plus de 6000 officiers y travaillent.
Siège de la DGSE, 141 boule­vard Morti­er dans le XXe arrondisse­ment de Paris. Plus de 6000 officiers y travaillent.

Mais le pro­fil du can­di­dat recher­ché est bien par­ti­c­uli­er. Tout le monde ne peut pré­ten­dre à entr­er dans le saint des saints du ren­seigne­ment français. Aujour­d’hui, la DGSE recherche des per­son­nes aux com­pé­tences spé­ci­fiques telles des ana­lystes en con­tre-ter­ror­isme, des cryp­to-math­é­mati­ciens et des ingénieurs.

Mais les plus impa­tients doivent le com­pren­dre : le par­cours reste long et dif­fi­cile avant de pou­voir inté­gr­er l’équipe de l’of­fici­er Mal­otru, le per­son­nage prin­ci­pal de la série Le Bureau des Légendes.