Politique, Sécurité, Terrorisme

La loi sur le renseignement en 3 points

Jugée liberticide par certains, elle est désormais entre les mains du Conseil constitutionnel qui doit juger de sa conformité suite à la saisine, historique, du chef de l’Etat.

Des atten­tats de jan­vi­er à la cyber-attaque de TV5, les ser­vices de ren­seigne­ments français sont de plus en plus sol­lic­ités. C’est dans ce con­texte ten­du que la loi de ren­seigne­ment adop­tée par l’Assemblée Nationale a vu le jour. Jugée lib­er­ti­cide par cer­tains, elle est désor­mais entre les mains du Con­seil con­sti­tu­tion­nel qui doit juger de sa con­for­mité suite à la sai­sine, his­torique, du chef de l’Etat.

Pourquoi cette loi ?

Réécrite dans l’urgence après les atten­tats sanglants con­tre Char­lie Heb­do, la loi sur le ren­seigne­ment vise à lut­ter con­tre l’explosion des cyber-attaques recen­sées par le min­istère de l’Intérieur. Au mois de jan­vi­er, plus de 1 300 attaques ont été revendiquées par des hack­ers agis­sant au nom d’organisations islamistes. La plate­forme gou­verne­men­tale Pharos a traité plus de 25 000 sig­nale­ments de con­tenus illicites.

La France est l’une des dernières démoc­ra­ties à ne pas avoir de cadre juridique sur les pra­tiques de ses ser­vices de ren­seigne­ment. La nou­velle loi a pour objec­tif de pren­dre en compte les nou­veaux moyens de com­mu­ni­ca­tion (web, réseaux soci­aux, télé­phones porta­bles), en délim­i­tant les raisons pour lesquelles les ser­vices de ren­seigne­ments sont amenés à sur­veiller quelqu’un et en légal­isant les tech­niques de col­lectes de don­nées sur Inter­net jusqu’à présent absentes des textes.

Les cinq mesures phare

La pose de micros et de caméras désor­mais autorisée. Le pro­jet de loi pro­pose des moyens jusque-là unique­ment autorisés aux ser­vices de police, dans le cadre d’instructions judi­ci­aires. Le texte prévoit ain­si le “recours à des appareils enreg­is­trant les paroles et les images de per­son­nes ou à des logi­ciels cap­tant les don­nées informatiques”.

Deux appareils reti­en­nent notam­ment l’attention : les key­log­gers, des logi­ciels pirates per­me­t­tant de capter ce qu’écrit un util­isa­teur, et les IMSI-catch­ers, des appareils inter­cep­tant les com­mu­ni­ca­tions sur télé­phone mobile dans un périmètre donné.

Si les écoutes clas­siques peu­vent dur­er jusqu’à qua­tre mois, ces nou­velles pra­tiques sont lim­itées à soix­ante jours. Les écoutes peu­vent être archivées un mois, les don­nées de con­nex­ion cinq ans, et le reste un an.

Une CNIL du ren­seigne­ment. La Com­mis­sion nationale de con­trôle des tech­niques de ren­seigne­ment (CNCTR) devra être saisie pour toute demande de ren­seigne­ment. Cet organe sera com­posée de 13 mem­bres : 3 députés, 3 séna­teurs, 3 mag­is­trats du Con­seil d’E­tat, 3 mag­is­trats de la Cour de cas­sa­tion et une per­son­nal­ité qual­i­fiée, qui sera a pri­ori un mem­bre de l’Au­torité de régu­la­tion des com­mu­ni­ca­tions élec­tron­iques et des poste (Arcep).

La CNCTR ne donne qu’un avis con­sul­tatif. Le Pre­mier min­istre peut out­repass­er ses recom­man­da­tions. Néan­moins, la com­mis­sion, sorte de CNIL du ren­seigne­ment, peut saisir, en dernier recours, le Con­seil d’Etat.

Le ren­seigne­ment : une nou­velle poli­tique publique. Peuvent désor­mais jus­ti­fi­er une sur­veil­lance “l’indépen­dance nationale”, “l’in­tégrité du ter­ri­toire, “la défense nationale”, “la préven­tion du ter­ror­isme”, ou encore “la crim­i­nal­ité et la délin­quance organ­isées”.

Des “boîtes noires” seront instal­lées chez les opéra­teurs. Ces logi­ciels classés secret défense, auront accès aux méta­don­nées de chaque inter­naute. Pages con­sultées, heure et durée de con­nex­ion pour­ront être passées au crible par les ser­vices de renseignement.

Le pro­jet de loi prévoit que les inter­mé­di­aires tech­niques (plate­forme, hébergeur…) « détectent, par un traite­ment automa­tique, une suc­ces­sion sus­pecte de don­nées de con­nex­ion » (par exem­ple des con­nex­ions à des pages web), en fonc­tion d’instructions trans­mis­es par les enquê­teurs. L’anonymat doit être préservé, sauf en cas de men­ace ter­ror­iste avérée.

Un recours pour les citoyens. Toute per­son­ne qui soupçonne une sur­veil­lance con­tre elle pour­ra saisir cette com­mis­sion, et, en sec­ond recours, une for­ma­tion spé­cial­isée du Con­seil d’E­tat. Il devra démon­tr­er un “intérêt à agir”, même s’il sem­ble dif­fi­cile pour un citoyen de se pencher sur des activ­ités secrètes.

Les principales critiques

Le texte sus­cite de nom­breuses cri­tiques de la part d’associations et des par­tis poli­tiques. Europe Ecolo­gie-Les Verts a dénon­cé un pro­jet de loi “dan­gereux pour la démoc­ra­tie et la citoyen­neté”. Le défenseur des droits, Jacques Toubon, s’inquiète de pos­si­bles abus dans la mise en œuvre d’une loi dont le champs d’application est “trop large”. 

La sur­veil­lance des infra­struc­tures, par le biais des boîtes noires est par­ti­c­ulière­ment dénon­cée par les hébergeurs Inter­net. Cinq hébergeurs de don­nées infor­ma­tiques français dont les deux prin­ci­paux OVH et Gan­di ont, dans un com­mu­niqué, men­acé de délo­calis­er leurs activ­ités pour ne pas per­dre leur clien­tèle. Les sociétés protes­tent con­tre la cap­ta­tion en temps réel des don­nées de con­nex­ion  et leur analyse par les ser­vices de renseignement.

Pour ras­sur­er sur ses inten­tions, Bernard Cazeneuve a dévoilé, mer­cre­di 22 avril, la créa­tion d’une plate­forme de “bonnes pra­tiques” élaborée avec les géants du web, comme Face­book, Google, Twit­ter, Apple ou encore Microsoft. La plate­forme prévoit la créa­tion d’un label per­me­t­tant le retrait rapi­de des con­tenus illicites, le ren­force­ment de la for­ma­tion des­tinée aux policiers et aux gen­darmes et la créa­tion d’un groupe de con­tact met­tant en rela­tion le min­istère de l’intérieur et les opéra­teurs Inter­net. Des mesures qui devraient per­me­t­tre de clar­i­fi­er et d’harmoniser le cadre de la lutte con­tre le cyber-terrorisme.

Cyril Simon et Olivia Villamy

Crédit pho­to : CC-BY-SA Sebas­ti­aan ter Burg