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Service civique : Ils ont testé la version belge

Le 3 mars dernier, dans qua­tre grands jour­naux nationaux belges, aus­si bien fran­coph­o­nes que wal­lons, une péti­tion récla­mait d’urgence le développe­ment du ser­vice civique par les pou­voirs publics. Signée par de nom­breux élus, cette péti­tion dépeint une Bel­gique soucieuse de « vivre ensem­ble » après les atten­tats de jan­vi­er,  et qui veut faire de son ser­vice civique, pour le moment encore en phase de test, un out­il d’intégration des jeunes.

Étu­di­ants, deman­deurs d’emploi ou jonglant entre petits boulots, ils sont une trentaine à avoir com­mencé en jan­vi­er 2015 un tra­vail un peu dif­férent avec le «ser­vice citoyen », son nom officiel.

« Y’a un peu de tout » par­mi les volon­taires, racon­te Dario, 23 ans. Des gens avec « des vécus pas faciles », et puis des diplômés en piano jazz au par­cours sco­laire impec­ca­ble, comme lui. Les chiffres de l’an­née 2014 traduisent cette diver­sité : à Brux­elles, 67 % des jeunes sont deman­deurs d’emploi, ils vien­nent pour moitié de quartiers pop­u­laires de la cap­i­tale, et sont qua­si­ment à part égale diplômés de l’enseignement sec­ondaire et supérieur.

Loin des 170 000 volon­taires annuels visés par le ser­vice civique français, la ver­sion belge compte une cen­taine de jeunes chaque année en Flan­dre et en Wal­lonie, depuis son lance­ment en 2011. Moins payés que leurs con­frères français (200 euros au lieu de 573), les pio­nniers du ser­vice belge, cha­peautés par une asso­ci­a­tion sans but lucratif, com­posent les pre­mières pièces d’une généra­tion qui a envie d’aider.

Cer­tains ont tou­jours voulu « aider les autres », d’autres vien­nent au volon­tari­at par des chemins de tra­verse, à la recherche d’une voca­tion ou d’un trem­plin vers l’emploi. Por­traits de six jeunes volon­taires qui font ou ont fait leur ser­vice citoyen.

Pierre-Jean : Peintre et volontaire

À Brux­elles, dif­fi­cile d’y couper, Pierre-Jean, 25 ans, orig­i­naire d’un patelin du Nord de la France, est trahi par sa pointe d’ac­cent français. Il racon­te une jeunesse faite de voy­ages, voire de vagabondages, le long de l’Escaut en Flan­dre et en Wal­lonie. Il quitte sa famille à 16 ans pour Tour­nai, vit six mois sans toit, puis habite à Gand, où il apprend le fla­mand, avant de rejoin­dre l’é­cole des Beaux-Arts de Saint-Luc à Bruxelles.

“Très jeune, j’é­tais en échec sco­laire. Rester huit heures par jour assis sur une chaise, c’é­tait impos­si­ble. Je me suis réfugié dans la pein­ture.”

Pierre-Jean, 25 ans.
Pierre-Jean, 25 ans (Julie Car­ri­at / 3millions7)

À défaut d’un tra­vail à la sor­tie des Beaux-Arts, il suit une for­ma­tion de jar­dinier paysag­iste, sans accrocher. Alors pour son ser­vice citoyen, entamé en jan­vi­er, il tra­vaille dans un cen­tre de jour qui réu­nit per­son­nes hand­i­capées men­tales et artistes.

« Je m’oc­cupe sou­vent du même mon­sieur », racon­te t‑il en lis­sant sa barbe. « Il peint essen­tielle­ment des femmes nues et tombe par­fois dans des phas­es de pro­fonde tristesse. Comme il est un peu dif­fi­cile, quand je suis là ça laisse du temps aux édu­ca­teurs pour les activ­ités avec les autres. ». Cette barbe, c’est pour un autre tra­vail qu’il la laisse pouss­er : des ses­sions de mod­èle nu dans un ate­lier de sculp­ture. “Ça me donne un air grec”, pré­cise-t-il.

Comme en moyenne 67% des par­tic­i­pants en 2014, Pierre-Jean est deman­deur d’emploi. Un statut com­pat­i­ble avec le ser­vice citoyen, dont la com­pen­sa­tion finan­cière ne dépasse pas 200 euros par mois.

Ajmal : Réfugié au service des réfugiés

Dans un quarti­er calme du nord-ouest de Brux­elles, Ajmal, 24 ans tra­vaille dans un cen­tre d’ac­cueil pour réfugiés de la Croix-Rouge. Arrivé il y a trois ans, ce diplômé en sci­ences sociales né en Afghanistan a com­mencé son ser­vice citoyen depuis deux mois.

Et il con­naît bien les cen­tres pour réfugiés puisqu’il en a habité plusieurs : “Uccle, Gem­bloux, Liège, je les ai tous faits”, plaisante t‑il. “Je sais bien la vie des gens dans ces cen­tres, c’est plus facile pour moi de les aider”. Out­re les deux langues offi­cielles de l’Afghanistan, le dari et le pach­to, Ajmal par­le un anglais impec­ca­ble, fruit d’une édu­ca­tion au Pak­istan, et un français déjà per­fec­tion­né, même s’il préfère le néer­landais. Ces com­pé­tences en font un tra­duc­teur-inter­prète de choix au sein du centre.

Ajmal, 24 ans (Julie Car­ri­at / 3millions7)

Plus tard, il voudrait un vrai emploi “mieux payé”, comme son frère, arrivé en Bel­gique depuis plus longtemps et qui “s’en sort bien aujour­d’hui”. Mais le ser­vice citoyen, c’est un début.

Il se sou­vient de son périple pour arriv­er jusqu’en Bel­gique. Dans une his­toire “de ciné­ma” de son pro­pre aveu, il racon­te les jours où, de fils de bonne famille, il est devenu réfugié clan­des­tin, “quelqu’un qui doit mendi­er son pas­sage, sa nour­ri­t­ure, tout”.

Après une année entière cloîtré en Afghanistan, le départ, les passeurs, les liasses de bil­lets à la fron­tière turque, des allers-retours. Le jeune homme égrène une liste de sou­venirs dif­fus : « Moi qui n’avais presque jamais nagé, j’ai tra­ver­sé un fleuve, j’avais peur des ser­pents qui nageaient sous mes pieds. »

Il se sou­vient de l’étape ultime de son voy­age. Avant d’ar­riv­er en Bel­gique, à l’aéro­port d’Athènes, il porte une cas­quette « Greece » pour cacher son vis­age, his­toire d’éviter les regards, lui qui a emprun­té le passe­port d’un autre. Passé la douane, il attend l’embarquement et l’ultime véri­fi­ca­tion de ses papiers. Une enfant l’aborde, veut lui mon­tr­er ses jou­ets. Il sourit à la famille puis les rejoint dans la file d’attente. Au por­tique, les hôt­esses font un grand sourire à la famille de touristes belges de retour au pays. Sauf qu’Ajmal en retrou­ve une autre à son arrivée, la sienne.

Marie : “Avancer sans avoir quelqu’un derrière moi”

Ses cama­rades de pro­mo se relaient der­rière son fau­teuil roulant, mais ce n’est pas pour ça que Marie, 25 ans, ne fait pas tout toute seule. La jeune fille pèse ses mots quand elle dit qu’elle a envie d’a­vancer sans avoir tou­jours quelqu’un der­rière elle : elle vient de par­tir de chez ses par­ents pour aller habiter à Lou­vain-la-Neuve dans une mai­son partagée.

Marie
Marie et Pierre-Jean (Julie Car­ri­at / 3millions7)

Elle a décou­vert le ser­vice citoyen lors d’un pèleri­nage à Saint- Jacques de Com­postelle. Des volon­taires accom­pa­g­nent son groupe de ran­don­neurs hand­i­capés moteurs, et Marie « se fait remar­quer ». On lui pro­pose de pass­er du côté des volon­taires à la ren­trée 2014.

Le temps de se faire à sa nou­velle vie à Lou­vain-la-Neuve, elle décale le début de son ser­vice citoyen. Depuis jan­vi­er, sa pre­mière expéri­ence du bénévolat, elle la fait dans un foy­er pour étu­di­ants inter­na­tionaux. Cours de français ou aide admin­is­tra­tive, elle s’y sent utile, même si, elle avoue que les prob­lé­ma­tiques d’im­mi­gra­tion ne sont pas sa spécialité.

Marie, son truc, c’est plutôt l’art, la musique et la danse. Comme pour le ser­vice citoyen, elle rejette tran­quille­ment les obsta­cles que d’aucuns ver­raient dans son hand­i­cap et va danser les week-ends.

Florian, 21 ans et des avions en papier

Assis sur le lit bien fait de sa cham­bre étu­di­ante à Charleroi, Flo­ri­an 21 ans, tire sur une cig­a­rette. Il a fini le ser­vice citoyen depuis deux ans et fait une for­ma­tion pour devenir mécani­cien d’avions, « aérotechnicien ».

Chambre de Florian, Charleroi. Julie Carriat / 3millions7
Cham­bre de Flo­ri­an, Charleroi (Julie Car­ri­at / 3millions7)

Les avions, qu’il décline en pliages en papi­er sur le rebord de sa fenêtre, c’est sa pas­sion. C’est peut-être pour ça qu’au sor­tir du lycée, il a tardé à s’in­scrire dans un cur­sus général à l’u­ni­ver­sité. Le ser­vice citoyen a rem­pli son année vide de plusieurs pro­jets : faire des vidéos pour Télé Brux­elles, accom­pa­g­n­er des per­son­nes hand­i­capées moteur dans des fes­ti­vals et par­tir en Ital­ie pour un chantier de jeunes volontaires.

Cet appren­ti tech­ni­cien con­tin­ue à vivre bien entouré dans un foy­er étu­di­ant, mais ça lui fait des sou­venirs. Au moment d’être pris en pho­to, il indique avec soin le bâti­ment où ont lieu ses cours, his­toire de ne pas pos­er devant ceux d’à côté, en réfec­tion et dont la brique noir­cie ren­tre bien dans les clichés sur les villes désin­dus­tri­al­isées du Nord. À l’intérieur, un ate­lier de répa­ra­tion de pièces d’avion côtoie les salles de cours, et c’est finale­ment là qu’il prend la pose.

Florian, 21 ans. Julie Carriat / 3millions7
Flo­ri­an, 21 ans (Julie Car­ri­at / 3millions7)

Tathyana : « Avoir envie d’aider les gens »

Au nord de Charleroi, Tathyana, 26 ans, tra­vaille dans une école pri­maire. Elle a fait le ser­vice citoyen il y a deux ans, en même temps que ses études d’éducatrice, dans une mai­son de quarti­er où elle don­nait des cours d’alphabétisation et aidait dans les démarch­es administratives.

Tathyana, 26 ans. Julie Carriat / 3millions7
Tathyana, 26 ans (Julie Car­ri­at / 3millions7)

De son ser­vice, elle a des sou­venirs « super, aus­si bien pour s’ori­en­ter que pour ren­con­tr­er des gens ». Elle ajoute : « Il faut juste avoir envie d’aider les gens. Mais six mois c’est pas assez. On par­le sou­vent de décrochage sco­laire. Si on impose un ser­vice citoyen aux per­son­nes con­cernées, ça redonne l’en­vie aux jeunes. » L’envie, la jeune femme l’avait, « tou­jours intéressée par l’humanitaire, le social et l’éducation ». Mais selon elle, le ser­vice citoyen a ren­du plus facile la recherche d’emploi.

Pour nav­iguer entre les dif­férentes écoles, class­es et garderies de Charleroi où elle fait des rem­place­ments depuis sept mois, elle a obtenu son per­mis de con­duire pro­vi­soire. Ça lui per­met d’arpenter les routes de l’agglomération de Charleroi pour arriv­er à l’heure. « Ce qui me stresse, c’est la manière dont les gens se com­por­tent une fois qu’ils sont dans une voiture ! », dit-elle avant de pil­er à un rond-point.

Sur les con­seils de ses par­ents, avec lesquels elle habite, elle met de côté ses pre­mières paies pour l’avenir, et un appartement.

Laurent : Du monde des équations aux sans-abris

À 22 ans, Lau­rent a bien­tôt fini son ser­vice citoyen dans un cen­tre d’ac­cueil pour sans-abris. Après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur de l’Ecole Poly­tech­nique à l’u­ni­ver­sité de Lou­vain-la-Neuve, il voulait “pren­dre beau­coup de dis­tance par rap­port au monde des équa­tions”.

Laurent
Lau­rent, 22 ans (Julie Car­ri­at / 3millions7)

Le ser­vice citoyen lui aura per­mis de “se décou­vrir” puis d’en­chaîn­er sans atten­dre avec une recherche d’emploi dans le con­seil en infor­ma­tique, cos­tume cra­vate à l’appui.

Entre le foy­er de sans-abri et les jeunes du ser­vice citoyen, Lau­rent dit avoir gag­né en ouver­ture d’e­sprit. Lui qui avoue “avoir du mal à garder des accroches sociales fortes”, par­le du plaisir à dis­cuter avec des gens qu’il “n’au­rait jamais ren­con­trés sans le ser­vice citoyen”, per­son­nes à la rue ou tout juste sor­ties de prison. Et aus­si l’im­pres­sion de sor­tir de la “bulle de Lou­vain-la-Neuve”, ville cam­pus sor­tie de terre dans les années 1970.

Par­mi ses cama­rades, plus d’un jeune volon­taire brux­el­lois sur deux est étranger ou né de par­ents d’o­rig­ine étrangère. Une image exacte de la démo­gra­phie de la cap­i­tale belge. “Une richesse cul­turelle” à laque­lle Lau­rent dit être devenu plus sen­si­ble depuis le début de son service.

Lau­rent avait peur d’un tra­vail où on lui dise quoi faire. Main­tenant, il rel­a­tivise : “Je sais que je peux m’im­pos­er et pren­dre mes pro­pres ini­tia­tives, je l’ai fait pen­dant le ser­vice citoyen.”