Justice

Dieudonné, 12 ans de dérapages

Alors que le tribunal de Paris a interdit mercredi la vente du DVD du spectacle de Dieudonné "Le Mur", retour sur les polémiques qui ont jalonné le parcours de l'humoriste.

La scène prend place en 2003, sur le plateau de l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde. Affublé d’un treil­lis, d’une cagoule sur­mon­tée d’un cha­peau de Juif ortho­doxe et de papil­lotes, Dieudon­né M’bala M’bala inter­prète un sketch où il est ques­tion « d’un axe améri­cano-sion­iste ». L’humoriste con­clut son dis­cours avec cette phrase : « Israheil ».

Le show fait rire Jamel Deb­bouze, présent ce soir là. Beau­coup moins Marc-Olivi­er Fogiel, présen­ta­teur de l’émission. Cette per­for­mance provoque un tol­lé chez les asso­ci­a­tions de lutte con­tre l’antisémitisme et envoie Dieudon­né au tri­bunal, pour diffama­tion à car­ac­tère racial. C’est le pre­mier déra­page anti­sémite de l’artiste. Le point de rup­ture. Son image se brouille.

Avant cela, il est un humoriste fan­tasque et provo­ca­teur, unanime­ment recon­nu pour son tal­ent. L’ancien com­plice d’Élie Semoun récidive quelques mois plus tard, le 29 décem­bre 2003, à l’occasion d’un entre­tien accordé au mag­a­zine améri­cain The Source. Lors de cet inter­view il évoque un sup­posé lob­by juif à la tête des médias et accuse l’animateur de TF1, Arthur, de « financer de manière très active l’armée israéli­enne qui n’hésite pas à tuer des enfants ». Arthur porte plainte et M. M’bala M’bala est con­damné en 2006 à une amende de 3 600 euros pour diffamation.

Multiples controverses

Dès lors, le nom de Dieudon­né ne quitte plus la rubrique judi­ci­aire. Le 16 févri­er 2007, il est con­damné pour injure raciale con­tre les Juifs. En cause, un entre­tien accordé en 2002, au mag­a­zine Lyon Cap­i­tale, dans lequel il assim­i­le les Juifs à une « secte » et une « escro­querie ». Passé pro­gres­sive­ment du statut d’humoriste à celui de polémiste, sa parole se rad­i­calise. En 2004, il dérape à nou­veau en com­para­nt les Juifs à des « négri­ers ». « Ceux qui m’attaquent ont fondé des empires et des for­tunes sur la traite des Noirs et l’esclavage », déclare-t-il dans les colonnes du Jour­nal du Dimanche. Pour ces pro­pos, la jus­tice le con­damne le 15 novem­bre 2007, à 5 000 euros d’amende pour inci­ta­tion à la haine raciale.

De manière récur­rente, ses inter­ven­tions ont pour cible les Juifs et leur sup­posé main-mise sur le monde. Un dis­cours qui, à l’époque, com­mence à éloign­er cer­tains de ses prin­ci­paux sou­tiens tel Daniel Cohn-Ben­dit ou encore le rappeur Joey Starr. En févri­er 2005, à Alger, lors d’une con­férence de presse con­sacré à l’un de ses spec­ta­cles, le comé­di­en évoque la Shoah et la « pornogra­phie mémorielle » qu’elle con­stitue. Pour cela, il est con­damné en juin 2008, en appel, à 7 000 euros d’amende. Comique de répéti­tion : dans un entre­tien au quo­ti­di­en L’Union, en avril 2009, Dieudon­né qual­i­fi­ait les asso­ci­a­tions comme la Licra « d’associations mafieuses qui organ­isent la cen­sure, (…) qui nient tous les con­cepts du racisme, à part celui qui con­cerne les Juifs. En fait, ce ne sont que des officines israéli­ennes. » Le 31 décem­bre 2010, il est con­traint de pay­er une amende de 5 000 euros. Il reversera égale­ment 10 000 euros à la Licra.

La quenelle portée aux nues

C’est pen­dant cette péri­ode que se pop­u­larise le geste qui fera sa renom­mée : la quenelle. D’abord can­ton­né à ses spec­ta­cles, ce sym­bole de ral­liement à la cause de l’hu­moriste s’im­misce dans la sphère poli­tique lorsqu’il décide de se présen­ter aux élec­tions européennes en 2009. Sur l’af­fiche de cam­pagne de la liste anti­sion­iste, qu’il présente avec l’es­say­iste Alain Soral, on le voit mimer le geste de la quenelle qui con­siste à plac­er le bras ten­du vers le bas et à plac­er son autre main sur l’é­paule. Un genre de salut nazi détourné, ou de bras d’hon­neur mod­i­fié, selon les inter­pré­ta­tions. Dieudon­né, qui en revendique la pater­nité, la définit comme « un bras d’hon­neur déten­du » et « un geste de panache de courage et de foi » à l’en­con­tre du sys­tème. La « Dieu­dosphère » l’adopte et l’ex­pres­sion « gliss­er une quenelle » fait des émules dans toutes les strates de la société.

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Des pro­duits dérivés sont même com­mer­cial­isés alors que le gou­verne­ment con­damne fer­me­ment ce qu’il con­sid­ère comme un geste à car­ac­tère anti­sémite. Le 26 décem­bre 2008, Dieudon­né se pro­duit au Zénith de Paris où il inter­prète son spec­ta­cle J’ai fait le con. Sur scène, il fait remet­tre « le prix de l’infréquentabilité » à l’historien Robert Fau­ris­son, néga­tion­niste notoire et con­damné à plusieurs reprise pour ce délit. SOS Racisme, le MRAP ( Mou­ve­ment con­tre le racisme et la pour l’ami­tié entre les peu­ples ) et la Ligue des droits de l’homme por­tent l’affaire devant les tri­bunaux, qui con­damnent, encore une fois, M. M’bala M’bala à 10 000 euros pour injure à car­ac­tère raciste.

Apologie du terrorisme

Ses démêlés judi­ci­aires ne s’arrêtent pas là et pren­nent une ampleur nou­velle au cours des mois suiv­ants. Le 20 novem­bre 2013, l’humoriste est con­damné en appel à 28 000 euros d’amende pour provo­ca­tion à la haine raciale en rai­son de la teneur des pro­pos de sa chan­son “Shoah­nanas” , détourne­ment de la chan­son d’Annie Cordy “Chaud cacao”.

L’année suiv­ante, la jus­tice ordonne à Dieudon­né de retir­er deux pas­sages de sa vidéo postée sur YouTube : « 2014 sera l’année de la quenelle ». Dieudon­né y adres­sait des mes­sages à l’avocat Arno Klars­feld auquel il pro­po­sait de faire ren­con­tr­er Robert Fau­ris­son pour dis­cuter de cham­bres à gaz.

Fin décem­bre 2013, « Dieu­do » en appelle à ses sup­por­t­eurs a qui il demande de l’aider à régler sa dernière amende de 28 000 euros. Une démarche illé­gale : la loi inter­dit d’ouvrir ou d’annoncer publique­ment des souscrip­tions ayant pour objet d’indemniser des amendes pronon­cées par des con­damna­tions judi­ci­aires. L’humoriste doit s’acquitter de 6 000 euros d’amende supplémentaires.

Récem­ment, Dieudon­né a eu maille à par­tir avec le jour­nal­iste de France Inter, Patrick Cohen. Lors d’un spec­ta­cle, il lui adresse l’une de ses répliques : « Moi, quand je l’en­tends par­ler, Patrick Cohen, j’me dis, tu vois, les cham­bres à gaz… dom­mage… ». Ces pro­pos lui ont valu de com­para­ître mer­cre­di 28 jan­vi­er 2015 pour provo­ca­tion à la haine raciale. Le juge­ment à été mis en délibéré au 19 mars. La pro­cureure a req­uis trois cents jours amende à 100 euros, soit au total 30 000 euros, con­tre le polémiste. Cela veut dire que si le tri­bunal cor­rec­tion­nel de Paris suiv­ait ces réqui­si­tions, le polémiste con­tro­ver­sé devrait pay­er 30 000 euros d’a­mende au total ou à défaut aller en prison trois cents jours.

Pho­to d’en-tête : Dieudon­né au Palais de jus­tice de Paris le 28 jan­vi­er 2015. (AFP Pho­to / S. De Sakutin)