Culture

Ce que raconte Dieudonné à la Main d’or

Jugé la semaine prochaine pour apologie du terrorisme, après avoir écrit "je me sens Charlie Coulibaly", l’humoriste présente toujours son spectacle, "La Bête immonde", les jeudis et vendredis au théâtre de la Main d’or, à Paris. Ce jeudi, la salle était comble et Dieudonné ne l’a pas déçue.

Les hauts-par­leurs se met­tent à jouer un roule­ment de tam­bour. La voix enreg­istrée de Dieudon­né résonne d’un coup : “Mes­dames et messieurs, un peu de calme s’il vous plaît. Bah oui vous avez payé, vous êtes là pour voir le spec­ta­cle.” Pre­miers rires.

Cinq min­utes aupar­a­vant, les derniers spec­ta­teurs pre­naient place sur les ban­quettes rouges qui com­posent les gradins du théâtre de la Main d’or, dans le XIe arrondisse­ment de Paris. Dans une atmo­sphère enfumée, la petite salle aux murs noirs se rem­plit. Des habitués applaud­is­sent Jacky, le régis­seur du spec­ta­cle, qui prend place en haut des gradins.

La voix de Dieudon­né résonne donc. Le rideau rouge tou­jours clos, la voix présente le “mon­stre” situé de l’autre côté, “cen­suré trois fois”. Puis l’humoriste est enfin dévoilé, com­bi­nai­son orange et mains enchaînées, qu’il libère pour se ren­dre à son pupitre. A l’ar­rière, une réplique de fusil d’as­saut Famas trône sur un présen­toir. Décors, textes et mise en scène ser­vent à créer le per­son­nage : un bouf­fon soit-dis­ant fou dan­gereux et devenu victime.

Ain­si com­mence le pre­mier tiers de ce spec­ta­cle d’une heure quinze. Le tiers dans lequel les rires sont les plus four­nis et les références aux poli­tiques, aux médias, aux juifs, au passé colo­nial et aux géno­cides sont les plus récur­rentes. Ces rires répon­dent indif­férem­ment à la gestuelle et aux gri­maces dont Dieudon­né use et abuse, ou aux sail­lies les plus agres­sives de l’humoriste.

“Si tu l’imagines en pyja­ma avec une kip­pa, y’a moyen de grat­ter une sub­ven­tion.” (à pro­pos de son régis­seur, qu’il imag­ine en train de tra­vailler pour Manuel Valls)

“Imag­ine : sans le savoir, je dégomme un jour­nal­iste… Juif, de sur­croît.” (après avoir mimé une tuerie avec la réplique du fusil Famas)

Des références de ce type, cette pre­mière par­tie en est rem­plie. Sou­vent, elles sor­tent de l’imagination de Dieudon­né. Par­fois égale­ment, le réel et le poli­tique s’invitent de manière assumée dans le discours.

“Je serais donc, moi, con­sid­éré comme l’épicentre de la haine. Éton­nant, quand même, ce monde dans lequel le bouf­fon noir incar­ne le mal absolu, et le fab­ri­quant d’armes et la haute finance, eux, les droits de l’Homme.”

“De tout temps il y a eu des dom­i­nants et des dom­inés dans le monde. Moi j’appartiens plutôt à la deux­ième caté­gorie. Je fais par­tie d’une espèce par­ti­c­ulière­ment dom­inée : les indi­vidus de type négroïde.”

Les rires du pub­lic répon­dent aus­si à ces phras­es là.

Les références à l’actualité judi­ci­aire de Dieudon­né arrivent vite, au bout de dix minutes :

“L’autre [Patrick Cohen, NDLR] a dit que j’avais un cerveau malade, parce qu’il est plus ou moins neu­ro­logue par sa grand-mère.” (rires)

Suivi par un pas­sage sur “un autre juif des médias” :

“Pas­cal Elbé, un mec très mau­vais, archi-nul. Mais juif. Donc automa­tique­ment prix Nobel de la paix, agrégé d’histoire. (rires) Il a dit : ‘il fal­lait pas dis­cuter avec Dieudon­né, il fal­lait lui défon­cer la gueule.‘Et le pro­cureur a dit : ‘c’est bien, c’est bien.’ ” (rires)

Ce pro­cureur est un per­son­nage récur­rent du spec­ta­cle, comme Manuel Valls. Ils incar­nent le “sys­tème” que Dieudon­né combat.

C’est ce même pro­cureur qui se retrou­ve dans le tableau suiv­ant. Il pose ses ques­tions à deux autres per­son­nages : un esclave mar­tini­quais du XVI­Ie siè­cle et son maître.

Présen­ta­tion de l’esclave :

“Un vilain gar­ne­ment qui s’est fait fou­et­ter du cou au mol­let. Il s’est même fait sci­er la jambe, parce qu’il s’en­fuit tout le temps. Pour jouer au foot­ball, fau­dra atten­dre au moins une généra­tion. Hein M. Anel­ka ? C’est l’ancêtre de Nico­las Anelka.”

Puis la présen­ta­tion du maître :

“M. Hay­ot, qui est ici. Famille Hay­ot, l’une des plus rich­es de France. Des békés. Au départ c’est un juif hol­landais qui est arrivé à la fin du XVI­Ie siè­cle en Mar­tinique. Juif, j’y peux rien. (rires) J’au­rais préféré qu’il soit chré­tien ou musul­man. Même les juifs ils le dis­ent : ‘il est trop juif.’ ” (rires)

Ce tableau, qui con­siste en la con­fronta­tion de l’esclave et du maître, amène Dieudon­né sur un thème cen­tral : les géno­cides. Il com­pare donc trois géno­cides : celui des noirs par l’esclavage, celui des juifs et celui des indi­ens d’Amérique.

“Con­traire­ment à son homo­logue nazi, l’esclavagiste juif a mieux géré l’après-géno­cide. Plus malin, plus souple.”

“Aucun procès après le géno­cide [des noirs, NDLR] ! Même pas une amende à 35 euros ! Mais la légion d’hon­neur, l’an­née dernière, par Hol­lande. Tu sais c’est vrai­ment le principe du géno­cide sans con­séquence. Tu as géno­cidé hein. Mais… Allez file ! Comme pour les indi­ens d’Amérique… Là on peut par­ler du plus grand géno­cide de tous les temps. Ils sont plus que qua­tre… […] A côté, ce qui s’est passé en Pologne : une tha­las­sothérapie ! (rires) Et la traite des noirs, pareil : c’est Pierre et Vacances. (rires) Et vous avez vu, pas une seule ligne dans les manuels scolaires !”

S’en suit l’im­i­ta­tion, par Dieudon­né, de l’esclave, pas revan­chard et flan­qué d’un fort accent créole qui fait rire tout le monde. Puis l’im­i­ta­tion de l’esclavagiste juif, au lan­gage plus soutenu et pater­nal­iste. Le pro­cureur se range osten­si­ble­ment du côté de ce dernier.

Mariage homo et Charlie Hebdo

Le deux­ième tiers du spec­ta­cle est beau­coup plus éloigné des débats qui entourent habituelle­ment Dieudon­né. Dans cette par­tie, il tourne en ridicule les récentes évo­lu­tions socié­tales, notam­ment liés aux minorités sex­uelles. Mariage homo et pre­mière place de Con­chi­ta Wurst à l’Eu­ro­vi­sion ser­vent de base à Dieudon­né pour jouer une galerie de per­son­nages aux ori­en­ta­tions sex­uelles les plus orig­i­nales : une québé­coise amoureuse d’un cochon, une jeune trans­sex­uelle qui veut devenir une poule, un homme qui se décou­vre une sex­u­al­ité avec des canettes de bière.

“Des jour­nal­istes mal inten­tion­nés ont dit que j’é­tais con­tre le mariage pour tous. Homo­phobe. C’est dégueu­lasse parce que j’é­tais un des pre­miers témoins d’un mariage pour tous. C’é­tait deux tueurs en série. Donc c’est plus de la per­for­mance artis­tique. (rires) […] Y’a un maire qui s’est prêté à l’ex­er­ci­ce. Ah! il a pas été réélu !” (rires)

L’anec­dote est véridique. Dieudon­né a réelle­ment été témoin au mariage de deux hommes empris­on­nés pour de mul­ti­ples assas­si­nats, le sec­ond témoin étant le ter­ror­iste Car­los, égale­ment empris­on­né.

C’est d’ailleurs dans une imi­ta­tion de Car­los que Dieudon­né fait sa pre­mière — et seule — référence à Char­lie Heb­do. Avec un accent espag­nol car­i­cat­ur­al, il fait par­ler le ter­ror­iste lors de sa prise d’o­tage au siège de l’Opep :

“Vous êtes les gens les plus puis­sants du monde et vous êtes de la mier­da ! — Douce­ment Car­los… C’est un spec­ta­cle comique. — Dieudon­né, tu me fais venir ici… Moi je suis pas un humoriste. Je suis pas Char­lie !”(rires)

“Mais j’ai tou­jours été du côté du peu­ple. Les vrais ter­ror­istes del mun­do c’est toute la mier­da amer­i­cana ! Les Bush, les Oba­ma, les Hol­lande. (applaud­isse­ments) C’est eux qui fab­riquent ça (il désigne le Famas). Moi je leur vole ça et je leur tire dessus.” (applaud­isse­ments)

Dieudon­né retrou­ve sa voix :

“Car­los a pas tort, parce que le Famas est fab­riqué en France, à Saint-Eti­enne. Et c’est autorisé par le Con­seil d’E­tat, con­traire­ment à mes sketch­es. (rires) Là y’a pas de prob­lème d’at­teinte à la dig­nité humaine.”

De Car­los, devenu son porte-voix, Dieudon­né passe à l’Opep, puis aux guer­res menées par les pays occi­den­taux pour le pét­role, pour finale­ment arriv­er aux mil­i­taires français qui font le signe de la quenelle.

Le dernier tiers du spec­ta­cle débute ain­si. Plus court et plus décousu, il mêle des références aux lycéens pour­suiv­is pour avoir fait des quenelles, aux sportifs qui se sont déclarés piégés par un geste dont ils igno­raient la sig­ni­fi­ca­tion, comme Tony Park­er, Ted­dy Riner ou Mamadou Sakho.

“Si vous êtes aujour­d’hui attiré par le glis­sage de quenelle, apprenez quand même à baiss­er un peu votre froc.”

“Mamadou Sakho, c’est une vraie tragédie dans le monde de la quenelle. Il était avec moi : quenelle main droite, main gauche. Même moi je dis­ais : ‘arrête Mamadou’ ”(rires)

Sans tran­si­tion, il passe à la mon­tée du Front nation­al et revient à la politique.

“Les mou­tons, ils allaient vot­er sans réfléchir. Main­tenant y’a internet…”

“Le mec qui fab­rique l’ar­gent en France qui con­voque un jour Hol­lande dans son bureau […] : ‘Donc on a réfléchi hier soir et tu seras le prochain prési­dent de la République. On était pas prêts […] mais Strauss-Kahn s’est fait chop­er à New-York. […] Va voir la secré­taire, elle va te fil­er tes tick­ets-restau­rant.’ ” (rires)

Ce “mec qui fab­rique l’ar­gent” appelle ensuite un chef de l’I­fop, un célèbre insti­tut de sondages :

“Ecoute-moi. C’est moi qui paye, c’est moi qui par­le. Toi tu la fer­mes. Tu fais du sondage ? Donc tu me mets la for­mule express sur François Hol­lande. On part de zéro, direc­tion la Grande ourse. (rires) Des ques­tions très fer­mées, des ques­tions cade­nassées. […] Des ques­tions du style ‘qui par­mi ces trois per­son­nal­ités de gauche ferait un excel­lent prési­dent de la République ? Marc Dutroux, Guy Georges ou François Hol­lande ?’ ” (rires)

La fin du show approche. Dieudon­né ter­mine avec une séquence où il joue son pro­pre père, avec l’ac­cent africain tou­jours aus­si car­i­cat­ur­al. Il s’adresse au public :

“Je vous remer­cie d’avoir soutenu mon enfant. Sans vous le pub­lic, il ne pou­vait tenir très longtemps. Vous avez encore payé 40 euros ! (rires) Mais c’est bon, c’est bon !”

“(à Dieudon­né) Allez viens ici ! On va chanter ton machin de quenelle.”

Epi­logue dans la joie, donc, avec la chan­son de la quenelle.

Pho­to d’en-tête : la façade du théâtre de la Main d’or, jeu­di. (Matthieu Jublin)