Justice

Propos haineux : ce que veut dire l’annonce de Hollande

Lors du 30e dîner annuel du Crif, François Hollande a annoncé souhaiter que les propos haineux "ne relèvent plus du droit de la presse mais du droit pénal". Il a aussi parlé de "sanctions plus rapides et plus efficaces". Comme pour l'apologie du terrorisme ?

Le dîn­er annuel du Con­seil représen­tatif des insti­tu­tions juives de France (Crif) est sou­vent l’oc­ca­sion d’une annonce prési­den­tielle. Le tren­tième ren­dez-vous, lun­di soir, ne risquait pas d’échap­per à la règle.

Dans son dis­cours, François Hol­lande a notam­ment souhaité que “toutes les paroles, tous les écrits de haine, qu’ils soient anti­sémites, racistes [ou] homo­phobes, ne relèvent plus du droit de la presse mais du droit pénal”. Qu’est ce que ça implique au juste ?

Le droit de la presse se rap­porte à la loi sur la lib­erté de la presse de 1881 et non au Code pénal qui cha­peaute le droit com­mun. Si la propo­si­tion du Prési­dent est appliquée, les pro­pos haineux suiv­raient alors la voie du délit d’apolo­gie du ter­ror­isme, qui relève du droit pénal depuis la loi antiter­ror­iste de novem­bre 2014.

Un délai de prescription plus long

Pour l’av­o­cate pénal­iste Alia Aoun, cette réforme per­me­t­trait surtout de “pour­suiv­re plus longtemps, en appli­quant le délai de pre­scrip­tion du droit com­mun”, qui est plus long que celui du droit de la presse. De quelques mois, les pro­pos haineux resteraient sous la coupe de la jus­tice jusqu’à trois ans.

Pour elle, cela n’im­plique pas en soi des “sanc­tions plus rapi­des et plus effi­caces”, appelées de ses voeux par le Prési­dent lun­di soir. François Hol­lande a con­fir­mé que le Pre­mier min­istre Manuel Valls pro­poserait “dans les prochains jours” un plan con­tre le racisme et l’an­tisémitisme. C’est le con­tenu de ce texte qu’il faut guetter.

Éviter la case justice avec le blocage administratif

Le Prési­dent s’est adressé aux “grands groupes d’In­ter­net” qui “doivent par­ticiper à la régu­la­tion numérique”. Et c’est sur la toile que l’essen­tiel se joue. Les délais d’ap­pli­ca­tion de la juri­dic­tion actuelle ne per­me­t­tent pas d’endiguer la dif­fu­sion des mes­sages prob­lé­ma­tiques sur le Net.

Le jour­nal La Croix cite en exem­ple une vidéo de Dieudon­né, vue 4 mil­lions de fois, avant d’être sup­primée sur déci­sion de jus­tice. “Le mes­sage de haine était passé”, regrette Sacha Reingewirtz, prési­dent de l’Union des étu­di­ants juifs de France.

Plutôt que de respecter le temps de la jus­tice, l’ad­min­is­tra­tion pour­rait la devancer en s’oc­troy­ant le droit de blo­quer un site relayant des pro­pos racistes, anti­sémites ou homo­phobes. Sans pass­er par un juge, comme le sug­gérait la Garde des Sceaux Chris­tiane Taubi­ra, en janvier.

Ce blocage admin­is­tratif est déjà pos­si­ble pour les con­tenus pédo­pornographique et l’apolo­gie du ter­ror­isme. Elle répond aux attentes de plusieurs asso­ci­a­tions mais réduit le champ de la justice.

Opposée à une “logique un peu déli­rante de course de vitesse”, Alia Aoun met en garde : “Si la jus­tice tra­vaille au rythme d’In­ter­net, on fait l’im­passe sur beau­coup de nos principes d’exigences.” 

Con­tac­té par 3millions7, l’Elysée n’a tou­jours pas don­né suite.

Pho­to : François Hol­lande lors du din­er du Crif — Eti­enne Lau­rent / AFP