Sécurité

Comment quantifier les actes antisémites et islamophobes ?

Les chiffres recensant le nombre d’actes islamophobes ou antisémites sont très présents dans le débat public, surtout depuis les attentats de janvier, mais comment sont-ils calculés ?

Les bilans des actes racistes, anti­sémites ou antimusul­mans vien­nent de sor­tir pour l’année 2014. Ils vien­nent de trois organ­i­sa­tions com­mu­nau­taires : une pour la com­mu­nauté juive et deux pour la com­mu­nauté musul­mane. Ils n’émanent pas tous de la même méthodolo­gie : deux sur trois utilisent prin­ci­pale­ment les chiffres du min­istère de l’intérieur, un seul fait son pro­pre recensement.

Les chiffres offi­ciels du ministère

Le min­istère de l’intérieur a une méthodolo­gie claire­ment définie : seuls sont recen­sés les actes ayant fait l’objet d’une plainte ou d’une main courante.

Ces actes englobent les actions (atten­tats, homi­cides, vio­lences, incendies, ou ten­ta­tives, et dégra­da­tion ou van­dal­isme) ain­si que les men­aces (pro­pos, gestes menaçants, démon­stra­tions injurieuses, tracts, cour­ri­ers, inscriptions).

L’obser­va­toire nation­al con­tre l’islamophobie, créé en 2011 par le min­istère de l’intérieur et le Con­seil français du culte musul­man (CFCM), reprend entière­ment les chiffres du ministère.

Le Con­seil représen­tatif des insti­tu­tions juives de France (CRIF), dans ses bilans, s’appuie sur le tra­vail du Ser­vice de pro­tec­tion de la com­mu­nauté juive (SPCJ), organe créé en 1980 au lende­main de l’attentat de la rue Coper­nic. Ce ser­vice reprend les chiffres du min­istère de l’intérieur, qu’il enri­chit par ses pro­pres chiffres qui recensent les actes n’ayant pas été réper­toriés par les ser­vices de police. Le SPCJ n’a pas souhaité com­mu­ni­quer sur sa méth­ode de comp­tage, mais le ser­vice pos­sède un site dédié ain­si qu’un numéro de télé­phone pour déclar­er tout acte antisémite.

Un recense­ment propre

Seul le Col­lec­tif con­tre l’islamophobie en France (CCIF), réseau indépen­dant issu de la société civile créé en 2003, utilise ses pro­pres chiffres. Selon lui, les chiffres du min­istère sont loin d’être représen­tat­ifs car le taux de plainte en cas de vio­lence est min­ime. Cer­taines vic­times refusent d’aller à la police car elles sont con­va­in­cues qu’il n’y aura aucune suite. Les policiers peu­vent égale­ment refuser leur plainte ou ne pas retenir pas le car­ac­tère islam­o­phobe de l’acte.

Ce col­lec­tif se dit être au plus proche du ter­rain puisque ce sont les vic­times elles-mêmes qui le con­tactent pour don­ner leur témoignage. Pour ce faire, les vic­times peu­vent télé­phon­er, rem­plir un for­mu­laire en ligne ou bien se sig­naler via une appli­ca­tion mobile.

A par­tir de là, un ser­vice juridique prend le relai pour con­stituer un dossier. Il recueille les infor­ma­tions néces­saires ain­si que les preuves éventuelles (cer­ti­fi­cat médi­cal, plainte ou main courante). Lorsque le dossier est com­plet, il est trans­féré à des juristes pro­fes­sion­nels qui véri­fient le car­ac­tère islam­o­phobe ou non de l’acte com­mis. Si l’acte est bien islam­o­phobe, des démarch­es juridiques sont entreprises.

Le CCIF a sa pro­pre plate­forme qui crée automa­tique­ment des sta­tis­tiques à par­tir des cas enregistrés.

Ces chiffres sont-ils fiables ?

Com­ment être sûr de la fia­bil­ité de ces chiffres ? Le CCIF affirme que des juristes véri­fient sys­té­ma­tique­ment le car­ac­tère islam­o­phobe des actes com­mis. Il affirme que les cas lim­ites, où l’on ne sait pas vrai­ment si c’est un acte antimusul­man qui a été com­mis, sont extrê­ment rares. Le plus sou­vent déclare-t-il, ce sont des femmes voilées à qui l’on arrache le voile.

Mais cer­tains cas peu­vent pos­er prob­lème. Par exem­ple, si une femme voilée est bous­culée forte­ment sur le quai du RER sans qu’on l’insulte. Elle peut se plain­dre et penser que cette agres­sion physique a été faite volon­taire­ment en rai­son de son appar­te­nance religieuse. Mais rien ne le prou­ve. Dans ce cas, le CCIF ne compt­abilise pas l’agression.

En cas d’agression ver­bale, il n’y a en général pas de preuve. C’est la parole du plaig­nant con­tre celle de l’agresseur. Mais s’il y a dépôt de plainte ou de main courante, le CCIF retien­dra l’acte comme islamophobe.

Des organ­i­sa­tions juges et parties

Le prob­lème au final vient du fait que ce décompte émane d’organisations com­mu­nau­taires. Le CRIF comme le CCIF accom­pa­g­nent leurs vic­times dans des actions en jus­tice. Ils ne sont pas neu­tres sur le sujet.

Aucune véri­fi­ca­tion de ces chiffres n’est pos­si­ble. Le CCIF pour sa part se défend de toute sures­ti­ma­tion. Il a compt­abil­isé 691 actes islam­o­phobes pour 2013 con­tre 226 selon l’Observatoire nation­al con­tre l’islamophobie. “La rai­son d’être du CCIF est que ces actes cessent. Si l’on pou­vait met­tre la clé sous la porte, ce serait mieux”, a déclaré sa porte-parole.

Pho­to d’en-tête : Man­i­fes­ta­tion du 11 jan­vi­er 2015, à Paris. Flickr, cre­ative commons.