3millions7 : Êtes-vous d’accord avec le député PS Malek Boutih, qui explique la dégradation des espaces urbains par la laideur de l’environnement dans lequel les habitants vivent ?
Clément Boisseuil : “En sociologie, on parle d’effet de quartier. Il s’agit d’analyser l’effet de l’environnement urbain sur les comportements sociaux des individus. Aux États-Unis, des études ont montré un lien entre le taux de criminalité et la proportion de gens pauvres. Mais en France, peu de recherches ont été menées pour corroborer cette analyse. Il n’y a pas de lien évident. Toutefois, il est clair que dans un quartier où les conditions de vie sont difficiles, il y a moins de respect pour l’environnement dans lequel on se trouve.”
Où en est-on aujourd’hui en matière de politique de rénovation urbaine dans les quartiers ?
“Le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) 2015–2024 vient prendre la suite du programme national de rénovation urbaine (PNRU) lancé par Jean-Louis Borloo en 2003. Ces programmes visent à diversifier l’habitat en encourageant la mixité sociale et en renforçant l’attractivité et la qualité de vie dans les quartiers populaires. Pour ce faire, 200 quartiers ont été choisis fin 2014.
L’idée est de mettre dans un même quartier différents types de logements, et de favoriser la venue de classes moyennes dans ces quartiers populaires.”
Cela est-il efficace ?
“Il n’y pas de recette magique. Il ne faut pas donner à la politique de renouvellement urbain des objectifs qu’elle n’a pas. La rénovation urbaine ne peut pas tout faire. Elle vise seulement à créer un environnement où l’on se sent mieux. D’ailleurs, les statistiques montrent que 80% des habitants ont un avis très positif après une rénovation urbaine dans leur quartier.
Ces politiques visent à l’attractivité résidentielle mais pas à la mobilité sociale. C’est seulement en intégrant les politiques urbaines, sociales et économiques que l’on peut parvenir à une ascension sociale. Ce n’est pas parce qu’on vit dans un appartement neuf, alors qu’on ne sait pas ce qu’on va manger à la fin du mois, qu’on se sent mieux.”
Existe-t-il un exemple de politique qui a réussi à lier la rénovation urbaine aux dimensions économiques et sociales ?
“Prenons la ‘mixité fonctionnelle’ — c’est à dire : avoir des commerces et des équipements culturels et non pas seulement des villes dortoir. Un exemple concret serait de démolir ou réhabiliter un immeuble de logements, pour y intégrer des commerces au rez-de-chaussée. Ça c’est la partie urbaine.
Cela permet le développement de l’entreprenariat. Des gens peuvent lancer leur commerce et être accompagnés, ce qui constitue l’aspect économique. Enfin, l’aspect social peut venir avec la création d’une crèche, ou la réhabilitation d’une école.”
Lorsqu’on se rend sur place, les habitants se plaignent souvent de l’inefficacité des politiques de la ville. Qu’en dites-vous ?
“Les politiques de la ville émanent de l’État, en lien avec les bailleurs sociaux et les élus locaux. Ce qui ressort de plus en plus, c’est la nécessité d’impliquer les habitants dans l’élaboration de ces politiques. Pour favoriser le vivre ensemble, il faut que les gens s’approprient leur quartier. Pour cela, il faut leur donner le pouvoir d’agir.
Par exemple, des réunions se sont tenues à La Courneuve, afin de sensibiliser les populations au fait de ne pas jeter les couches culottes par les fenêtres. Des conseils et des fêtes de quartier sont également organisés. Cet ensemble de petites actions concrètes doivent favoriser le lien intergénérationnel et éviter les clivages très importants dans les quartiers.
Le droit de vote des étrangers, en plus d’avoir un impact sur les élections municipales, favoriserait aussi l’intégration des populations.”
Vous qui étudiez les politiques urbaines aux États-Unis, y a‑t-il des leçons à en tirer ?
“Aux États-Unis, on essaie aussi de créer des communautés mixtes pour favoriser l’ascension sociale de tous. À Chicago, par exemple, il s’agit de construire un tiers de logements sociaux, un tiers de logements abordables, et un tiers de logement au prix du marché. Mais seul 2% du parc immobilier américain est constitué de logements sociaux, contre 20% en France.
De plus, aux Etats-Unis, l’enjeu est plus perçu sous l’angle racial. Les logements sociaux de Chicago sont à 87% occupés par des noirs. En France, il n’y a pas de statistiques ethniques : la problématique perçue est celle de l’intégration sociale — notamment des immigrés — et non pas celle de la ségrégation des minorités ethniques.”
Quel bilan tirez-vous des politiques de renouvellement urbain en France ?
“Il y a un réel besoin de rénovation urbaine dans ces quartiers. Toutefois, il ne faut pas trop espérer de ces politiques. Ce n’est pas dans les quartiers que l’on va tout résoudre. L’amélioration du cadre de vie est indéniable. Mais il faut réduire le chômage, en agissant sur l’éducation, c’est-à-dire favoriser la mixité à l’école et la scolarisation des 0–3 ans. On ne s’intéresse pas assez à l’école alors que c’est la base.”
Photo d’en-tête : un immeuble du quartier de la Grande Borne, à Grigny (91) (3millions7)