Intégration

“Il ne faut pas trop attendre des politiques de la ville”

Clément Boisseuil est chercheur au Centre d’études européennes de Sciences Po. Il étudie la mise en œuvre de la mixité sociale par la rénovation urbaine dans les métropoles de Chicago et Paris.

3millions7 : Êtes-vous d’accord avec le député PS Malek Boutih, qui explique la dégra­da­tion des espaces urbains par la laideur de l’environnement dans lequel les habi­tants vivent ?

Clé­ment Bois­seuil : “En soci­olo­gie, on par­le d’effet de quarti­er. Il s’agit d’analyser l’effet de l’environnement urbain sur les com­porte­ments soci­aux des indi­vidus. Aux États-Unis, des études ont mon­tré un lien entre le taux de crim­i­nal­ité et la pro­por­tion de gens pau­vres. Mais en France, peu de recherch­es ont été menées pour cor­ro­bor­er cette analyse. Il n’y a pas de lien évi­dent. Toute­fois, il est clair que dans un quarti­er où les con­di­tions de vie sont dif­fi­ciles, il y a moins de respect pour l’environnement dans lequel on se trouve.”

Où en est-on aujourd’hui en matière de poli­tique de réno­va­tion urbaine dans les quartiers ?

“Le nou­veau pro­gramme nation­al de renou­velle­ment urbain (NPNRU) 2015–2024 vient pren­dre la suite du pro­gramme nation­al de réno­va­tion urbaine (PNRU) lancé par Jean-Louis Bor­loo en 2003. Ces pro­grammes visent à diver­si­fi­er l’habitat en encour­ageant la mix­ité sociale et en ren­forçant l’attractivité et la qual­ité de vie dans les quartiers pop­u­laires. Pour ce faire, 200 quartiers ont été choi­sis fin 2014.

L’idée est de met­tre dans un même quarti­er dif­férents types de loge­ments, et de favoris­er la venue de class­es moyennes dans ces quartiers populaires.”

Cela est-il efficace ?

“Il n’y pas de recette mag­ique. Il ne faut pas don­ner à la poli­tique de renou­velle­ment urbain des objec­tifs qu’elle n’a pas. La réno­va­tion urbaine ne peut pas tout faire. Elle vise seule­ment à créer un envi­ron­nement où l’on se sent mieux. D’ailleurs, les sta­tis­tiques mon­trent que 80% des habi­tants ont un avis très posi­tif après une réno­va­tion urbaine dans leur quartier.

Ces poli­tiques visent à l’attractivité rési­den­tielle mais pas à la mobil­ité sociale. C’est seule­ment en inté­grant les poli­tiques urbaines, sociales et économiques que l’on peut par­venir à une ascen­sion sociale. Ce n’est pas parce qu’on vit dans un apparte­ment neuf, alors qu’on ne sait pas ce qu’on va manger à la fin du mois, qu’on se sent mieux.”

Existe-t-il un exem­ple de poli­tique qui a réus­si à lier la réno­va­tion urbaine aux dimen­sions économiques et sociales ?

“Prenons la ‘mix­ité fonc­tion­nelle’ — c’est à dire : avoir des com­merces et des équipements cul­turels et non pas seule­ment des villes dor­toir. Un exem­ple con­cret serait de démolir ou réha­biliter un immeu­ble de loge­ments, pour y inté­gr­er des com­merces au rez-de-chaussée. Ça c’est la par­tie urbaine.

Cela per­met le développe­ment de l’entreprenariat. Des gens peu­vent lancer leur com­merce et être accom­pa­g­nés, ce qui con­stitue l’aspect économique. Enfin, l’aspect social peut venir avec la créa­tion d’une crèche, ou la réha­bil­i­ta­tion d’une école.”

Lorsqu’on se rend sur place, les habi­tants se plaig­nent sou­vent de l’inefficacité des poli­tiques de la ville. Qu’en dites-vous ?

“Les poli­tiques de la ville éma­nent de l’État, en lien avec les bailleurs soci­aux et les élus locaux. Ce qui ressort de plus en plus, c’est la néces­sité d’impliquer les habi­tants dans l’élab­o­ra­tion de ces poli­tiques. Pour favoris­er le vivre ensem­ble, il faut que les gens s’approprient leur quarti­er. Pour cela, il faut leur don­ner le pou­voir d’agir.

Par exem­ple, des réu­nions se sont tenues à La Courneuve, afin de sen­si­bilis­er les pop­u­la­tions au fait de ne pas jeter les couch­es culottes par les fenêtres. Des con­seils et des fêtes de quarti­er sont égale­ment organ­isés. Cet ensem­ble de petites actions con­crètes doivent favoris­er le lien intergénéra­tionnel et éviter les cli­vages très impor­tants dans les quartiers.

Le droit de vote des étrangers, en plus d’avoir un impact sur les élec­tions munic­i­pales, favoris­erait aus­si l’in­té­gra­tion des populations.”

Vous qui étudiez les poli­tiques urbaines aux États-Unis, y a‑t-il des leçons à en tirer ?

“Aux États-Unis, on essaie aus­si de créer des com­mu­nautés mixtes pour favoris­er l’ascension sociale de tous. À Chica­go, par exem­ple, il s’agit de con­stru­ire un tiers de loge­ments soci­aux, un tiers de loge­ments abor­d­ables, et un tiers de loge­ment au prix du marché. Mais seul 2% du parc immo­bili­er améri­cain est con­sti­tué de loge­ments soci­aux, con­tre 20% en France.

De plus, aux Etats-Unis, l’en­jeu est plus perçu sous l’an­gle racial. Les loge­ments soci­aux de Chica­go sont à 87% occupés par des noirs. En France, il n’y a pas de sta­tis­tiques eth­niques : la prob­lé­ma­tique perçue est celle de l’intégration sociale — notam­ment des immi­grés — et non pas celle de la ségré­ga­tion des minorités ethniques.”

Quel bilan tirez-vous des poli­tiques de renou­velle­ment urbain en France ? 

“Il y a un réel besoin de réno­va­tion urbaine dans ces quartiers. Toute­fois, il ne faut pas trop espér­er de ces poli­tiques. Ce n’est pas dans les quartiers que l’on va tout résoudre. L’amélioration du cadre de vie est indé­ni­able. Mais il faut réduire le chô­mage, en agis­sant sur l’éducation, c’est-à-dire favoris­er la mix­ité à l’é­cole et la sco­lar­i­sa­tion des 0–3 ans. On ne s’intéresse pas assez à l’école alors que c’est la base.”

Pho­to d’en-tête : un immeu­ble du quarti­er de la Grande Borne, à Grigny (91) (3millions7)