Voilà maintenant plus de trois mois que la France a été frappée par le terrorisme. Le 11 janvier dernier, près de 4 millions de personnes se sont rassemblés dans les rues partout sur le territoire pour protester contre la violence, l’intolérance et revendiquer des changements à tous les étages de la société.
3millions7.com s’était donné pour ADN de scruter ces changements. Voir si la France de l’après-11 janvier était vraiment capable de se transformer. Le constat est mitigé. Des chantiers ont été lancés pour les années à venir. Ils n’en sont qu’à leurs balbutiements mais ils augurent du visage de la société de demain.
1. Une offensive sécuritaire
Immédiatement après les attentats, le plan vigipirate a été élévé au niveau “alerte attentats” et le restera jusqu’à l’été. Si l’Hypercasher de la porte de Vincennes a ouvert ses portes très récemment, les locaux de Charlie Hebdo sont, quant à eux, toujours surveillés.
Suite à l’assassinat de Clarissa Jean Philippe, de nombreuses mairies ont décidé d’armer leur police municipale et le Premier ministre, Manuel Valls, a annoncé un grand plan pour les services de renseignement français. Ainsi, 2 700 personnes devraient être embauchées et 735 millions d’euros investis. Bien que les services français soient déjà très compétents, ces reformes devraient changer leur cadre juridique et leurs méthodes.
2. La laïcité de 2015 ne sera plus celle de 1905, surtout pour l’islam
Au sein de la classe politique et de la société civile, les idées fusent pour adapter tous les courants de l’islam à la laïcité française. Pour certains, cela passera par des mesures symboliques : prononcer une prière pour la République dans les mosquées, déjà appliquée dans certains lieux de cultes musulmans. Pour le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve en revanche, il faut développer et conduire les imams à passer un diplôme universitaire de laïcité. Une mesure dont l’efficacité n’est pas évidente.
Le nombre d’aumôniers musulmans en prison, qui est aujourd’hui de 180, va également augmenter. Enfin, au chapitre institutionnel, le Conseil Français du culte musulman, dont la légitimité est remise en cause, va devoir composer avec une nouvelle instance de dialogue, encore à définir.
3. Inculquer les “valeurs de la République”
Après le refus par certains élèves, de respecter la minute de silence, le gouvernement a décidé de lancer un plan de réforme du collège. Parmi les projets, celui de former les professeurs à l’apprentissage de la laïcité” a été mis en application. Le premier séminaire du genre s’est d’ailleurs déroulé fin mars alors que le ministère de l’éducation diffusait au corps professoral un livret contre la radicalisation des élèves.
La question d’ajouter plus d’heures d’éducation civique a été soulevée. Mais de nombreuses voix se sont élevées contre : l’éducation civique n’est pas une fabrique à citoyens. Autre piste développée par le gouvernement, celle d’augmenter et de favoriser le service civique. Ce qui devrait être fait dès le mois de juin 2015. Les jeunes se sont aussi soulevés contre ces attentats, comme le rappelle notre premier reportage.
4. Les médias, victimes et bourreaux à la fois
Touché de plein fouet par les attentats, le monde médiatique peine à se reconstruire. Le CSA a épinglé 16 des plus grands médias français pour des manquements aux règles d’éthique du journalisme pour leur couverture des événements. Notamment lors des deux prises d’otages, celle de Dammartin-en-Goëlle, où étaient retranchés les auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo, et celle de l’Hyper Cacher, perpétrée par Amédy Coulibaly.
Les ventes des médias ont augmenté durant cette période et celles de Charlie Hebdo ont explosé avant de retomber doucement. Mais la chasse aux manquements n’est pas terminée, le CSA a de nouveau frappé au début du mois de mars.
5. Liberté d’expression, oui mais…
Célébrée par près de quatre millions de manifestants lors du rassemblement du 11 janvier, force est de constater que les contours de la notion de liberté d’expression semblent aujourd’hui plus flous que jamais. Des oeuvres culturelles ont été déprogrammées pour éviter de faire des remous. Par ailleurs, rien que pour le mois de janvier, plus de 30 000 signalements ont été déposés sur la plateforme Pharos pour “apologie du terrorisme”.
C’est encore au nom de la liberté d’expression que l’humoriste controversé Dieudonné a justifié sa déclaration sur Facebook, postée au lendemain du rassemblement : “Je me sens Charlie Coulibaly”. Celui-ci, qui invoquait dans l’un de ses procès le “droit à l’humour”, a écopé de deux mois de prison avec sursis. Ses fans continuent de dénoncer un “deux poids deux mesures”, consistant à défendre la liberté de ton de l’hebdomadaire satirique tout en condamnant leur idole. Preuve s’il en faut que la liberté d’expression ne met toujours personne d’accord.
Photo d’en-tête : Le rassemblement place de la République, à Paris, le 7 janvier 2015. (Gwénaël Piaser/Flic’r/cc)