Le Premier ministre Manuel Valls se rend ce mardi à Strasbourg où il visite la grande mosquée alsacienne et rencontre les étudiants et enseignants du diplôme universitaire “Droit, société et pluralité des religions”. Bernard Cazeneuve annonçait le 25 février les pistes engagées par l’exécutif.
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Avec ces signaux politiques, le gouvernement prétend moderniser des institutions sur lesquelles il n’a pas vraiment la main : la représentation des musulmans et la formation des imams. Ouvrir quelques nouvelles formations universitaires n’est qu’une goutte d’eau dans un dossier complexe.
1. Il y a imam et imam
Reprenons au début, de quoi parle-t-on ? Par imam on évoque en réalité au moins trois rôles différents qui ne sont pas forcément assurés par une seule personne au sein d’un même lieu de prière :
- Guider la prière quotidienne dans la mosquée. Cette responsabilité peut être endossée par une femme mais seulement devant une assemblée constituée exclusivement de femmes.
- Assurer le prêche du vendredi. C’est ce jour-là que se tient la prière la plus importante, il est particulièrement recommandé aux croyants de l’effectuer en commun et donc de venir à la mosquée. Elle est précédée d’une intervention du prédicateur.
- Eventuellement, jouer le rôle de médiateur en cas de conflits entre des membres de la communauté ou pour répondre aux questionnements des fidèles.
L’articulation entre ces activités diffère d’une mosquée à l’autre. C’est le président de l’association de chaque lieu de culte qui désigne le ou les imams. Selon les moyens dont dispose la communauté, il peut s’agir d’un salarié à plein temps, ou de plusieurs imams, éventuellement bénévoles, qui effectuent des roulements. Ahmed Jaballah, directeur de l’Institut européen des sciences humaines (IESH) qui dispense des diplômes de théologie musulmane à Saint-Denis, constate :
“Beaucoup de jeunes gens préfèrent s’investir de ces fonctions partiellement et avoir une activité professionnelle en dehors de la mosquée.”
Certains prédicateurs, professionnels ou non, se partagent aussi entre plusieurs lieux de prière. Ainsi le rite du vendredi à la mosquée de Montreuil (93) est assuré à tour de rôle par un imam d’origine algérienne, turque ou d’Afrique subsaharienne pour représenter tous les rites de la communauté.
C’est aussi ce qui explique qu’il est difficile d’évaluer le nombre d’imams dans l’Hexagone. On peut se rapporter au nombre de mosquée et lieux de culte musulmans : environ 2 500 actuellement en France, selon le ministère de l’Intérieur. Le nombre de croyants est estimé entre 4 et 6 millions de personnes en France.
2. Pas de cursus imposé
Il n’y a pas de diplôme requis pour devenir imam. En principe c’est au “plus savant” de la communauté que revient cette responsabilité. Être “savant” suppose d’avoir une connaissance avancée des textes saints, le Coran et les hadiths (paroles attribuées au Prophète) dont l’ensemble forme la Sunna.
La doctrine religieuse est enseignée dans les mosquées (surtout à destination des enfants), comme les cours de catéchisme dans les églises catholiques.
Pour poursuivre leur apprentissage théologique, les musulmans peuvent être tentés de s’expatrier dans des grandes universités étrangères. En France, il y a quelques structures privées qui dispensent un enseignement avancé de théologie musulmane. Les trois principaux sont l’institut Razali de la Grande mosquée de Paris et les IESH à Saint-Denis (agréée par l’acédémie de Créteil) et Château-Chinon (Nièvre).
3. DU laïcité, le label “compatible avec la République française”
La grande mesure annoncée par Bernard Cazeneuve pour mieux encadrer les imams est le développement des cursus qui enseignent les valeurs de la laïcité. Des diplômes universitaires (DU) comme celui visité par Manuel Valls à Strasbourg.
Il existe actuellement une poignée de formations équivalentes à Montpellier, Lyon ou Aix-en-Provence. Le premier du genre a ouvert en 2007 à l’Institut catholique de Paris sous le titre d’«Interculturalité, Laïcité et Religions”. Ces deux années d’études où se mêlent des cours de droits, d’histoire de la France et de langue française le cas échéant ne sont pas directement adressées aux futurs imams mais à tous les ministres des cultes. À Montpellier par exemple, seul trois des étudiants de la promotion actuelle se destinent à l’imamat.
Par contre le “DU laïcité” tend à devenir un passage obligé pour les aumôniers de prison, ces agents mandatés pour assurer un soutien spirituel dans les lieux clos. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) désigne les aumôniers musulmans dont la nomination doit être validée par la Direction interrégionale des services pénitentiaires. L’administration pénitentiaire est de plus en plus attentive à ce que les aumôniers aient validé ce DU et aient un bon niveau de français.
4. La barrière de la laïcité
Doubler cette offre universitaire comme le propose Bernard Cazeneuve n’est donc pas un levier direct sur la formation des imams. Leur enseignement religieux et leur désignation reste le fait de la communauté des croyants. À l’heure actuelle, l’annonce semble plus être un épouvantail qui cache l’impuissance du gouvernement. La loi de 1905 qui instaure la laïcité à la française ne permet pas d’ingérence de l’Etat dans les questions religieuses. Extrait :
« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] Pourront toutefois être inscrites aux […] budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. »
À défaut de pouvoir agir directement, le gouvernement semble avoir choisi de prendre un chemin de traverse. La future instance de dialogue qu’il veut mettre en place, “traitera de questions extrêmement précises” au premier titre desquelles : la formation des imams. C’est à travers la future organisation représentative que pourrait se dessiner une réforme concrète du dossier.
Photo d’en-tête : Salle de prière à Londres. (ministère de la Défence britanique)