Après un tassement ces dernières années, le nombre de Français qui font leur “alyah” a explosé en 2013 et en 2014. L’alyah — littéralement “ascension” en hébreu — est le fait, pour un juif, d’immigrer en Israël.
La France devient la première pourvoyeuse d’immigrants juifs en Israël
En 2014, 7 231 Français juifs ont immigré en Israël, selon l’Agence juive en France. Le ministère de l’immigration israélien avance le chiffre de 6 658 personnes, en soustrayant les juifs français qui habitent déjà en Israël et qui deviennent officiellement israéliens. Dans tous les cas, le record est pulvérisé.
En 2013, ces juifs français étaient deux fois moins — 3 293 — à partir. En 2012, ils n’étaient que 1 853. Jamais, depuis la création d’Israël, l’alyah des Français n’a été aussi importante.
Le précédent pic d’immigration des juifs français en Israël remonte aux années 1968 à 1972, juste après la guerre des Six Jours. Israël avait alors conquis de larges territoires au Moyen-Orient. Hormis ce pic, 2014 est la première année où la France fournit à Israël le plus gros contingent d’immigrants juifs — la première place étant habituellement détenue par la Russie.
À bien regarder l’évolution sur les dernières années (voir graphique ci-dessus), la vague d’émigration des juifs français suit la même tendance que celle des juifs ukrainiens, confrontés à la guerre civile entre Kiev et les séparatistes pro-Russe, et une montée croissante de l’antisémitisme, comme l’a montré la diffusion d’un tract anti-juif à Donetsk. Une perspective inquiétante, mais cette montée impressionnante du nombre de départ doit être relativisée.
1. Prendre en compte le poids de la diaspora juive en France
Revenons au précédent graphique. Malgré des courbes similaires, l’émigration des juifs français n’est pas comparable à celle des juifs ukrainiens, si l’on prend en compte la taille des deux communautés. Proportionnellement, l’exode des juifs ukrainiens est beaucoup plus massif.
Selon Jewish Databank, une organisation américaine, 478 000 juifs vivaient en France au 1er janvier 2013, soit la deuxième plus importante diaspora au monde après les Etats-Unis. En Ukraine, la communauté juive est sept fois moins grande (65 000).
La proportion de juifs français qui partent en Israël est donc relativement limitée : 1,30%, contre plus de 8 % en Ukraine. Même la Russie connaît une émigration plus importante.
Malgré tout, Russie et Ukraine mis à part, ce taux de 1,30 % de juifs français qui partent reste largement supérieur à celui des autres pays occidentaux, comme l’Allemagne ou les Etats-Unis.
2. Ethiopie et ex-URSS : des vagues d’émigration juive beaucoup plus impressionnantes
Si l’émigration juive venue de France fait figure d’exception parmi les pays occidentaux, elle reste très mesurée par rapport à celle venue d’ex-URSS, dans les années 1990 à la suite de l’éclatement du bloc soviétique, ou même d’Ethiopie en 1991.
Reconnus officiellement par Israël en 1975, les juifs éthiopiens ont été massivement évacués en 1991 pour les protéger de la famine qui frappait le pays et de la dictature militaro-communiste de Mengistu Haile Mariam. En 33 heures, 14 000 d’entre eux ont quitté l’Afrique par avion pour rejoindre Israël dans le cadre de “l’opération Salomon”.
3. L’antisémitisme n’est pas la seule raison
Il est impossible de connaître précisément les causes de cette vague d’émigration des Français juifs. Mais l’antisémitisme est régulièrement mis en avant dans de nombreux témoignages, en particulier depuis les tueries de Toulouse et Montauban perpétrées par Mohamed Merah en 2012. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a annoncé mardi que le nombre d’actes antisémites a connu une progression de +101% en 2014 par rapport à 2013, avec une augmentation de 130% des violences physiques.
Dans un article paru sur Slate.fr, la journaliste Charlotte Pudlowski avance d’autres raisons possibles, en citant le président de l’Agence juive de France :
“L’émigration générale des Français ‘reflète beaucoup plus l’aliyah de manière générale que la seule question de l’antisémitisme’, acquiesce Daniel Benhaïm, président de l’Agence juive de France – qui n’évacue bien sûr pas pour autant le climat d’inquiétude : ‘On ne peut pas déconnecter les deux mouvements. Et si le nombre d’aliyahs augmente tellement, c’est en partie parce qu’on bouge beaucoup plus. Le fait de changer de pays et de changer de vie est beaucoup plus fréquent qu’avant.’ ”
L’article de Slate.fr décompte trois “profils” d’émigrés atypiques :
- Les “désabusés”, qui vont en Israël faute d’opportunités d’emploi, comme d’autres Français s’exportent à l’étranger.
- Les “émigrés économiques”, qui préfèrent le niveau de taxation plus faible en Israël et la plus grande facilité à créer des entreprises.
- Les “émigrés patrimoniaux” qui bénéficient d’une imposition du capital plus faible. Et qui comptent échapper à une nouvelle loi israélienne, qui oblige les banques à déclarer l’origine des capitaux étrangers. Un autre journaliste de Slate, Jacques Benillouche, l’explique dans son article, “L’immigration fiscale va débarquer en Israël”.
Mais pourquoi ne pas émigrer dans d’autres pays tout aussi attirants économiquement ? Slate.fr cite de nouveau M. Benhaïm, qui explique les liens particuliers qu’entretiennent les juifs français et israéliens :
“Quand les sépharades –majoritaires dans la communauté juive française– sont partis d’Afrique du Nord dans les années 1960–70, la moitié est partie en Israël et l’autre moitié en France. Les Français juifs ont donc souvent de la famille en Israël.”
Enfin, et cela est vrai pour tous les juifs qui immigrent en Israël, les aides à l’arrivée sont nombreuses et incitatives :
Capture d’écran de l’article de Charlotte Pudlowski, publié sur Slate.fr.
Photo : Un panneau “Bienvenue en Israël” à Eilat, (Creative Commons, Benjamin, Flickr)