Intégration, Justice, Politique

La sortie de prison, une route tortueuse

Dans La lente évasion, Camille Polloni raconte l'histoire d'Alain, qui apprend progressivement à vivre de l'autre côté des barreaux.

Alain est enfin libre. Depuis le 17 avril. Tombé pour traf­ic de drogue, il a réus­si à sor­tir de prison grâce à l’amé­nage­ment de sa peine. Pen­dant un an, il a été pris­on­nier en semi-lib­erté : étu­di­ant en psy­cholo­gie et employé d’un fast-food le jour, détenu la nuit. Chaque soir de semaine, il ren­tre dormir à la mai­son d’arrêt de la San­té, à Paris. Et une fois par semaine, il ren­con­tre sa con­seil­lère, Julie Buquet. Un moment priv­ilégié auquel Camille Pol­loni, jour­nal­iste à Rue89, a pu assis­ter, en toute dis­cré­tion. Elle a per­mis à Alain de partager son par­cours « avec des gens nor­maux, de l’extérieur », à tra­vers une chronique heb­do­madaire pub­liée sur un blog. Une chronique qui donne aujourd’hui lieu à un livre sous forme de jour­nal, La lente éva­sion, que l’au­teur et l’an­cien détenu présen­taient à la librairie Le thé des écrivains, mar­di 5 mai.

Humaniser les détenus

« Il l’a bien mérité »,« ces mon­stres devraient croupir der­rière les bar­reaux »… L’opinion publique est sou­vent très dure avec les détenus. Alain en a con­science. C’est pourquoi il avait peur, au début, que son his­toire soit dévoilée publique­ment. Les lecteurs ont au con­traire été bienveillants.

C’est la force du tra­vail de la jour­nal­iste : à tra­vers une his­toire sin­gulière, elle human­ise les détenus. Ce qui a été pos­si­ble, car elle a eu la chance de pou­voir pren­dre son temps, plutôt que sur­v­ol­er le thème et laiss­er les esprits ouverts aux pires fantasmes.

Tout n’est pas blanc ou noir

La lente éva­sion per­met de com­pren­dre, à tra­vers l’expérience et le ressen­ti d’Alain, les nuances du pas­sage de la prison à l’extérieur, de l’enfermement à la lib­erté. Là où l’opinion publique voit une ligne droite du mal vers le bien, il y a en fait une route tortueuse où les dif­fi­cultés ne sont pas for­cé­ment là où on l’imagine.

La pre­mière fois qu’Alain a mis les pieds en prison, il avait 18 ans. Il y a trou­vé une “famille”. Ce qui para­doxale­ment rend d’au­tant plus com­pliqué la sortie.

Car, pour les détenus, la prison peut être un cadre sécurisant : ils en con­nais­sent les codes.

Mais c’est aus­si un lieu de vio­lences et d’instabilité.

Alain a décidé de sor­tir de prison, pour« ne pas finir ses jours là-bas, une balle dans la tête », le chemin vers la rédemp­tion a été semé d’embuches. Il a eu peur de l’extérieur.

Il a dû tout réap­pren­dre : rem­plir des papiers admin­is­trat­ifs, faire les cours­es, être à l’heure au tra­vail. Pour lui qui vivait de la délin­quance,« ne pas franchir la ligne rouge et rester dans le monde de la vie hon­nête, c’est dur ».

Alain a tenu grâce à l’aide d’as­so­ci­a­tions comme l’Asso­ci­a­tion de poli­tique crim­inelle appliquée et de réin­ser­tion sociale (Apcars). Elle lui a per­mis d’avoir un toit sur la tête dans un cen­tre d’héberge­ment. C’est là-bas qu’il ren­con­trait Julie Buquet chaque semaine.

Avoir un appui à l’ex­térieur est essen­tiel pour se détach­er de l’u­nivers car­céral, comme l’ex­plique Vir­ginie Bianchi, avo­cate spé­cial­isée dans l’ac­com­pa­g­ne­ment des détenus con­damnés à de longues années de prison, dans le cadre de l’amé­nage­ment de peine. Elle signe la post­face de La lente éva­sion. Elle décrit la prison comme une insti­tu­tion total­i­taire, qui mar­que à vie.

Une autre solution est possible

Dans la post­face, Vir­ginie Bianchi écrit aus­si :« La lib­erté, con­traire­ment à ce que peu­vent penser ceux qui n’en n’ont jamais été privée, ne va pas de soi ». Les amé­nage­ments de peine comme la semi-lib­erté con­stituent un sas de tran­si­tion. Les chiffres le con­fir­ment : les risques de recon­damna­tion de libérés n’ayant béné­fi­cié d’aucun amé­nage­ment de peine sont 60% plus élevés que ceux ayant béné­fi­cié d’une libéra­tion conditionnelle.*

La prison ferme n’est donc pas tou­jours la solu­tion, elle peut aggraver les choses.

Camille Pol­loni est con­va­in­cue de l’ef­fi­cac­ité des alter­na­tives à la prison.

Un proces­sus com­plexe, effec­tive­ment, qui demande de lourds moyens. Pour Julie Buquet, tout le monde est concerné.

Une administration qui lâche prise

« Je ne réal­i­sais pas à quel point la poli­tique pénale dépendait de ces sous-trai­tances. Le suivi judi­ci­aire et la sur­veil­lance des per­son­nes placées sous main de jus­tice reste l’apanage de l’administration péni­ten­ti­aire. Mais leurs con­di­tions matérielles d’existence reposent sou­vent sur le secteur asso­ci­atif », explique Camille Pol­loni, dans l’in­tro­duc­tion de La lente évasion.

Ce soir de mai, l’assem­blée s’interroge sur les moyens qu’il faudrait don­ner à cette admin­is­tra­tion pour qu’elle fasse mieux. Car mal­gré toutes les bonnes volon­tés du per­son­nel, et des expéri­ences réussies grâce au tra­vail asso­ci­atif, les moyens man­quent, et la réflex­ion aussi.

Pour l’av­o­cate Vir­ginie Bianchi, l’administration péni­ten­ti­aire a une respon­s­abil­ité dans l’accompagnement.

L’ex­is­tence d’une con­stel­la­tion d’as­so­ci­a­tions prou­ve qu’un autre sys­tème est pos­si­ble. Un sys­tème qui ne déshu­man­is­erait pas les détenus. Le groupe­ment étu­di­ant nation­al d’en­seigne­ment aux per­son­nes incar­cérées (Genepi), par exem­ple, per­met aux pris­on­niers d’u­tilis­er leur temps d’en­fer­me­ment pour se former.

Vir­ginie Bianchi déplore le fait qu’un change­ment pro­fond est impos­si­ble à cause des alter­nances poli­tiques. Elle attend « des hommes et des femmes poli­tiques qu’ils met­tent de côté les idéolo­gies sur ce sujet cli­vant par excel­lence ». Une posi­tion partagée par Camille Pol­loni, pour laque­lle la prison n’est pas « un sujet apoli­tique».

La lente éva­sion est une approche sin­gulière d’une réal­ité de société. C’est juste­ment l’objectif de Pre­mier Par­al­lèle, la mai­son d’édition créée par Sophie Cail­lat, anci­enne jour­nal­iste de Rue89, et sa col­lègue Amélie Petit : explor­er le monde actuel. Une explo­ration recom­mandée et acces­si­ble sur papi­er, mais aus­si en ver­sion numérique pour 4€99, en cli­quant juste ici.

*Etude réal­isée sur 7000 dossiers A. Kensey et A. Benaou­da – les cahiers péni­ten­ti­aires et crim­i­nologiques – Mai 2011)