Justice, Politique

Béziers : est-il possible de révoquer un maire ?

Lors des questions au gouvernement, Cécile Duflot a demandé à Manuel Valls de suspendre par décret Robert Ménard, maire de Béziers. Entre demande d'enquête et demande d'éviction du maire d'extrême droite, quels sont les possibilités légales possibles ?

 

Robert Ménard, maire de Béziers élu avec le sou­tien du FN, doit être enten­du mer­cre­di 6 mai par la police sur le décompte des élèves musul­mans dans sa com­mune, une ini­tia­tive con­damnée jusqu’au plus haut som­met de l’E­tat. Le maire fron­tiste sera ain­si audi­tion­né par le SRPJ (Ser­vice région­al de police judi­ci­aire) à Mont­pel­li­er dans le cadre d’une enquête prélim­i­naire ouverte par le pro­cureur de Béziers pour “tenue illé­gale de fichiers en rai­son de l’o­rig­ine eth­nique”.

En plus de l’indignation provo­quée, la sail­lie de Robert Ménard a poussé plusieurs per­son­nal­ités à deman­der au gou­verne­ment, comme il en a le pou­voir, de démet­tre le maire de Béziers de ses fonc­tions. Ce mer­cre­di, Jean-Luc Mélen­chon, s’est dit “hor­ri­fié” par l’attitude de l’ancien patron de Reporters sans fron­tières (RSF) et demande une sanc­tion exemplaire.

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Lors des ques­tions au gou­verne­ment mar­di, le pre­mier min­istre Manuel Valls a été inter­pel­lé à deux repris­es à ce sujet. La députée écol­o­giste et anci­enne min­istre Cécile Duflot lui a même demandé de pren­dre per­son­nelle­ment des mesures à l’en­con­tre du maire biter­rois, afin de le sus­pendre dans ses fonc­tions. L’an­ci­enne patronne d’EELV a fait valoir:

«La loi vous per­met de sus­pendre un maire afin de met­tre fin à des com­porte­ments dont la par­ti­c­ulière grav­ité des faits est avérée. Il y a des précédents»

La révocation du maire par le gouvernement

Hormis les sit­u­a­tions d’incompatibilité ou d’inéligibilité, le maire ne peut être des­ti­tué de ses fonc­tions que par un décret pris en con­seil des min­istres. C’est la révo­ca­tion. Selon le code général des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, un maire peut effec­tive­ment être sus­pendu à l’ini­tia­tive du pre­mier min­istre, par le biais d’un décret pris en con­seil des ministres.

arti­cle 2122–16, «le maire et les adjoints, après avoir été enten­dus ou invités à fournir des expli­ca­tions écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peu­vent être sus­pendus par arrêté min­istériel motivé pour une durée qui n’ex­cède pas un mois».

Le maire, après avoir été enten­du ou invité à fournir des expli­ca­tions écrites sur les faits qui lui sont reprochés, peut être révo­qué par décret motivé pris en con­seil des ministres.

“La révo­ca­tion emporte de plein droit l’inéli­gi­bil­ité aux fonc­tions de maire et à celles d’ad­joint pen­dant une durée d’un an à compter du décret de révo­ca­tion, à moins qu’il ne soit procédé aupar­a­vant au renou­velle­ment général des con­seils munic­i­paux. Toute­fois, le maire révo­qué ne perd pas sa qual­ité de con­seiller municipal.”

Dans la let­tre de la loi, aucune pré­ci­sion sur les motifs pou­vant jus­ti­fi­er la révo­ca­tion du maire. Il ressort cepen­dant de la jurispru­dence que cette mesure ne peut inter­venir que pour des faits graves. Plus pré­cisé­ment, la révo­ca­tion ne peut être pronon­cée qu’en cas de faute du maire dans l’exercice de ses fonc­tions ou lorsque celui-ci est impliqué dans des faits, qui bien qu’étrangers à la nature de ses fonc­tions, entachent son autorité morale.

Le pouvoir de destitution par le conseil municipal

Une autre pos­si­bil­ité existe: la dis­so­lu­tion du con­seil munic­i­pal par décret motivé ren­du en con­seil des min­istres et pub­lié au Jour­nal offi­ciel (arti­cle L. 2121–6 du CGCT) qui entraîn­era l’organisation de nou­velles élec­tions munic­i­pales, et, par la suite, la désig­na­tion d’un nou­veau maire.

Ne dis­posant pas d’un pou­voir de “cen­sure”, le con­seil munic­i­pal ne peut pas des­tituer sur sa pro­pre ini­tia­tive son maire. En revanche, il peut en provo­quer sa démis­sion en émet­tant des cri­tiques néga­tives à son encon­tre ou con­train­dre le gou­verne­ment à organ­is­er de nou­velles élections.

Pour l’in­stant, c’est une autre option qui a pour l’heure été retenue par le gou­verne­ment. “J’ai demandé à la rec­trice de Mont­pel­li­er de saisir le pro­cureur de la République sur la base de l’ar­ti­cle 40 du Code de procé­dure pénale pour pro­téger les élèves de cette com­mune et met­tre un terme à ces pra­tiques qui déshon­orent leurs auteurs”, a répon­du la min­istre de l’é­d­u­ca­tion Najat-Val­laud Belckacem.

Une peine de prison à la clé

Pour l’heure, la requête de la min­istre de l’é­d­u­ca­tion auprès du rec­torat de Mont­pel­li­er a débouché sur l’ou­ver­ture d’une enquête. La CNIL et le défenseur des droits ont égale­ment été sai­sis. Une perqui­si­tion a eu lieu mar­di à la mairie de Béziers dans l’e­spoir de trou­ver trace des fichiers. Comme le stip­ule la loi du 6 jan­vi­er 1978 dite “loi infor­ma­tique et lib­ertés”, le traite­ment de don­nées “rel­a­tives aux orig­ines des per­son­nes” est stricte­ment inter­dit en France. Arti­cle 8:

“ ‘Il est inter­dit de col­lecter ou de traiter des don­nées à car­ac­tère per­son­nel qui font appa­raître, directe­ment ou indi­recte­ment, les orig­ines raciales ou eth­niques, les opin­ions poli­tiques, philosophiques ou religieuses ou l’ap­par­te­nance syn­di­cale des per­son­nes, ou qui sont rel­a­tives à la san­té ou à la vie sex­uelle de celles-ci”

La vio­la­tion de ces dis­po­si­tions peut débouch­er sur une peine de prison de cinq ans et jusqu’à 300 000 euros d’amende.

Le précédent Mamère

Si les faits reprochés au maire ne sont pas d’une grav­ité telle qu’ils doivent entraîn­er sa révo­ca­tion, mais qui néces­si­tent cepen­dant d’être sanc­tion­nés, le pre­mier min­istre peut décider de le sus­pendre de ses fonc­tions pour une durée n’excédant alors pas un mois. Le 5 juin 2004, lorsque Noël Mamère a mar­ié deux hommes, il s’est trou­vé sus­pendu par le pre­mier min­istre d’alors, Dominique de Villepin, dans les heures qui ont suivi l’u­nion en mairie.