Terrorisme

Plan Vigipirate : histoire d’une circulaire exceptionnelle devenue permanente

Adapté à 178 lieux de culte catholiques depuis le 23 avril, le Plan Vigipirate est la clé de voûte de la lutte anti-terroriste en France. Retour sur l'histoire d'un dispositif qui accompagne les Français depuis plusieurs dizaines d'années, et sans s'arrêter.

 

 

Aus­sitôt après la révéla­tion d’un atten­tat déjoué con­tre une ou deux églis­es de la région parisi­enne, le 19 avril, le gou­verne­ment a annon­cé la mise sous pro­tec­tion per­ma­nence de quelque 178 églis­es catholiques, s’a­joutant aux cen­taines de sites juifs, musul­mans et autres lieux sen­si­bles sur­veil­lés quo­ti­di­en­nement par près de 20 000 sol­dats, gen­darmes et policiers.

Depuis le 7 jan­vi­er et les atten­tats con­tre Char­lie Heb­do et l’Hy­per Cash­er de la Porte de Vin­cennes, l’Ile-de-France vit en état d’alerte max­i­male, l’alerte atten­tat, activée lors d’une “men­ace immi­nente d’un acte ter­ror­iste” — théorique­ment pour une durée “très lim­itée”.

En-dehors de la région parisi­enne, le reste du pays est revenu au pre­mier éch­e­lon, celui dit de la vigilance.

Les deux niveaux de Vigipi­rate depuis 2014. (SIG)

 

En réal­ité, Vigipi­rate aurait pu fêter ses 20 ans en 2015. Ou du moins, vingt ans d’application sans dis­con­tin­uer sur le ter­ri­toire français, si ce n’est une sus­pen­sion de deux mois entre octo­bre et décem­bre 1996. Vingt années de ser­vice, pour un dis­posi­tif en fait né dans les années 1980, et qui est depuis cette date, le quo­ti­di­en des Français.

1978 : la simple circulaire ministérielle

Vigipi­rate n’a pas tou­jours été le dis­posi­tif organ­isé qu’il est aujour­d’hui. Il tire ses orig­ines en 1978, mais à l’époque, le dis­posi­tif n’avait pas encore de nom. A ce moment-là, les gou­verne­ments français et européens sont con­fron­tés à une vague d’attentats. En Ital­ie, les Brigades Rouges enlèvent Aldo Moro, le prési­dent du par­ti de la Démoc­ra­tie Chré­ti­enne, pour le tuer un mois plus tard ; en Irlande du Nord, l’IRA tue 12 per­son­nes lors d’un atten­tat à la bombe con­tre l’hô­tel La Mon House à Belfast. En France, trois mem­bres du groupe des Fils du Sud-Liban ten­tent d’abattre les pas­sagers d’une com­pag­nie aéri­enne israéli­enne puis une prise d’otages se déroule à l’ambassade d’Irak à Paris.

Une sim­ple cir­cu­laire min­istérielle organ­ise alors un dis­posi­tif cen­tral­isé d’alertes, qui per­me­t­tent une mise en place rapi­de de pro­tec­tion à des niveaux plus locaux. Ce n’est encore qu’un brouillon.

1981 : le “plan Pirate”

En 1981, le dis­posi­tif prend un nom : c’est le plan inter­gou­verne­men­tal Pirate, qui institue l’autorité du Pre­mier min­istre sur la lutte antiter­ror­iste. Le plan vise donc à faciliter sa prise de déci­sion dans la lutte con­tre un prob­lème qui ne fait que s’accentuer : en 1980, une bombe explose devant la syn­a­gogue de la rue Coper­nic, dans des cir­con­stances qui restent encore floues trente-cinq ans plus tard. Le dis­posi­tif mobilise armée, gen­darmes et policiers dans la pro­tec­tion de cer­tains lieux sen­si­bles, comme les gares, les écoles ou les lieux de cultes.

1991 : première activation lors de la Guerre du Golfe

Mal­gré plusieurs atten­tats meur­tri­ers en 1982, dont celui de la rue des Rosiers, qui fait 6 morts et 22 blessés en plein coeur de Paris, le plan Pirate n’est activé que près de dix ans plus tard, le 2 jan­vi­er 1991. La France com­bat alors aux côtés des Etats-Unis et du Koweït dans la pre­mière Guerre du Golfe, et craint pour sa sûreté nationale. Le niveau d’alerte est inter­mé­di­aire, mais sera élevé en phase 2 le 17 jan­vi­er, date de début des frappes aéri­ennes de l’opération “Tem­pête du Désert”. Il sera levé trois mois plus tard.

1995 : Vigipirate activé lors des attentats

L’été 1995 est ponc­tué d’attaques par le GIA algérien prin­ci­pale­ment : huit en tout entre juil­let et octo­bre 1995. Le 25 juil­let, c’est l’attentat du RER B à Saint-Michel qui fera 8 morts et 117 blessés. Le plan, qui s’ap­pelle désor­mais Vigipi­rate, est déclenché, et ne sera allégé qu’en jan­vi­er 1996. En octo­bre de la même année, le plan est sus­pendu. Le répit ne sera pas long : deux mois plus tard, en décem­bre, Vigipi­rate est réac­tivé après l’attentat à la sta­tion Port-Roy­al du RER B à Paris. Et depuis, il n’a jamais été levé en France.

2003 : de jaune à écarlate, une échelle graduée

A par­tir de mars 2003, les niveaux d’alertes changent. On passe d’un sys­tème binaire “simple/renforcé” à une échelle plus graduée, basée sur un code couleur en qua­tre niveaux. Jaune, orange, rouge, écar­late étant l’alerte max­i­mum. Entre 2003 et 2005, on oscille entre les trois niveaux d’alerte. On peut y observ­er une des par­tic­u­lar­ités de ces alertes, con­servées jusqu’à aujourd’hui : elles peu­vent con­cern­er des secteurs d’ac­tiv­ité et des ter­ri­toires spé­ci­fiques, comme l’alerte rouge unique­ment dans les trans­ports ter­restres après les atten­tats de Madrid en 2005.

logo_vigipirate

2005 : alerte rouge, devenue permanente

A par­tir des atten­tats de Lon­dres en mars 2005, l’ensemble du ter­ri­toire passe en alerte rouge, pour ne jamais la quit­ter. Sauf deux excep­tions : l’alerte devien­dra “état d’urgence” lors des émeutes urbaines de novem­bre 2005, jusqu’en jan­vi­er 2006. Et, fait excep­tion­nel dans la clas­si­fi­ca­tion, le niveau d’alerte sera écar­late du 19 au 24 mars 2012 en région Midi-Pyrénées, lors des atten­tats per­pétrés à Toulouse et Mon­tauban par Mohamed Merah.

2014 : changement de l’échelle devenue obsolète

En 2014, le plan est une nou­velle fois réac­tu­al­isé, pour se débar­rass­er d’une échelle de couleurs devenu “obsolète” avec l’alerte rouge per­ma­nente depuis 2005. On retourne à une échelle à deux niveaux : “vig­i­lance” (qui peut devenir vig­i­lance ren­for­cée) et “alerte atten­tat”. D’au­tant qu’en 2007, le plan con­sid­ère la men­ace ter­ror­iste comme “per­ma­nente”.

La nou­veauté ? Une ver­sion publique du plan Vigipi­rate est mise à dis­po­si­tion des citoyens. Épurée d’une cen­taine de dis­po­si­tions “secret défense”, elle per­me­t­trait aux gens de s’approprier la lutte anti-ter­ror­iste, en met­tant en place une “cul­ture de vigilance”.

En vigueur depuis les atten­tats de Char­lie Heb­do et de l’Hy­per Cash­er, l’alerte rouge pour­rait être pro­longé au moins jusqu’à l’été. La décou­verte des pro­jets d’at­ten­tats à Ville­juif ne fait que ren­forcer ce con­stat, et pour­rait démen­tir les pro­jets de démo­bil­i­sa­tion pro­gres­sive des forces de l’ordre.

Crédit pho­tos : Rama/Wikimedia