Aussitôt après la révélation d’un attentat déjoué contre une ou deux églises de la région parisienne, le 19 avril, le gouvernement a annoncé la mise sous protection permanence de quelque 178 églises catholiques, s’ajoutant aux centaines de sites juifs, musulmans et autres lieux sensibles surveillés quotidiennement par près de 20 000 soldats, gendarmes et policiers.
Depuis le 7 janvier et les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de la Porte de Vincennes, l’Ile-de-France vit en état d’alerte maximale, l’alerte attentat, activée lors d’une “menace imminente d’un acte terroriste” — théoriquement pour une durée “très limitée”.
En-dehors de la région parisienne, le reste du pays est revenu au premier échelon, celui dit de la vigilance.
En réalité, Vigipirate aurait pu fêter ses 20 ans en 2015. Ou du moins, vingt ans d’application sans discontinuer sur le territoire français, si ce n’est une suspension de deux mois entre octobre et décembre 1996. Vingt années de service, pour un dispositif en fait né dans les années 1980, et qui est depuis cette date, le quotidien des Français.
1978 : la simple circulaire ministérielle
Vigipirate n’a pas toujours été le dispositif organisé qu’il est aujourd’hui. Il tire ses origines en 1978, mais à l’époque, le dispositif n’avait pas encore de nom. A ce moment-là, les gouvernements français et européens sont confrontés à une vague d’attentats. En Italie, les Brigades Rouges enlèvent Aldo Moro, le président du parti de la Démocratie Chrétienne, pour le tuer un mois plus tard ; en Irlande du Nord, l’IRA tue 12 personnes lors d’un attentat à la bombe contre l’hôtel La Mon House à Belfast. En France, trois membres du groupe des Fils du Sud-Liban tentent d’abattre les passagers d’une compagnie aérienne israélienne puis une prise d’otages se déroule à l’ambassade d’Irak à Paris.
Une simple circulaire ministérielle organise alors un dispositif centralisé d’alertes, qui permettent une mise en place rapide de protection à des niveaux plus locaux. Ce n’est encore qu’un brouillon.
1981 : le “plan Pirate”
En 1981, le dispositif prend un nom : c’est le plan intergouvernemental Pirate, qui institue l’autorité du Premier ministre sur la lutte antiterroriste. Le plan vise donc à faciliter sa prise de décision dans la lutte contre un problème qui ne fait que s’accentuer : en 1980, une bombe explose devant la synagogue de la rue Copernic, dans des circonstances qui restent encore floues trente-cinq ans plus tard. Le dispositif mobilise armée, gendarmes et policiers dans la protection de certains lieux sensibles, comme les gares, les écoles ou les lieux de cultes.
1991 : première activation lors de la Guerre du Golfe
Malgré plusieurs attentats meurtriers en 1982, dont celui de la rue des Rosiers, qui fait 6 morts et 22 blessés en plein coeur de Paris, le plan Pirate n’est activé que près de dix ans plus tard, le 2 janvier 1991. La France combat alors aux côtés des Etats-Unis et du Koweït dans la première Guerre du Golfe, et craint pour sa sûreté nationale. Le niveau d’alerte est intermédiaire, mais sera élevé en phase 2 le 17 janvier, date de début des frappes aériennes de l’opération “Tempête du Désert”. Il sera levé trois mois plus tard.
1995 : Vigipirate activé lors des attentats
L’été 1995 est ponctué d’attaques par le GIA algérien principalement : huit en tout entre juillet et octobre 1995. Le 25 juillet, c’est l’attentat du RER B à Saint-Michel qui fera 8 morts et 117 blessés. Le plan, qui s’appelle désormais Vigipirate, est déclenché, et ne sera allégé qu’en janvier 1996. En octobre de la même année, le plan est suspendu. Le répit ne sera pas long : deux mois plus tard, en décembre, Vigipirate est réactivé après l’attentat à la station Port-Royal du RER B à Paris. Et depuis, il n’a jamais été levé en France.
2003 : de jaune à écarlate, une échelle graduée
A partir de mars 2003, les niveaux d’alertes changent. On passe d’un système binaire “simple/renforcé” à une échelle plus graduée, basée sur un code couleur en quatre niveaux. Jaune, orange, rouge, écarlate étant l’alerte maximum. Entre 2003 et 2005, on oscille entre les trois niveaux d’alerte. On peut y observer une des particularités de ces alertes, conservées jusqu’à aujourd’hui : elles peuvent concerner des secteurs d’activité et des territoires spécifiques, comme l’alerte rouge uniquement dans les transports terrestres après les attentats de Madrid en 2005.
2005 : alerte rouge, devenue permanente
A partir des attentats de Londres en mars 2005, l’ensemble du territoire passe en alerte rouge, pour ne jamais la quitter. Sauf deux exceptions : l’alerte deviendra “état d’urgence” lors des émeutes urbaines de novembre 2005, jusqu’en janvier 2006. Et, fait exceptionnel dans la classification, le niveau d’alerte sera écarlate du 19 au 24 mars 2012 en région Midi-Pyrénées, lors des attentats perpétrés à Toulouse et Montauban par Mohamed Merah.
2014 : changement de l’échelle devenue obsolète
En 2014, le plan est une nouvelle fois réactualisé, pour se débarrasser d’une échelle de couleurs devenu “obsolète” avec l’alerte rouge permanente depuis 2005. On retourne à une échelle à deux niveaux : “vigilance” (qui peut devenir vigilance renforcée) et “alerte attentat”. D’autant qu’en 2007, le plan considère la menace terroriste comme “permanente”.
La nouveauté ? Une version publique du plan Vigipirate est mise à disposition des citoyens. Épurée d’une centaine de dispositions “secret défense”, elle permettrait aux gens de s’approprier la lutte anti-terroriste, en mettant en place une “culture de vigilance”.
En vigueur depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, l’alerte rouge pourrait être prolongé au moins jusqu’à l’été. La découverte des projets d’attentats à Villejuif ne fait que renforcer ce constat, et pourrait démentir les projets de démobilisation progressive des forces de l’ordre.
Crédit photos : Rama/Wikimedia