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Migrants : Amnesty International interpelle les dirigeants avant le sommet européen

Les ministres des Affaires étrangères européens se réunissent jeudi en sommet extraordinaire pour évoquer la question des migrants après les naufrages meurtriers des dernières semaines.

Une cinquan­taine de ros­es jaunes ont été jetées dans la Seine mer­cre­di 22 avril, en hom­mage aux migrants naufragés de Méditer­ranée. Suite à la tragédie de dimanche, où 800 per­son­nes sont décédées au large des côtes sicili­ennes, et à la veille du som­met d’urgence de Brux­elles, l’ONG de défense des droits de l’homme Amnesty Inter­na­tion­al a présen­té un bilan et un plan d’action des­tinés aux gou­verne­ments européens. Au pro­gramme : remise à flot du pro­gramme « Mare Nos­trum », déploiement de troupes navales en Méditer­ranée, sou­tien financier à Malte et à l’Italie dans leurs actions de sauvetage…

La Méditerranée, route migratoire la plus mortelle

L’ONG pose un pre­mier con­stat : si les migrants se lan­cent à l’assaut de la mer Méditer­ranée, dont la tra­ver­sée est pour­tant aus­si dan­gereuse, c’est que toutes les routes migra­toires ter­restres sont désor­mais fer­mées. Les enclaves espag­noles de Ceu­ta et de Melil­la, sur le ter­ri­toire maro­cain, sont bar­ri­cadées par des grilles de plus de six mètres de haut. L’Espagne s’est attirée les foudres de l’Union européenne, qui lui reproche de ne même pas laiss­er les migrants présen­ter leur demande d’asile.

La Bul­gar­ie, autre point d’entrée con­voité par des mil­liers de migrants, ferme égale­ment ses portes. Sous la pres­sion de l’Union européenne, le gou­verne­ment bul­gare fait ériger depuis juil­let 2013 un mur de 130 kilo­mètres de long sur sa fron­tière avec la Turquie. Plusieurs mil­liers de migrants trou­vent la mort chaque année en ten­tant d’emprunter cette route.

Lire aus­si : l’ar­ti­cle du Cour­ri­er des Balka­ns sur la fron­tière entre la Turquie et la Bulgarie

Il ne reste comme choix aux can­di­dats à l’exil que le pas­sage par la Méditer­ranée, avec tout le dan­ger que cela représente.

 

Les conséquences funestes de l’arrêt du plan « Mare Nostrum »

L’ONG déplore l’arrêt de l’opération européenne « Mare Nos­trum » fin 2014. Cette opéra­tion mil­i­taire et human­i­taire avait été lancée par l’Italie en 2013, à la suite du naufrage trag­ique de Lampe­dusa, qui avait causé la mort d’au moins 350 per­son­nes. Les 9 mil­lions d’euros men­su­els néces­saires étaient sup­port­és qua­si­ment exclu­sive­ment par l’Italie, à qui l’Union européenne n’apportait qu’une aide très réduite.

Stephan Ober­re­it, directeur général d’Amnesty France :

Pour Amnesty Inter­na­tion­al, la hausse du nom­bre de migrants qui ten­tent de rejoin­dre l’Europe est directe­ment liée à l’arrêt du plan de sauve­tage. Env­i­ron 24 000 per­son­nes auraient rejoint l’Italie depuis qua­tre mois.

L’opération « Mare Nos­trum » a per­mis de sec­ourir plus de 166 000 per­son­nes en 2014. Depuis le début de l’année, et en comp­tant les chiffres des vic­times du week-end, quelque 1 700 per­son­nes sont mortes, soit 100 fois plus qu’au cours de la même péri­ode en 2014.

« L’objectif de Triton n’est pas d’être une opération de sauvetage »

L’Europe mène actuelle­ment en Méditer­ranée l’opération Tri­ton. Sous le patron­age de l’agence européenne Fron­tex, elle a rem­placé, depuis novem­bre 2014, l’opération « Mare Nos­trum ». Or, d’après Jean-François Dubost, respon­s­able des migra­tions à Amnesty International :

L’opération Tri­ton est lim­itée parce que son objec­tif n’est pas un objec­tif de sauvetage.Elle a pu sauver quelque 3 000 vies en 2014, mais tout à fait par hasard.

Tri­ton a pour objec­tif affiché de con­trôler les fron­tières européennes et non de sur­veiller les 2,5 mil­lions de km² de la Méditer­ranée. Les patrouilles de ses navires se lim­i­tent aux abor­ds des côtes ital­i­ennes et mal­tais­es, sou­vent loin des endroits où les bateaux des migrants chavirent. Tri­ton sem­ble même avoir du mal à assur­er son rôle de con­trôle des fron­tières : entre novem­bre 2014 et avril 2015, elle n’a arraison­né qu’un seul bateau trans­portant une tonne et demie de drogue.

Com­para­i­son des moyens des opéra­tions Fron­tex et Tri­ton. Source : Amnesty International

 

25% de rescapés secourus par des navires marchands

Jean-François Dubost dénonce le poids trop impor­tant lais­sé sur les épaules de l’Italie, de Chypre et des navires marchands.

Des cen­taines de per­son­nes meurent, soit parce que les forces mal­tais­es sont occupées par l’opération Tri­ton, soit parce que l’Italie est débor­dée et ne dis­pose pas des capac­ités et des ressources pour courir d’un naufrage à l’autre, soit parce que l’Union européenne laisse les navires com­mer­ci­aux inter­venir en mer.

En 2014, env­i­ron 25% des migrants rescapés ont été sauvés grâce aux navires com­mer­ci­aux. Le 31 mars, les syn­di­cats du trans­port mar­itime ont pub­lié un com­mu­niqué dénonçant ce contexte :

La façon dont la com­mu­nauté inter­na­tionale se repose de plus en plus sur les navires marchands et les marins pour effectuer des sauve­tage en mer est inacceptable.

 D’après l’UNHCR, les navires marchands pren­nent désor­mais de nou­velles routes pour éviter les flux de migrants et les pertes finan­cières qui résul­tent de leur sauve­tage. Le plus sou­vent, ces bateaux n’ont de vivres que pour une ving­taine de per­son­nes et doivent en sec­ourir une centaine.

La marine ital­i­enne sec­ourt la majorité des migrants en Méditerranée

Graph Marine

 

Que pourrait faire l’UE ?

« Il aura fal­lu atten­dre 3 400 morts en 2014, 1 000 morts en ce début d’année, pour que l’U­nion européenne se décide enfin à con­vo­quer un som­met excep­tion­nel à Brux­elles pour trou­ver une solu­tion à la sit­u­a­tion des migrants », s’indigne la prési­dente d’Amnesty inter­na­tion­al, Geneviève Gar­ri­gos. L’action de l’Union européenne est lour­de­ment cri­tiquée par l’ONG et Jean-François Dubost :

« Il y a un défaut de volon­té poli­tique et de sol­i­dar­ité poli­tique. L’UE s’est enfer­mée dans un dis­cours qui fait des réfugiés des per­son­nes indésir­ables. Il est com­pliqué de sor­tir de cette logique. Il y a trop peu d’Etats en pre­mière ligne : l’Italie, l’Espagne la Grèce, la Bul­gar­ie… Le reste de l’UE n’en a que faire, il n’y a pas de sol­i­dar­ité entre le nord et le sud. »

L’ONG souhaite que l’Union européenne s’investisse d’avantage dans le sauve­tage des migrants, en déploy­ant des ressources navales et aéri­ennes le long des routes migra­toires et en appor­tant un sou­tien financier et logis­tique à l’Italie et à Malte. Jean-François Dubost insiste sur la néces­sité d’ouvrir des routes légales de migra­tion et de faciliter le droit d’asile :

Jean-François Dubost, respon­s­able des migra­tions chez Amnesty International :

Le plan prôné par Amnesty per­me­t­traient peut-être d’éviter ces mil­liers de morts. Mais seule l’Eu­rope peut apporter des solu­tions pérennes : les clefs sont entre les mains des min­istres des Affaires étrangères.