Intégration

Porc à la cantine : “Face à la montée du FN, le politiquement incorrect est à la mode”

La polémique suscitée par l'interdiction de menus sans porc dans les écoles relance l'éternel débat sur la place des musulmans en France. Entre intégration et assimilation, la question déchire la classe politique. Décryptage.

Quelle place pour les reven­di­ca­tions com­mu­nau­taires en France ? Au nom de la laïc­ité, la ville de Chalon-sur-Saône a décidé d’im­pos­er un menu unique à tous ses élèves. En clair, plus de menu sans porc, même pour ceux – essen­tielle­ment musul­mans ou juifs – qui n’en man­gent pas.

Invité au jour­nal de TF1 mar­di soir, le prési­dent de l’UMP Nico­las Sarkozy a salué la mesure. Si la République ne fait pas respecter les règles, ce n’est plus la République”, a‑t-il justifié.

Une posi­tion qui se rap­proche de celle du Front nation­al, par­ti­san d’une appli­ca­tion extrême­ment stricte de la laïcité.

Com­ment expli­quer une telle prise de posi­tion ? L’UMP est-elle devenu un par­ti assim­i­la­tion­niste ? Nous avons inter­rogé Raul Mag­ni-Berton, pro­fesseur à l’In­sti­tut d’é­tudes poli­tiques de Greno­ble et spé­cial­iste des ques­tions d’immigration.

3millions7. La sortie de Nicolas Sarkozy sur le porc à la cantine traduit-elle une conviction profonde ou est-elle simplement un coup de com ?

Raul Mag­ni-Berton. Nico­las Sarkozy reprend les thé­ma­tiques de l’ex­trême droite, à des fins sans doute élec­toral­istes. En tout cas, son dis­cours a claire­ment évolué au cours des dix dernières années. Lorsqu’il était min­istre de l’In­térieur, il avait une posi­tion beau­coup plus favor­able au mul­ti­cul­tur­al­isme, inspirée dans une cer­taine mesure des États-Unis ou du Roy­aume-Uni. S’il avait soutenu l’in­ter­dic­tion du voile à l’é­cole, il avait en revanche con­tribué à organ­is­er et struc­tur­er un islam de France, avec la créa­tion du Con­seil français du culte musul­man en 2003.

C’est au cours de son man­dat prési­den­tiel et lors de la cam­pagne de 2012 que son dis­cours a peu à peu évolué, pour se rap­procher de celui du Front nation­al. Le débat sur l’i­den­tité nationale, le dur­cisse­ment des con­di­tions d’ac­cès à la nation­al­ité française et la dénon­ci­a­tion du prosé­lytisme musul­man sont le reflet de cette dérive droitière.

Depuis l’en­tre-deux-tours de 2012, Nico­las Sarkozy ne par­le d’ailleurs plus d’in­té­gra­tion. Il préfère le terme plus pré­cis d’assim­i­la­tion, qui a aus­si l’a­van­tage d’être plus clivant.

Ce n’est pas pour autant que Nico­las Sarkozy est devenu com­plète­ment assim­i­la­tion­niste. En fait, il n’a pas une posi­tion très claire sur le sujet. Son par­ti, l’UMP, tient une posi­tion dif­férente de celle du FN, en priv­ilé­giant une lec­ture économique de l’in­té­gra­tion, plutôt qu’i­den­ti­taire. La droite voit une par­tie des immi­grés ou des descen­dants d’im­mi­grés, et en par­ti­c­uli­er ceux qui sont peu ou pas qual­i­fiés, comme un poids pour la société et les ser­vices soci­aux. À l’in­verse, le FN les perçoit comme une men­ace, à la fois pour l’é­conomie mais aus­si pour l’i­den­tité nationale. Nico­las Sarkozy entre­tient l’ambigüité.

3millions7. Pourquoi les menus sans porc à la cantine suscitent-t-ils une telle polémique ?

R. M.-G. La France n’est pas le seul pays occi­den­tal à s’in­ter­roger sur la place des musul­mans dans la société. Au Cana­da, des débats sont régulière­ment lancés pour définir des ‘arrange­ments raisonnables’, per­me­t­tant à cha­cun de per­pétuer ses tra­di­tions tout en respec­tant les règles com­munes. En Aus­tralie, un groupe d’athées avait beau­coup fait par­ler de lui en tour­nant en ridicule les reven­di­ca­tions com­mu­nau­taires, qu’elles soient juives, musul­manes, chré­ti­ennes ou bouddhistes.

En France, l’É­tat est présent à tous les niveaux de la vie sociale, et tout est donc très poli­tique. Les écoles et les can­tines sont sub­ven­tion­nées par l’ar­gent pub­lic. Toute reven­di­ca­tion devient dès lors un enjeu col­lec­tif : cha­cun estime avoir un droit de regard sur ces presta­tions. Servir les préférences de tel ou tel groupe coûte plus cher à la col­lec­tiv­ité et ajoute un niveau de com­plex­ité supplémentaire.

3millions7. Allons-nous vers un modèle d’intégration plus assimilationniste ?

R. M.-G. Le con­cept d’as­sim­i­la­tion refait sur­face dans le débat pub­lic pour dénon­cer les modes d’in­té­gra­tion des années 1970 et 1980, lorsque la France a accueil­li une vague sans précé­dent d’im­mi­gra­tion économique. Venus de cul­tures par­fois éloignées de la cul­ture nationale, sou­vent peu qual­i­fiés, ils n’ont pas été assim­ilés aus­si facile­ment que les Polon­ais, les Russ­es et les Ital­iens des décen­nies précédentes.

La gauche, au pou­voir dans les années 1980 et 1990, a d’ailleurs lut­té pour impos­er le terme d’inté­gra­tion, jugeant les poli­tiques d’as­sim­i­la­tion trop exclu­antes. En effet, le mot implique de con­cevoir l’i­den­tité française comme quelque chose de figé, qui s’ac­com­mode mal des tra­di­tions venues d’ailleurs.

Pen­dant ces deux décen­nies, la pri­or­ité a été de faciliter l’ac­cès des immi­grés au tra­vail et à l’é­d­u­ca­tion, pas de les fon­dre dans la com­mu­nauté nationale. Seule l’ex­trême droite prô­nait encore l’assim­i­la­tion.

Les dif­fi­cultés économiques per­sis­tantes et l’aug­men­ta­tion du chô­mage ont changé la donne. De nom­breux électeurs ont com­mencé à soutenir les thès­es du FN, attribuant la respon­s­abil­ité de la crise aux immi­grés. Ils se sont ensuite naturelle­ment attaqué aux signes les plus vis­i­bles de l’im­mi­gra­tion, en par­ti­c­uli­er les dif­férences cul­turelles comme le voile ou les inter­dits alimentaires.

Face à la mon­tée du FN, la droite comme une par­tie de la gauche a mus­clé son dis­cours sur l’im­mi­gra­tion, reje­tant le poli­tique­ment cor­rect des années 1980. Le poli­tique­ment incor­rect est devenu à la mode, une façon d’être audi­ble et de ten­ter de ramen­er ces électeurs vers les par­tis traditionnels.

Pho­to d’en-tête : Pieter Kuiper (Wiki­me­dia).