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« Ici on est plus l’Equipe et Midi Olympique que Charlie Hebdo »

Plancher sur « l’engagement citoyen et l’appartenance républicaine ». C’est la vaste mission confiée par François Hollande au président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, et à des députés de tous bords politiques, à la suite des attentats de janvier. Ce vendredi, ils sont venus écouter les doléances des lycéens du Béarn, qui ne se sentent pas forcément concernés par les évènements.

De notre envoyé spé­cial dans les Pyrénées-Atlantiques.

Mathilde est en Ter­mi­nale L. Ce ven­dre­di après-midi, dans une salle bondée du lycée Albert-Camus à Mourenx, elle n’a pas hésité à dénon­cer “l’image de l’État (qui) fait honte par­fois aux jeunes”. “L’É­tat” dont par­le Mathilde, ce sont les hommes poli­tiques, et ces hommes poli­tiques se tien­nent devant elle.

L’É­tat, ce ven­dre­di là, c’é­tait Claude Bar­tolone et une délé­ga­tion de six députés, venus dans le Béarn pour “sor­tir de l’ag­i­ta­tion parisi­enne” et con­sul­ter les lycéens de Mon­tar­don et Mourenx sur la citoyen­neté, l’engagement ou la démocratie.

“On a moins ressenti de peine que les Parisiens”

D’après Mathilde, “c’est une bonne idée que les députés soient venus ici, pour qu’ils con­nais­sent les véri­ta­bles prob­lèmes”. Quand on évoque les évène­ments post-atten­tats, une gêne est per­cep­ti­ble chez la jeune femme.

Une centaine d'élèves ont débattu avec les députés, ce vendredi après-midi à Mourenx. (Jérémie Lamothe /CFJ)
Une cen­taine d’élèves ont débat­tu avec les députés, ce ven­dre­di après-midi à Mourenx. (Jérémie Lamothe /CFJ)

Pour elle, tout cela “a pris une énorme ampleur, un peu trop même. Des gens, com­ment dire… ‘faux-cul’, ont acheté le jour­nal après les atten­tats alors qu’ils ne l’avaient jamais fait. Per­son­ne ne défendait Char­lie Heb­do avant ce qui leur est arrivé”, regrette-t-elle.

Ce malaise par rap­port aux évène­ments de jan­vi­er a été per­cep­ti­ble toute la journée chez les lycéens béar­nais. Ven­dre­di matin, la délé­ga­tion s’est ren­due à Mon­tar­don, vil­lage de 2 000 habi­tants. En arrivant dans le lycée agri­cole, vieux de 50 ans, on aperçoit, au loin, les Pyrénées qui sur­gis­sent et des champs à perte de vue. La fron­tière espag­nole n’est plus très loin.

Les atten­tats qui se sont déroulés à Paris sem­blent bien éloignés. Pour Thomas, 27 ans et opéra­teur de pro­duc­tion au lycée agri­cole, “on a moins ressen­ti de peine que les Parisiens. Le fait qu’on soit à 800 kilo­mètres de Paris, ça a joué.”

“Refaire le point sur la liberté d’expression et la liberté de la presse”

Même sen­sa­tion chez Charles, 18 ans :

“Moi je vis dans la Val­lée d’Aspe, c’est un coin très reculé, ça n’a pas for­cé­ment touché tout le monde.”

Un sen­ti­ment que con­firme Pas­cal Lopez, directeur de l’atelier péd­a­gogique agroal­i­men­taire du lycée de Mon­tar­don : “L’émotion est passée plus vite qu’à Paris. Toute l’atmosphère qu’il peut y avoir là bas quo­ti­di­en­nement, on ne l’a pas ici. Il n’y a pas de visuel anx­iogène.” Il poursuit :

“Moi, par exem­ple, je n’ai jamais acheté Char­lie Heb­do. Et puis il ne faut pas se men­tir, ici on est plus l’Équipe ou Midi Olympique que Char­lie Hebdo.”

La table ronde organ­isée entre des lycéens du Béarn, Claude Bar­tolone et plusieurs députés. (Jérémie Lamothe / CFJ)

Mais pour Pas­cal Lopez, la venue du prési­dent de l’Assemblée nationale a per­mis de repar­ler des notions de citoyen­neté et d’engagement :

“On a prof­ité de cette journée pour relancer le débat sur la citoyen­neté avec les élèves. Ça a égale­ment per­mis de refaire le point sur la lib­erté d’expression et la lib­erté de la presse. C’est une bonne chose qu’il soit venu.”

À Mourenx, Robin, actuelle­ment en bac pro ges­tion des milieux naturels et de la faune, n’a lui non plus pas appré­cié les suites des atten­tats : Beau­coup n’avaient jamais acheté Char­lie Heb­do avant. J’ai un ami qui s’est fait arracher son Char­lie Heb­do alors qu’il allait l’acheter, c’est allé beau­coup trop loin…”

“On connaissait Claude Bartolone, on l’a vu au Petit journal”

Le dis­cours de Robin est bien rodé. Pour cause, ça fait près d’un an et demi qu’il est adhérent du par­ti de Nico­las Dupont-Aig­nan, Debout la France. Pour lui, l’unité nationale affichée après ces évène­ments n’étaient qu’artificielle :

“L’unité nationale, d’accord mais on accepte le Front nation­al alors. Là on a pas voulu les inviter pour la marche donc il n’y avait pas d’unité nationale.”

La venue du prési­dent de l’Assemblée nationale a égale­ment per­mis d’échanger sur l’engagement poli­tique chez ces lycéens béarnais.

Charles et Lucas “con­nais­saient Claude Bar­tolone, on l’a vu au Petit jour­nal”. Ces deux jeunes de Mon­tar­don suiv­ent la poli­tique, mais “en tant qu’agriculteur, notam­ment sur les sujets qui nous con­cer­nent comme l’Eu­rope avec la poli­tique agri­cole commune.”

Charles et Lucas, élèves à Mon­tar­don, comptent bien aller vot­er pour les élec­tions départe­men­tales (Jérémie Lamothe /CFJ)

Comptent-ils vot­er pour les départe­men­tales ? “Ah oui, il faut qu’on regarde les can­di­dats qui vont se présen­ter. Mais il faut vot­er, il faut y aller.”

Mais pour Clé­men­tine, en BTS amé­nage­ment paysagé au lycée agri­cole de Mon­tar­don, l’engagement poli­tique n’est pas for­cé­ment le meilleur moyen de faire avancer les choses :

“Je ne suis pas très con­va­in­cue quand je vote. Je préfère davan­tage les actions citoyennes que les poli­tiques, c’est plus effi­cace. Aujourd’hui c’est bien qu’ils vien­nent voir ce qu’il passe con­crète­ment. Mais c’est trop rare…”

Pho­to d’en tête : Pas­cal Lopez, directeur de l’atelier péd­a­gogique agroal­i­men­taire du lycée de Mon­tar­don en com­pag­nie de Claude Bar­tolone (Jérémie Lamothe / CFJ)