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Cachez ces mosquées que la Ligue du Nord ne saurait voir

En Italie, les attentats de janvier n’ont pas fait que des malheureux. La Ligue du Nord a surfé sur l’émotion pour faire passer une loi anti-mosquée en Lombardie. Une loi d’autant plus étrange que le pays est plutôt dépourvu de lieux de culte destinés aux musulmans.

Nous pen­sons à ce qui est arrivé en France il y a quelques jours. Nous pen­sons à ce qui est en train de se pass­er dans tous les pays où les jeunes, enrôlés dans cer­taines mosquées, vont com­bat­tre pour l’Etat islamique.” Ric­car­do De Cora­to, chef de file du par­ti Fratel­li d’Italia en Lom­bardie, allié de la Ligue du Nord à la tête de cette région, ne s’en cache pas. “Les principes de plan­i­fi­ca­tion de l’équipement pour les ser­vices religieux”, votés le 27 jan­vi­er par la région Lom­bardie, visent directe­ment les mosquées et l’argument est celui de la “sécu­rité”.

Très vite rebap­tisée “loi anti-mosquée”, cette régle­men­ta­tion était dis­cutée depuis plusieurs mois. Elle prévoit de lim­iter la con­struc­tion de tout édi­fice religieux, en imposant cer­taines normes et une “con­sul­ta­tion régionale”. Vu l’équilibre des forces poli­tiques en Lom­bardie — dirigée par Rober­to Maroni, ancien secré­taire fédéral de la Ligue du Nord, par­ti con­nu pour ses posi­tions con­tre les musul­mans — il paraît dif­fi­cile d’imaginer la con­struc­tion d’une nou­velle mosquée sur ce ter­ri­toire. Cette loi a même été prévue pour blo­quer l’édification d’un tel lieu de culte à Milan.

Un “coup politique” contre l’islam

Avec les actes ter­ror­istes de Paris, le vote, obstrué trois fois aupar­a­vant, s’est finale­ment déblo­qué. “Les atten­tats en France ont déjà prof­ité à la Ligue du Nord et le vote de cette loi le prou­ve. Met­tre sur le même plan mosquées, immi­gra­tion et atten­tats, c’est un gros avan­tage élec­toral”, explique Ste­fano Allievi, pro­fesseur de soci­olo­gie à l’université de Padoue, qui a super­visé une enquête sur la con­struc­tion de mosquées en Europe.

Si la polémique autour de l’islam n’est pas nou­velle pour la Ligue du Nord, les atten­tats “nel cuore dell’Europa” (dans le cœur de l’Europe, ndlr), expres­sion util­isée dans les médias ital­iens, donne de nou­velles billes à ce par­ti qui cherche à ravir la place de pre­mière for­ma­tion de droite. “En Ital­ie, les atten­tats ont par­ticipé à la con­struc­tion médi­a­tique d’une fig­ure de dan­ger de l’islam, qui se sura­joute aux images des con­flits en Syrie et en Irak. Le vote de la loi anti-mosquée est un coup poli­tique qui per­met de garan­tir que le thème de l’islam restera en tête de l’agenda poli­tique”, con­firme Hervé Rayn­er, enseignant-chercheur en sci­ences poli­tique à l’université de Lau­sanne et spé­cial­iste de l’Italie.

Les atten­tats expliquent aus­si le qua­si-silence qui a suivi l’adoption de cette loi. Comme le racon­te Ste­fano Allievi : “Il n’y a pas eu de man­i­fes­ta­tions des musul­mans dans les rues car le moment n’est pas favor­able pour eux. Même si leur reven­di­ca­tion aurait été légitime, car cette loi est lib­er­ti­cide”.

Seulement six mosquées officielles

Des voix de léguistes, les par­ti­sans de la Ligue du Nord, se sont élevées dans le Pié­mont pour deman­der l’adoption d’une loi sim­i­laire. Le Vene­to, autre région tenue par le par­ti, “pour­rait être ten­té de le faire mais la Ligue n’est pas dans une bonne pos­ture en ce moment”, analyse Hervé Rayn­er. La loi anti-mosquée pour­rait donc paraître presque anec­do­tique car cir­con­scrite à une région. D’au­tant plus qu’elle sera “sûre­ment déclarée incon­sti­tu­tion­nelle”, selon Ste­fano Allievi. Mais elle s’inscrit dans une ten­dance durable de lutte con­tre l’édification de mosquées en Italie.

Selon une enquête menée par La Repub­bli­ca en décem­bre dernier, qui se base sur les dernières sta­tis­tiques con­cer­nant le nom­bre de mosquées et de musul­mans en Ital­ie, il y aurait seule­ment six mosquées offi­cielles, qua­tre avec minarets et deux dans des bâti­ments réha­bil­ités, en Ital­ie pour plus d’1,6 mil­lions de musul­mans dans la Péninsule.

Carte des mosquées offi­cielles en Ital­ie (Mar­i­on Lot)

En cause : l’absence de “con­trat” entre l’État et les autorités religieuses musul­manes, deux­ième reli­gion du pays, qui laisse le dossier des lieux de culte de l’is­lam entre les mains des munic­i­pal­ités. De nom­breux chantiers sont blo­qués et devi­en­nent des enjeux poli­tiques, qui oscil­lent entre le oui et le non en fonc­tion des ori­en­ta­tions poli­tiques des élus qui se succèdent.

Prière de rester sur le parking

A cause de ces blocages, les lieux de cultes non offi­ciels pro­lifèrent. Selon le dernier décompte des ser­vices de police, effec­tué en 2010, il y aurait env­i­ron 164 mosquées et 222 lieux de culte ad hoc dans la Pénin­sule. Anciens gym­nas­es, super­marchés, entre­pôts, caves ou même park­ings sont util­isés par des musul­mans pour prier, comme l’a mon­tré le pho­tographe Nicolò Degior­gis avec son livre Hid­den Islam, pub­lié en mars dernier.

Cette dif­fi­culté à accepter l’ouverture de lieux de culte musul­mans, encore plus grande que dans le reste de l’Europe, est à chercher selon Hervé Rayn­er dans l’importance de l’Église catholique qui “a qua­si­ment la place de reli­gion offi­cielle”. Une place incon­testée jusqu’à la fin des années 1980, date à par­tir de laque­lle de nom­breux migrants com­men­cent à arriv­er en Ital­ie et à installer l’islam dans le paysage religieux.

Dans cette Ital­ie con­fron­tée à ce qui est, selon le poli­to­logue “le change­ment social le plus mas­sif (…) ces dernières années”, les crispa­tions se sont con­cen­trées sur les man­i­fes­ta­tions les plus vis­i­bles de l’islam. Dont les mosquées. Ce qui n’empêche pas, comme l’a noté l’historien John Foot, spé­cial­iste de l’Italie, qu’il s’agit désor­mais d’“un pays mul­ti­cul­turel et mul­tire­ligieux, même s’il ne veut pas l’être”. La Ligue du Nord aura beau vouloir cacher les mosquées, cela ne les empêchera pas d’exister.

Pho­to d’en-tête : la Grande Mosquée de Rome (LPLT/Wikimedia Commons)