Religion / Laïcité

Après Charlie, le ras-le-bol des athées qui se sentent oubliés

Ils sont près de 30% de la population française mais sont quasi absents des médias et du débat public depuis les attentats qui ont frappé la France début janvier. Les athées – ceux qui ne croient pas en l'existence d'un Dieu – ressentent, dans ce contexte, le besoin de réaffirmer leur présence, d'expliquer leur démarche ou de brandir leurs valeurs. Personnalités publiques ou illustres inconnus : tour d'horizon des arguments qui expliquent leur ras-le-bol.

Depuis que l’on sait que les tueurs de Char­lie Heb­do et de l’Hy­per Cacher sont des extrémistes musul­mans qui ont tué “au nom d’Al­lah”, les reli­gions, au pre­mier rang desquelles l’is­lam, sont au cœur de tous les débats. Entre rejet de l’a­mal­game et deman­des de jus­ti­fi­ca­tions, inter­ro­ga­tions sur le con­tenu du Coran et décryptage de l’embrigadement vers le jihad, ques­tions de com­pat­i­bil­ité entre l’is­lam et les valeurs de la République… Les musul­mans ont été large­ment sol­lic­ités et ont répon­du nom­breux à l’appel.

Or, en face, sur les plateaux télé, se trou­vent presque exclu­sive­ment des représen­tants des reli­gions juive ou catholique – prob­a­ble­ment pour des ques­tions jour­nal­is­tiques d’équili­bre du temps de parole. A‑t-on don­né suff­isam­ment la parole aux athées ? Les prin­ci­paux intéressés se plaig­nent que non, à l’in­star du médecin sex­o­logue Yves Fer­roul, dans un arti­cle inti­t­ulé: “Char­lie Heb­do : et l’hom­mage aux athées ? Sans eux la France n’ex­is­terait pas!” (L’Obs Le Plus).

Pour un athée, comme moi, le spec­ta­cle du rassem­ble­ment du dimanche 11 jan­vi­er et les com­men­taires des jour­nal­istes – sur le moment même et les jours suiv­ants – étaient hal­lu­ci­nants : il n’y en avait que pour les reli­gions et les croy­ants (sauf quelques pan­car­tes). Les poli­tiques ont surenchéri, et le tout fut couron­né par des céré­monies religieuses ! Mais où étaient les hom­mages aux athées ?

Les athées, “grands absents” des médias, alors même que les dessi­na­teurs de Char­lie Heb­do se revendi­quaient eux-même sans reli­gion ? Ces derniers jours, ils ont trou­vé leurs fig­ures de proue, à l’in­star de l’hu­moriste Nico­las Bedos, de l’homme poli­tique Jean-Luc Mélen­chon ou du dessi­na­teur Riss, qui ont réaf­fir­mé haut et fort leur ras-le-bol face au mono­pole des reli­gions sur le débat public.

Un sentiment de marginalisation

Pour­tant majori­taires, l’ab­sence de vis­i­bil­ité encour­age chez les athées un sen­ti­ment d’ex­clu­sion et une colère vis-à-vis de l’ac­ca­pare­ment médi­a­tique des religieux, exprimé par le cofon­da­teur du Par­ti de gauche, Jean-Luc Mélen­chon, dans l’émis­sion “Les Grandes ques­tions” du 25 jan­vi­er sur France 5 :

(…) la masse immense des athées qui représente la majorité des Français, en a par dessus la tête d’être prise en otage de ces dis­putes religieuses qui la saoulent.

Un ressen­ti­ment qu’a égale­ment tenu à soulign­er l’hu­moriste Nico­las Bedos, sur le plateau de l’émis­sion “On n’est pas couchés” le 7 févri­er sur France 2, dans des ter­mes plus crus :

Si je suis venu ce soir, c’est pour défendre une cause. Celle d’une com­mu­nauté qui souf­fre dans l’in­dif­férence qua­si générale des médias français. En effet, à longueur de journée et à lour­deur de jour­naux, on nous tapisse le bulbe avec les juifs, les catholiques, les musul­mans, mais qu’en est-il exacte­ment de ces orphe­lins de Dieu que l’on appelle non sans mépris, les non croy­ants ? Qui pense à eux en ce moment ? (…)

La peur de disparaître ?

D’après une étude menée en 2007 (Phil Zuck­er­man, « Athe­ism: Con­tem­po­rary Rates and Pat­terns »), la France se situerait au 8e rang mon­di­al des pays où le nom­bre d’athées est, pro­por­tion­nelle­ment, le plus élevé au monde — der­rière la Suisse, le Viet­nam, le Dane­mark, la Norvège, le Japon, la République Tchèque et la Fin­lande . Si l’athéisme était une reli­gion, elle serait donc aujour­d’hui la qua­trième du monde, der­rière l’Is­lam, le chris­tian­isme et l’hindouisme.

Crédit : Lucile Berland, by Datawrapper.
Crédit : Lucile Berland, by Datawrapper.

Toute­fois, l’athéisme est en perte de vitesse depuis qua­tre décen­nies. Si la pro­por­tion d’athées dans le monde a été mul­ti­pliée par 100 de 1900 à 1975 (de 0,2 à 20%), elle perd peu à peu du ter­rain depuis. Comme le mon­tre le “Chiffro­scope” du 20 octo­bre 2012 dif­fusé sur Canal +, les esti­ma­tions indiquent que le pour­cent­age d’athées pour­rait descen­dre à 8% d’i­ci 2050.

La laïcité comme clé de réconciliation

Autre objet d’in­com­préhen­sion et de colère des athées : la mau­vaise com­préhen­sion de la part des religieux du con­cept de laïc­ité, com­pris comme un “rejet en bloc” de toute reli­gion. Une con­fu­sion des esprits, sou­vent entretenue par les médias et les per­son­nal­ités poli­tiques ou religieuses elles-mêmes, qui ont par­fois du mal à dif­férenci­er les deux notions, ce qui freine un peu plus le débat et empêche de trou­ver des ter­rains d’entente.

Dans un arti­cle inti­t­ulé “Met­tons la laïc­ité au ser­vice de l’intégration et non de la stig­ma­ti­sa­tion, Pierre Khal­fa et Gus­tave Mas­si­ah (mem­bres du Con­seil sci­en­tifique du groupe alter­mon­di­al­iste Attac) expliquent que cette con­fu­sion est d’au­tant plus nuis­i­ble, qu’elle prof­ite en pre­mier lieu aux religieux :

(…) la laïc­ité n’est pas l’athéisme, mais au con­traire le respect de la lib­erté de con­science… et donc la lib­erté d’appartenir à une reli­gion ou pas, si l’on est athée ou agnostique.

Car, selon ses défenseurs, c’est le principe de laïc­ité  qui per­met à la République de ren­dre égaux devant la loi ses citoyens issus de toutes con­fes­sions. Non équiv­a­lent à une stig­ma­ti­sa­tion des reli­gions ou à leur rejet pur et sim­ple, comme le pré­ten­dent par­fois les représen­tants religieux, il induit depuis la loi de sépa­ra­tion de l’Église en 1905, que l’É­tat français n’a pas de reli­gion offi­cielle (con­traire­ment à la plu­part des pays du monde) et qu’il ne pren­dra jamais par­tie pour un citoyen plus qu’un autre, à cause de sa confession.

En ce sens, la laïc­ité rend pos­si­ble la cohab­i­ta­tion de toutes les pos­tures, religieuses ou non, au sein de la République, comme le défend Yves Fer­roul, médecin déjà cité :

Être laïc c’est, tout compte fait, refuser de se référ­er à Dieu pour fonder les règles de la vie com­mune. Aucun pays qui se réfère à un Dieu ne pro­cure une entière lib­erté à cha­cun de ses citoyens. En s’opposant à la dom­i­na­tion de la pen­sée religieuse, la laïc­ité, fruit de la pen­sée athée, garan­tit la pos­si­bil­ité de vivre tous ensem­ble avec nos différences.

C’est donc dans un con­texte de ten­sions religieuses exac­er­bées que cer­tains athées font enten­dre leur voix sin­gulière. Pour eux, seul le principe de laïc­ité – une fois clar­i­fié – peut réc­on­cili­er durable­ment religieux et non-religieux. L’a­van­tage du con­cept, au moins, est qu’il n’ex­clut personne.

Pho­to d’en-tête :  Rassem­ble­ment du 11 jan­vi­er 2015, place de la République à Paris. Der­rière la croix des catholiques, le crois­sant des musul­mans et l’é­toile des juifs et le sym­bole peu con­nu des athées (3millions7 / L. Berland)