Depuis que l’on sait que les tueurs de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher sont des extrémistes musulmans qui ont tué “au nom d’Allah”, les religions, au premier rang desquelles l’islam, sont au cœur de tous les débats. Entre rejet de l’amalgame et demandes de justifications, interrogations sur le contenu du Coran et décryptage de l’embrigadement vers le jihad, questions de compatibilité entre l’islam et les valeurs de la République… Les musulmans ont été largement sollicités et ont répondu nombreux à l’appel.
Or, en face, sur les plateaux télé, se trouvent presque exclusivement des représentants des religions juive ou catholique – probablement pour des questions journalistiques d’équilibre du temps de parole. A‑t-on donné suffisamment la parole aux athées ? Les principaux intéressés se plaignent que non, à l’instar du médecin sexologue Yves Ferroul, dans un article intitulé: “Charlie Hebdo : et l’hommage aux athées ? Sans eux la France n’existerait pas!” (L’Obs Le Plus).
Pour un athée, comme moi, le spectacle du rassemblement du dimanche 11 janvier et les commentaires des journalistes – sur le moment même et les jours suivants – étaient hallucinants : il n’y en avait que pour les religions et les croyants (sauf quelques pancartes). Les politiques ont surenchéri, et le tout fut couronné par des cérémonies religieuses ! Mais où étaient les hommages aux athées ?
Les athées, “grands absents” des médias, alors même que les dessinateurs de Charlie Hebdo se revendiquaient eux-même sans religion ? Ces derniers jours, ils ont trouvé leurs figures de proue, à l’instar de l’humoriste Nicolas Bedos, de l’homme politique Jean-Luc Mélenchon ou du dessinateur Riss, qui ont réaffirmé haut et fort leur ras-le-bol face au monopole des religions sur le débat public.
Un sentiment de marginalisation
Pourtant majoritaires, l’absence de visibilité encourage chez les athées un sentiment d’exclusion et une colère vis-à-vis de l’accaparement médiatique des religieux, exprimé par le cofondateur du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, dans l’émission “Les Grandes questions” du 25 janvier sur France 5 :
(…) la masse immense des athées qui représente la majorité des Français, en a par dessus la tête d’être prise en otage de ces disputes religieuses qui la saoulent.
Un ressentiment qu’a également tenu à souligner l’humoriste Nicolas Bedos, sur le plateau de l’émission “On n’est pas couchés” le 7 février sur France 2, dans des termes plus crus :
Si je suis venu ce soir, c’est pour défendre une cause. Celle d’une communauté qui souffre dans l’indifférence quasi générale des médias français. En effet, à longueur de journée et à lourdeur de journaux, on nous tapisse le bulbe avec les juifs, les catholiques, les musulmans, mais qu’en est-il exactement de ces orphelins de Dieu que l’on appelle non sans mépris, les non croyants ? Qui pense à eux en ce moment ? (…)
La peur de disparaître ?
D’après une étude menée en 2007 (Phil Zuckerman, « Atheism: Contemporary Rates and Patterns »), la France se situerait au 8e rang mondial des pays où le nombre d’athées est, proportionnellement, le plus élevé au monde — derrière la Suisse, le Vietnam, le Danemark, la Norvège, le Japon, la République Tchèque et la Finlande . Si l’athéisme était une religion, elle serait donc aujourd’hui la quatrième du monde, derrière l’Islam, le christianisme et l’hindouisme.
Toutefois, l’athéisme est en perte de vitesse depuis quatre décennies. Si la proportion d’athées dans le monde a été multipliée par 100 de 1900 à 1975 (de 0,2 à 20%), elle perd peu à peu du terrain depuis. Comme le montre le “Chiffroscope” du 20 octobre 2012 diffusé sur Canal +, les estimations indiquent que le pourcentage d’athées pourrait descendre à 8% d’ici 2050.
La laïcité comme clé de réconciliation
Autre objet d’incompréhension et de colère des athées : la mauvaise compréhension de la part des religieux du concept de laïcité, compris comme un “rejet en bloc” de toute religion. Une confusion des esprits, souvent entretenue par les médias et les personnalités politiques ou religieuses elles-mêmes, qui ont parfois du mal à différencier les deux notions, ce qui freine un peu plus le débat et empêche de trouver des terrains d’entente.
Dans un article intitulé “Mettons la laïcité au service de l’intégration et non de la stigmatisation”, Pierre Khalfa et Gustave Massiah (membres du Conseil scientifique du groupe altermondialiste Attac) expliquent que cette confusion est d’autant plus nuisible, qu’elle profite en premier lieu aux religieux :
(…) la laïcité n’est pas l’athéisme, mais au contraire le respect de la liberté de conscience… et donc la liberté d’appartenir à une religion ou pas, si l’on est athée ou agnostique.
Car, selon ses défenseurs, c’est le principe de laïcité qui permet à la République de rendre égaux devant la loi ses citoyens issus de toutes confessions. Non équivalent à une stigmatisation des religions ou à leur rejet pur et simple, comme le prétendent parfois les représentants religieux, il induit depuis la loi de séparation de l’Église en 1905, que l’État français n’a pas de religion officielle (contrairement à la plupart des pays du monde) et qu’il ne prendra jamais partie pour un citoyen plus qu’un autre, à cause de sa confession.
En ce sens, la laïcité rend possible la cohabitation de toutes les postures, religieuses ou non, au sein de la République, comme le défend Yves Ferroul, médecin déjà cité :
Être laïc c’est, tout compte fait, refuser de se référer à Dieu pour fonder les règles de la vie commune. Aucun pays qui se réfère à un Dieu ne procure une entière liberté à chacun de ses citoyens. En s’opposant à la domination de la pensée religieuse, la laïcité, fruit de la pensée athée, garantit la possibilité de vivre tous ensemble avec nos différences.
C’est donc dans un contexte de tensions religieuses exacerbées que certains athées font entendre leur voix singulière. Pour eux, seul le principe de laïcité – une fois clarifié – peut réconcilier durablement religieux et non-religieux. L’avantage du concept, au moins, est qu’il n’exclut personne.
Photo d’en-tête : Rassemblement du 11 janvier 2015, place de la République à Paris. Derrière la croix des catholiques, le croissant des musulmans et l’étoile des juifs et le symbole peu connu des athées (3millions7 / L. Berland)