En attendant la sortie de son livre, Isis: Inside the army of terror chez l’éditeur new-yorkais Regan Arts, Hassan Hassan détaille quelques étapes de l’embrigadement des nouveaux arrivants et souligne l’importance de l’idéologie du groupe État islamique (EI), dans un article du Guardian.
Il revient sur les particularités idéologiques de l’organisation EI et sa volonté de revenir à un islam prétendument authentique. Le groupe ordonne ainsi à ses imams d’articuler l’enseignement religieux sur 3 points : le Tawhid (monothéisme strict), le bida’a (déviation religieuse, c’est-à-dire savoir reconnaître les ennemis de la religion) et le wala wal barra (fidélité à l’islam, désobéissance à tout ce qui n’est pas islamique). Mais cette formation dépasse le strict cadre de la religion.
Interrogatoire et endoctrinement
Hassan Hassan relate ainsi le témoignage de Ghannam, ancien jihadiste qui a fui le groupe État islamique:
“D’abord ils vous testent. Ils parlent avec vous pendant un moment, ils vérifient votre connaissance de la religion, ils parlent de tout avec vous, notamment du régime alaouite et de l’armée syrienne libre et des autres groupes dans l’erreur. C’est très éprouvant.”
Hassan Hassan explique ensuite que les nouvelles recrues passent entre deux semaines et un an dans des camps d’endoctrinement. Ils y reçoivent un enseignement militaire et politique, tourné vers la charia (loi islamique).
Ils peuvent, dans l’intervalle, être déployés à des checkpoints mais jamais en première ligne. À tout moment, ils sont susceptibles d’être punis ou renvoyés dans ces camps en cas de mauvais comportement.
Initiation à l’arabe et culte du martyr
Si le livre promet d’apporter une description plus complète de l’embrigadement et des missions des jihadistes, plusieurs témoignages en ont déjà fait état.
Dans un article de l’Express, Ahmad, ancien combattant de l’EI qui a déserté vers la Turquie, explique avoir passé « des journées et, surtout, des soirées entières d’endoctrinement ». Les jihadistes occidentaux font l’objet d’une attention particulière. Souvent fraîchement convertis sur internet et peu instruits, ils « sont initiés à la langue arabe et aux préceptes de l’islam par l’intermédiaire de traducteurs maghrébins, notamment tunisiens » précise t‑il.
Le principal enjeu de cette enseignement est d’étouffer la peur devant la mort. C’est seulement une fois qu’on estime les “élèves” suffisamment imprégnés de religion pour espérer mourir en martyr qu’ils peuvent être envoyés au front, comme l’explique un jihadiste français repenti dans une interview à France 2.
Des drogues pour mieux combattre
Mais le fanatisme ne suffit pas. Plusieurs témoignages font également état de l’usage de drogues comme le Captagon (amphétamine) chez les soldats de l’EI, afin d’ignorer la douleur et la fatigue. Dans un reportage pour Vice news, un membre du Hezbollah qui s’est battu en Syrie raconte :
“Ils prennent du Captagon (amphétamine), pour se rendre insensibles et rester concentrés sur l’objectif. On a capturé un groupe de 15 [jihadistes de l’EI], ils avaient de grandes quantité de pilules sur eux. Ils arrivent sur le champs de bataille par groupe de 50 ou 60, mais sans compétences militaires. Ils se lèvent et disent “debout, allons tuer!” Il ne sentent pas les blessures à cause des pilules.”
Peu de combattants occidentaux en première ligne
Mais parvenir sur un champ de bataille est encore une autre affaire pour les soldats venus de l’ouest. Les occidentaux sont souvent traités différemment, comme l’explique Wassim Nasr, journaliste et spécialiste des mouvements jihadistes dans un article de France 24:
“Beaucoup des jihadistes français évoluant en Syrie ne sont pas en première ligne, (..) en arrivant dans des camps d’entraînement, ils sont jugés, jaugés et chacun est affecté à un domaine de compétence en particulier : la communication sur les réseaux sociaux, les explosifs, la cuisine, etc. Il n’y a pas d’unités de combattants français sur le terrain, à la différence d’autres nationalités, comme les Marocains par exemple.”
Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris explique dans l’Express : “Le premier ordre que reçoit maintenant un volontaire européen quand il arrive en Syrie est de ramener cinq de ses copains et proches. On lui demande très vite de contacter de nouveaux candidats sur Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux.”
La méfiance des officiers
Le comportement de ces occidentaux agace parfois les cadres du groupe État islamique. Dans l’article de France 24, le jihadiste Omar Omsen, critique les jeunes recrues : “Ils mangent des sandwichs toute la journée, vont au cyber le soir et c’est tout ce qu’ils font”.
David Thomson explique, toujours dans cet article, que “certains se sont vu rappeler à l’ordre par leur émir” à cause de leur comportement, notamment l’usage peu précautionneux qu’ils font des réseaux sociaux.
Cela accentue un peu plus les fractures entre les combattants locaux et étrangers : “Les jihadistes arabes leur reprochent [aux occidentaux] de ne pas parler l’arabe et surtout de ne pas être fiables (la peur de l’infiltration par des membres des services de renseignements)” explique à l’Orient le jour Alain Rodier, spécialiste du terrorisme. David Thomson estime que 90% des volontaires occidentaux ne parlent pas arabe.
Une fois embrigadé, difficile de fuir l’organisation. Le groupe confisque les passeports et menace de publier les noms et photos des déserteurs, selon le témoignage d’un repenti jihadiste européen.
Photo d’en-tête : Daech, naissance d’un État terroriste. Capture d’écran du documentaire, 10 février 2015, Arte, creative commons.