Sur un fond de musique de film romantique, un documentaire intitulé, “Engrenage: les jeunes face à l’islam radical”, met en scène les échanges entre jeunes et jihadistes dans la phase de recrutement. Pour mieux manipuler leurs cibles, ces derniers jouent sur le registre émotionnel.
Pour Rachel, 15 ans, issue d’une famille de confession juive, la route du jihad prend la forme de constantes conversations avec un homme inconnu qu’elle a rencontré sur Facebook. “T’es une perle, t’es une princesse, reste comme t’es, juste augmente ta foi” : les compliments fusent dans les enregistrements du Blackberry que le recruteur lui a acheté pour dialoguer en toute discrétion.
Dounia Bouzar, fondatrice du Centre de Protection contre les Dérives liées à l’islam (CPDI) adopte une approche psycho-sociale pour sortir les jeunes de l’endoctrinement. Dans la plupart des cas, ce sont les parents qui la contactent. Anthropologue de formation, Dounia Bouzar se souvient des paroles de Lorie, une autre de ces jeunes filles embrigadées. “Je voulais bien me marier sur Skype, mais quand il m’ont dit qu’il faudrait me faire un enfant avant même mon arrivée en Syrie, avec un homme que je n’avais jamais rencontré, j’ai eu des doutes.”
Une enquête qui précise les mécanismes d’endoctrinement
Pour la fondatrice de la CPDI, véritable fil rouge du documentaire, de telles hésitations sont un déclic salvateur pour sortir les jeunes de la “chaîne de déshumanisation” dans laquelle ils sont emportés. Des adolescents qui sont souvent hyper-sensibles, et dotés d’un sens aigu de la justice, que les recruteurs flattent pour mieux les attirer dans leurs filets.
Pleine d’amertume, Dounia rapporte quelques-uns des arguments avancés par les jihadistes : ” Le sentiment de malaise que tu as, c’est la preuve que Dieu t’a élue parce que tu es supérieure au reste du monde”, ou relate l’histoire de cette jeune fille, à qui l’on a fait miroiter “une kalachnikov et un bébé chat” pour la convaincre de rejoindre la Syrie.
Dans le quartier de La Meinau, à Strasbourg, où plusieurs jeunes sont partis pour le jihad, les journalistes filment une des réunions de prévention auxquelles participent responsables religieux et jeunes du quartier. Parmi eux l’imam Salou Faye. Face à lui, des jeunes qui nient parfois la réalité du jihad, ne croyant plus aux informations diffusées par les chaînes publiques : “BFM, TF1, tout ce qu’il disent, c’est des mensonges”. Les théories du complot les remplacent. Mais le jeune Fouad, dont la soeur est partie en Syrie, les avertit : “En Syrie, c’est pas le paradis comme vous croyez: il y a des filles que l’on marie 15 fois !” Une intervention qui laisse plusieurs filles interloquées.
Victimes d’un nouveau sectarisme
Le documentaire présente les jeunes endoctrinés comme autant de victimes, dont les visages sont floutés. Un statut sur lequel la justice française ne s’accorde pas toujours. Samy, 15 ans, refusait de “faire plus” que les menues corvées confiées aux nouvelles recrues. Il a négocié son départ avant de passer la frontière turque sous les balles, raconte son père la voix cassée. Aujourd’hui de retour en France, l’adolescent est suspecté d’être un terroriste par la justice française. Une enquête doit déterminer s’il représente un danger.
D’autres adolescents qui ont fui la Syrie comme lui restent en Turquie, par peur des poursuites légales. Pour la directrice du Centre de prévention, Dounia Bouzar, les tribunaux peinent encore à s’adapter au phénomène. “La justice a besoin de temps” pour comprendre que certains des jeunes sont victimes du terrorisme “comme d’autres sont victimes de sectes”, conclut-elle.
La bande-annonce du documentaire:
Le monde en face — Engrenage, les jeunes face à… par france5
Photo d’en-tête: Les nouvelles technologies sont un canal très prisé des jihadistes pour recruter de jeunes candidats. (Flickr / Creative Commons)