Politique

Journalistes agressés : la France, mauvaise élève de la liberté de la presse

Les agressions des journalistes lors du rassemblement du Front national montrent que ceux qui ont pour métier d'informer ne sont pas à l'abri en France. Dans son dernier rapport, Reporters sans frontières s'inquiète, en plaçant le pays en 38e position. Alors qu’en 2002, elle trônait à la 11e place.

La lib­erté n’est jamais totale­ment acquise. L’organisation Reporters sans fron­tières (RSF) a fêté dimanche 3 mai, en musique, ses 30 ans, en même temps que la journée mon­di­ale de la lib­erté de la presse. A cette occa­sion, des mil­liers de per­son­nes se sont rassem­blées à Paris, qua­tre mois après les atten­tas qui ont con­duit à la mort de huit jour­nal­istes français. Huit jour­nal­istes qui font par­tie des vingt-qua­tre déjà enreg­istrés par l’organisation depuis le début de l’année dans le monde. Un drame excep­tion­nel au pays des droits de l’homme, où les jour­nal­istes n’ont pas l’habi­tude de crain­dre pour leur vie. Ils ne sont pas non plus arrêtés ou empris­on­nés à cause de l’ex­er­ci­ce de leur fonction.

Il n’empêche que la France ne peut se tar­guer d’être un excel­lent élève sur le plan de la lib­erté de la presse. Au con­traire, Reporters sans fron­tières s’in­quiète. Dans son dernier rap­port, daté de févri­er 2015, RSF place la France en 38e posi­tion. Alors qu’en 2002, elle trô­nait à la 11e place.

« La lente mais constante dégradation de la situation aux Etats-Unis, en France et au Japon nous inquiète », notait déjà RSF en 2006.
« La lente mais con­stante dégra­da­tion de la sit­u­a­tion aux Etats-Unis, en France et au Japon nous inquiète », notait déjà RSF en 2006.

 

Les journalistes face à la justice

Dans son rap­port de 2010, Reporters sans fron­tières notait : « l’Europe tombe de son piédestal ». En cause : « vio­la­tion de la pro­tec­tion des sources, con­cen­tra­tion des médias, mépris et même impa­tience du pou­voir poli­tique envers les jour­nal­istes et leur tra­vail, con­vo­ca­tions de jour­nal­istes devant la justice ».

Protection des sources

Le plus gros prob­lème des jour­nal­istes français est celui de la pro­tec­tion des sources : il doit pou­voir assur­er l’anony­mat à ses con­tacts. Les pou­voirs poli­tiques et judi­ci­aires ne doivent pas s’en mêler. Or, pen­dant le quin­quen­nat de Nico­las Sarkozy, ce droit fon­da­men­tal a été bafoué.

L’affaire la plus mar­quante reste celle dite des « fadettes » : la jus­tice avait ordon­né à un opéra­teur télé­phonique de fournir les fac­tures détail­lées de plusieurs jour­nal­istes du Monde afin de décou­vrir qui leur four­nis­sait des infor­ma­tions sur l’affaire Bet­ten­court, dans laque­lle était impliquée le prési­dent de la République. Depuis, Reporters sans fron­tières réclame un ren­force­ment de la pro­tec­tion du secret des sources. Et il s’agissait d’une promesse de cam­pagne de François Hol­lande, réitérée en jan­vi­er. Mais pour l’instant, la loi pro­posée par la min­istre de la jus­tice Chris­tiane Taubi­ra n’a tou­jours pas été examinée.

Les journalistes cibles

L’organisation soulig­nait aus­si en novem­bre que «les agres­sions con­tre les jour­nal­istes sont de plus en plus fréquentes en France », en par­ti­c­uli­er lorsqu’ils cou­vrent des man­i­fes­ta­tions. Le pho­tographe Eric Bou­vet a par exem­ple dû quit­ter la com­mé­mora­tion à la mémoire de Rémi Fraisse, décédé lors des affron­te­ments avec la police sur le bar­rage de Sivens. Une pho­to de lui cir­cu­lait dans les rangs des man­i­fes­tants, appelant à la méfiance.

Et ce sont surtout les opposants au mariage pour tous qui se sont mon­trés vin­di­cat­ifs à l’é­gard des jour­nal­istes. Des jour­nal­istes de LCP, de Rennes TV ou encore de l’AFP ont été agressés physique­ment au plus fort des man­i­fes­ta­tions. Le Petit Jour­nal les a mon­tré scan­dant “jour­nal­istes, col­la­bos !” et le col­lec­tif le Print­emps français a pub­lié un “ordre du jour […] immé­di­ate­ment exé­cu­toire” dans lequel il annonçait “tenir pour cible” les “organes” qui “dif­fusent l’idéologie [du genre]”, avec en ligne de mire les médias.

Ce con­stat résonne encore en ce mois de mai 2015 : ven­dre­di, deux jours avant la fête de Reporters sans fron­tières, le député européen Bruno Goll­nisch s’en pre­nait à une équipe de Canal Plus, lors du tra­di­tion­nel rassem­ble­ment du Front Nation­al du 1er mai. L’équipe a ensuite été vio­lem­ment agressée par des mil­i­tants, alors qu’elle était exfil­trée par le ser­vice de sécu­rité. Dans l’émis­sion du 4 mai, Yann Barthès explique com­ment tout cela s’est déroulé.