Religion / Laïcité

3 raisons qui expliquent l’impopularité du Conseil français du culte musulman

Depuis les attentats de janvier, le gouvernement a décidé de réformer la représentation de l'islam en France. L'avenir du Conseil français du culte musulman, qui tient ce rôle, doit être discuté aujourd'hui par le Premier ministre Manuel Valls, et le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, lors d'un déplacement à Strasbourg. Plus de dix ans après sa création, l'institution peine à convaincre.

 

1. Une institution façonnée par les ministres de l’Intérieur

Le Con­seil français du culte musul­man doit sa péren­nité à la volon­té des min­istres de l’In­térieur suc­ces­sifs. En 1999, Jean-Pierre Chevène­ment, alors min­istre de l’In­térieur du gou­verne­ment Jospin, met toute son énergie à démon­tr­er la néces­sité d’une représen­ta­tion de la com­mu­nauté musul­mane en France. Un tra­vail de longue haleine qui sera pour­suivi par son suc­cesseur à la place Beau­vau, Daniel Vaillant.

Il fau­dra plus de dix ans de réflex­ions et de débats pour que l’in­sti­tu­tion voit le jour. Sous le statut d’as­so­ci­a­tion “loi 1901”, le CFCM est offi­cielle­ment créé en 2003, sous l’im­pul­sion de … Nico­las Sarkozy. Devenu min­istre de l’In­térieur de Jean-Pierre Raf­farin, il prof­ite de sa nou­velle autorité et s’in­vestit per­son­nelle­ment pour créer un véri­ta­ble dia­logue entre cette nou­velle asso­ci­a­tion et la sphère politique.

Ce même Nico­las Sarkozy a réaf­fir­mé, lors du dernier con­seil nation­al de l’UMP le 8 févri­er dernier, son attache­ment à une insti­tu­tion qu’il juge incontournable.

Un attache­ment qui ne sem­ble pas partagé par Manuel Valls lorsque celui-ci prend ses fonc­tions place Beau­vau en 2012. Depuis, sor­tir le Con­seil musul­man de son impasse n’a pas été la pri­or­ité du gou­verne­ment social­iste. Les atten­tats de jan­vi­er ont changé la donne, et con­traint l’actuel min­istre de l’In­térieur Bernard Cazeneuve à relancer le chantier de la représen­ta­tion des musul­mans en France. 

Dans un entre­tien accordé au Monde le 25 févri­er, il explique sa démarche : “Cer­tains sont impliqués dans le CFCM, d’autres non, tout en étant désireux de par­ticiper à l’expression d’un islam de tolérance en France. Le CFCM demeure la pierre angu­laire de cette instance. Il ne pour­ra que prof­iter de la dynamique ain­si créée.”

2. Le CFCM est encore trop lié aux pays étrangers

Au départ, l’am­bi­tion suprême du Con­seil français du culte musul­man était d’ac­com­pa­g­n­er et de faire émerg­er un islam français. Une ambi­tion qui trou­ve sa lim­ite dans le fait qu’au­jour­d’hui, chaque com­posante du CFCM reste très liée à son pays “d’o­rig­ine” :

  • L’Al­gérie pour la Grande mosquée de Paris
  • Le Maroc pour le Rassem­ble­ment des musul­mans de France et l’U­nion des mosquées de France
  • La Turquie pour le Comité de coor­di­na­tion des musul­mans turcs de France
  • Les Frères musul­mans qui vien­nent d’É­gypte pour l’U­nion des organ­i­sa­tions islamiques de France

La sit­u­a­tion de ces pays, con­flictuelle depuis des décen­nies, se ressent jusque dans l’Hexa­gone, et se traduit en querelles internes au sein du CFCM.

Con­traire­ment aux espoirs for­mulés dans les années 2000, l’in­flu­ence de ces pays sur le Con­seil a notam­ment ren­for­cé l’ef­fet de dias­po­ra. Alexan­dre Piet­tre, chercheur affil­ié à l’Institut des sci­ences sociales des reli­gions con­tem­po­raines (ISSRC) de l’université de Lau­sanne, con­firme ces liens obscures dans une inter­view accordée à L’Hu­man­ité et pub­liée sur Medi­a­part : “Le Con­seil français du culte musul­man (CFCM) a été mis en place par l’État en trai­tant avec de grandes fédéra­tions musul­manes, dont la plu­part sont directe­ment liées à un État étranger.” 

3. Le CFCM n’est pas représentatif de la communauté musulmane française

La France compte six mil­lions de musul­mans dont 1,5 à 2 mil­lions de pra­ti­quants. En théorie, le CFCM devrait être la voix de ces mil­lions de per­son­nes. Pour autant, cer­tains esti­ment que l’in­sti­tu­tion ne rem­plit pas son rôle.

Inter­rogé par le quo­ti­di­en 20 min­utes, l’is­lam­o­logue Rachid Ben­zine pré­cise que “l’im­mense majorité des six mil­lions de per­son­nes qui ont un lien avec l’is­lam préfère se tenir à l’é­cart de toutes les organ­i­sa­tions qui veu­lent struc­tur­er cette religion.” 

Autre caté­gorie se sen­tant exclue : les musul­mans laïques. “Il faudrait com­mencer par inté­gr­er les musul­mans laïques qui ne sont pas représen­tés par le CFCM, et qui ne veu­lent pas qu’on les ‘reli­gio­sise’. Ces intel­lectuels, artistes, écrivains, hommes d’affaire qui se sont mobil­isés con­tre la rad­i­cal­i­sa­tion en dehors du CFCM doivent juste­ment être représen­tés dans cette nou­velle instance”, con­fi­ait à France 24 Pierre Cone­sa, auteur d’un récent rap­port sur la déradicalisation.

Dans les faits, l’in­stance ne con­cerne que le culte (les mosquées, la viande halal, l’aumôner­ie…) et non la com­mu­nauté. Musul­mans laïques, pra­ti­quants, jeune généra­tion, petites asso­ci­a­tions aban­don­nées… Les voix dis­cor­dantes sont nom­breuses et met­tent en péril la crédi­bil­ité du Con­seil du culte musulman.

Pho­to d’en-tête : Le 26 févri­er, le min­istre de l’In­térieur Bernard Cazeneuve reçoit les représen­tants du CFCM et des autres instances musul­manes de France. (AFP)