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Face au groupe EI, la Jordanie a la volonté et les arguments

La Jordanie a annoncé lundi avoir mené trois jours de frappes intensives contre le groupe Etat islamique en Syrie et en Irak. Si les chiffres avancés sont difficiles à vérifier, quelques faits peuvent être dégagés pour évaluer la puissance de frappe du pays, et mesurer son importance stratégique dans la région.

Cinquante-six cibles détru­ites en trois jours. 20% des capac­ités de com­bat du groupe État islamique (EI) par­tis en fumée. 7000 jihadistes tués depuis le début de l’engagement. La Jor­danie avait promis de venger la mort de son pilote, cap­turé par l’EI en décem­bre et brûlé vif le 3 févri­er dernier. Elle a annon­cé lun­di des chiffres excep­tion­nelle­ment élevés — mais pas véri­fiés — pour prou­ver son engage­ment aux côtés de la coali­tion inter­na­tionale, et mon­tr­er à son peu­ple qu’elle ne restait pas immo­bile face à la men­ace qui grandit à sa porte.

« Les frappes con­tre Daech sont un qua­si mono­pole améri­cain, nuance Denis Bauchard, ancien ambas­sadeur de France à Amman et mem­bre de l’Institut Français des rela­tions inter­na­tionale. La Jor­danie ne joue qu’un rôle rel­a­tive­ment mar­gin­al, comme les autres mem­bres de la coali­tion d’ailleurs. Elle par­ticipe par des frappes mais ça ne va pas très loin. »

De quoi met­tre en doute les chiffres annon­cés par Amman, la cap­i­tale, d’autant qu’ils sont très dif­fi­ciles à véri­fi­er avec pré­ci­sion. Mais le pays a toutes les raisons de rester en pre­mière ligne face à l’organisation jihadiste.

Une armée réduite mais efficace

La Jor­danie n’a rien d’une puis­sance régionale au Moyen Ori­ent. Avec 120 000 mil­i­taires ou para­mil­i­taires en 2014, selon des chiffres de la Banque mon­di­ale, elle est (très) loin des géants qui l’entourent. L’Arabie Saou­dite en compte 249 000, l’Iran 563 000 et l’Egypte un peu plus de 800 000. Avec un ter­ri­toire qua­tre fois plus restreint que son voisin jor­danien, Israël a porté ce nom­bre à 184 000 unités.

Cet écart, la Jor­danie le com­pense par la com­po­si­tion de ses troupes, explique Denis Bauchard :

« La Jor­danie a une petite armée, mais elle a des capac­ités et une effi­cac­ité réelles. On ne peut pas en dire autant de l’armée saou­di­enne ou émi­ratie par exem­ple où il y a beau­coup de mer­ce­naires. Les ser­vices de ren­seigne­ment sont aus­si performants. »

Comme la plu­part de ses voisins, la Jor­danie est un pays forte­ment mil­i­tarisé. En 2014, 6,73% de la pop­u­la­tion active ser­vaient dans l’armée. Un chiffre très impor­tant ramené à ceux de l’Europe. En France, seul 1,02% des act­ifs étaient con­cernés l’an dernier.

Un État fortement impliqué à l’échelle internationale

La par­tic­i­pa­tion de la Jor­danie à la coali­tion inter­na­tionale con­tre le groupe État islamique n’est pas inédite. En 2011, le pays avait déjà servi de base arrière à la coali­tion impliquée dans la lutte con­tre le régime de Mouam­mar Kad­hafi en Libye. Si elle n’est pas mem­bre de l’Otan à part entière, elle en est un parte­naire régulier.

Le régime du roi Abdal­lah II est aus­si un mem­bre act­if des Nations Unies. 1746 sol­dats ou policiers jor­daniens ser­vent à l’extérieur du pays au sein de la force de main­tien de la paix des Nations Unis. À eux qua­tre, la France, l’Allemagne, le Roy­aume Uni et l’Espagne comptent 1981 unités détachées auprès de l’ONU. La Jor­danie est le 20e pour­voyeur mon­di­al de troupes pour les Casques bleus, le deux­ième au Moyen-Ori­ent der­rière l’Egypte (2613).

Un allié indéfectible des Etats Unis et de l’Occident dans la région

L’importance de la Jor­danie au sein de la coali­tion inter­na­tionale con­tre le groupe État islamique tient à sa prox­im­ité avec les Etats-Unis, et l’ensemble des pays occi­den­taux. « La par­tic­i­pa­tion de la Jor­danie est sans doute la moins ambiguë par rap­port à d’autres pays arabes, comme l’Egypte par exem­ple qui reste très à l’écart, souligne Denis Bauchard.

« La Jor­danie a tou­jours été un allié fidèle des Etats Unis. C’est le pays le plus aidé par les Améri­cains par tête d’habitants, devant Israël. De façon générale elle a tou­jours eu de bonnes rela­tions avec l’Occident. Le roi Abdal­lah II a été le seul dirigeant arabe a venir spon­tané­ment à la marche répub­li­caine à Paris le 11 jan­vi­er. » 

Sur le ter­rain, le régime jor­danien met à dis­po­si­tion ses six bases aéri­ennes aux forces de la coali­tion. Il pos­sède aus­si un rôle impor­tant pour con­tr­er l’avancée idéologique du groupe État islamique dans la région :

« Il y a une con­tri­bu­tion plus dis­crète mais plus utile que les frappes. Il s’agit de con­va­in­cre les tribus à cheval entre les dif­férents pays impliqués, en par­ti­c­uli­er celles entre la Jor­danie et l’Irak de se dis­tanci­er de Daech. On compte beau­coup sur l’influence du roi de Jor­danie, tra­di­tion­nelle­ment proche de ces tribus, et du finance­ment de l’Arabie saoudite. »

Un pays directement confronté aux groupes extrémistes

L’importance stratégique de la Jor­danie tient surtout à sa posi­tion géo­graphique, au cœur du con­flit. Frontal­ier de la Syrie et de l’Irak, la Jor­danie est sous la men­ace directe du groupe État islamique. Sur son pro­pre ter­ri­toire, le régime doit lut­ter con­tre ce que Denis Bauchard appelle des « relais d’influence de Daech » :

« Il y a tou­jours eu des foy­ers de rad­i­cal­i­sa­tion. Il y a près 2000 com­bat­tants jor­daniens dans les rangs de Daech. La ville de Zar­qa au Nord a tou­jours fourni des con­tin­gents de com­bat­tants à Al Qai­da ou à d’autres groupes extrémistes. C’est le cas aus­si de la ville de Maan dans le Sud où il y a régulière­ment des contestations. »

L’exécution du pilote jor­danien cap­turé par le groupe État islamique, a ren­for­cé la posi­tion du roi pour lut­ter con­tre l’organisation terroriste :

« La pop­u­la­tion jor­dani­enne, comme dans beau­coup d’autres pays arabes, était assez réti­cente pour par­ticiper à une coali­tion vue comme une coali­tion améri­caine, les con­di­tions de la mort du pilote a provo­qué une sorte de réveil nation­al­iste autour de la per­son­ne du roi. Le prob­lème c’est de savoir si ça va durer. »

Pho­to : Un F16 jor­danien quitte sa base dans le nord de la Jor­danie (Cre­ative Com­mons — US Depart­ment of Defense)