Les hauts-parleurs se mettent à jouer un roulement de tambour. La voix enregistrée de Dieudonné résonne d’un coup : “Mesdames et messieurs, un peu de calme s’il vous plaît. Bah oui vous avez payé, vous êtes là pour voir le spectacle.” Premiers rires.
Cinq minutes auparavant, les derniers spectateurs prenaient place sur les banquettes rouges qui composent les gradins du théâtre de la Main d’or, dans le XIe arrondissement de Paris. Dans une atmosphère enfumée, la petite salle aux murs noirs se remplit. Des habitués applaudissent Jacky, le régisseur du spectacle, qui prend place en haut des gradins.
La voix de Dieudonné résonne donc. Le rideau rouge toujours clos, la voix présente le “monstre” situé de l’autre côté, “censuré trois fois”. Puis l’humoriste est enfin dévoilé, combinaison orange et mains enchaînées, qu’il libère pour se rendre à son pupitre. A l’arrière, une réplique de fusil d’assaut Famas trône sur un présentoir. Décors, textes et mise en scène servent à créer le personnage : un bouffon soit-disant fou dangereux et devenu victime.
Ainsi commence le premier tiers de ce spectacle d’une heure quinze. Le tiers dans lequel les rires sont les plus fournis et les références aux politiques, aux médias, aux juifs, au passé colonial et aux génocides sont les plus récurrentes. Ces rires répondent indifféremment à la gestuelle et aux grimaces dont Dieudonné use et abuse, ou aux saillies les plus agressives de l’humoriste.
“Si tu l’imagines en pyjama avec une kippa, y’a moyen de gratter une subvention.” (à propos de son régisseur, qu’il imagine en train de travailler pour Manuel Valls)
“Imagine : sans le savoir, je dégomme un journaliste… Juif, de surcroît.” (après avoir mimé une tuerie avec la réplique du fusil Famas)
Des références de ce type, cette première partie en est remplie. Souvent, elles sortent de l’imagination de Dieudonné. Parfois également, le réel et le politique s’invitent de manière assumée dans le discours.
“Je serais donc, moi, considéré comme l’épicentre de la haine. Étonnant, quand même, ce monde dans lequel le bouffon noir incarne le mal absolu, et le fabriquant d’armes et la haute finance, eux, les droits de l’Homme.”
“De tout temps il y a eu des dominants et des dominés dans le monde. Moi j’appartiens plutôt à la deuxième catégorie. Je fais partie d’une espèce particulièrement dominée : les individus de type négroïde.”
Les rires du public répondent aussi à ces phrases là.
Les références à l’actualité judiciaire de Dieudonné arrivent vite, au bout de dix minutes :
“L’autre [Patrick Cohen, NDLR] a dit que j’avais un cerveau malade, parce qu’il est plus ou moins neurologue par sa grand-mère.” (rires)
Suivi par un passage sur “un autre juif des médias” :
“Pascal Elbé, un mec très mauvais, archi-nul. Mais juif. Donc automatiquement prix Nobel de la paix, agrégé d’histoire. (rires) Il a dit : ‘il fallait pas discuter avec Dieudonné, il fallait lui défoncer la gueule.‘Et le procureur a dit : ‘c’est bien, c’est bien.’ ” (rires)
Ce procureur est un personnage récurrent du spectacle, comme Manuel Valls. Ils incarnent le “système” que Dieudonné combat.
C’est ce même procureur qui se retrouve dans le tableau suivant. Il pose ses questions à deux autres personnages : un esclave martiniquais du XVIIe siècle et son maître.
Présentation de l’esclave :
“Un vilain garnement qui s’est fait fouetter du cou au mollet. Il s’est même fait scier la jambe, parce qu’il s’enfuit tout le temps. Pour jouer au football, faudra attendre au moins une génération. Hein M. Anelka ? C’est l’ancêtre de Nicolas Anelka.”
Puis la présentation du maître :
“M. Hayot, qui est ici. Famille Hayot, l’une des plus riches de France. Des békés. Au départ c’est un juif hollandais qui est arrivé à la fin du XVIIe siècle en Martinique. Juif, j’y peux rien. (rires) J’aurais préféré qu’il soit chrétien ou musulman. Même les juifs ils le disent : ‘il est trop juif.’ ” (rires)
Ce tableau, qui consiste en la confrontation de l’esclave et du maître, amène Dieudonné sur un thème central : les génocides. Il compare donc trois génocides : celui des noirs par l’esclavage, celui des juifs et celui des indiens d’Amérique.
“Contrairement à son homologue nazi, l’esclavagiste juif a mieux géré l’après-génocide. Plus malin, plus souple.”
“Aucun procès après le génocide [des noirs, NDLR] ! Même pas une amende à 35 euros ! Mais la légion d’honneur, l’année dernière, par Hollande. Tu sais c’est vraiment le principe du génocide sans conséquence. Tu as génocidé hein. Mais… Allez file ! Comme pour les indiens d’Amérique… Là on peut parler du plus grand génocide de tous les temps. Ils sont plus que quatre… […] A côté, ce qui s’est passé en Pologne : une thalassothérapie ! (rires) Et la traite des noirs, pareil : c’est Pierre et Vacances. (rires) Et vous avez vu, pas une seule ligne dans les manuels scolaires !”
S’en suit l’imitation, par Dieudonné, de l’esclave, pas revanchard et flanqué d’un fort accent créole qui fait rire tout le monde. Puis l’imitation de l’esclavagiste juif, au langage plus soutenu et paternaliste. Le procureur se range ostensiblement du côté de ce dernier.
Mariage homo et Charlie Hebdo
Le deuxième tiers du spectacle est beaucoup plus éloigné des débats qui entourent habituellement Dieudonné. Dans cette partie, il tourne en ridicule les récentes évolutions sociétales, notamment liés aux minorités sexuelles. Mariage homo et première place de Conchita Wurst à l’Eurovision servent de base à Dieudonné pour jouer une galerie de personnages aux orientations sexuelles les plus originales : une québécoise amoureuse d’un cochon, une jeune transsexuelle qui veut devenir une poule, un homme qui se découvre une sexualité avec des canettes de bière.
“Des journalistes mal intentionnés ont dit que j’étais contre le mariage pour tous. Homophobe. C’est dégueulasse parce que j’étais un des premiers témoins d’un mariage pour tous. C’était deux tueurs en série. Donc c’est plus de la performance artistique. (rires) […] Y’a un maire qui s’est prêté à l’exercice. Ah! il a pas été réélu !” (rires)
L’anecdote est véridique. Dieudonné a réellement été témoin au mariage de deux hommes emprisonnés pour de multiples assassinats, le second témoin étant le terroriste Carlos, également emprisonné.
C’est d’ailleurs dans une imitation de Carlos que Dieudonné fait sa première — et seule — référence à Charlie Hebdo. Avec un accent espagnol caricatural, il fait parler le terroriste lors de sa prise d’otage au siège de l’Opep :
“Vous êtes les gens les plus puissants du monde et vous êtes de la mierda ! — Doucement Carlos… C’est un spectacle comique. — Dieudonné, tu me fais venir ici… Moi je suis pas un humoriste. Je suis pas Charlie !”(rires)
“Mais j’ai toujours été du côté du peuple. Les vrais terroristes del mundo c’est toute la mierda americana ! Les Bush, les Obama, les Hollande. (applaudissements) C’est eux qui fabriquent ça (il désigne le Famas). Moi je leur vole ça et je leur tire dessus.” (applaudissements)
Dieudonné retrouve sa voix :
“Carlos a pas tort, parce que le Famas est fabriqué en France, à Saint-Etienne. Et c’est autorisé par le Conseil d’Etat, contrairement à mes sketches. (rires) Là y’a pas de problème d’atteinte à la dignité humaine.”
De Carlos, devenu son porte-voix, Dieudonné passe à l’Opep, puis aux guerres menées par les pays occidentaux pour le pétrole, pour finalement arriver aux militaires français qui font le signe de la quenelle.
Le dernier tiers du spectacle débute ainsi. Plus court et plus décousu, il mêle des références aux lycéens poursuivis pour avoir fait des quenelles, aux sportifs qui se sont déclarés piégés par un geste dont ils ignoraient la signification, comme Tony Parker, Teddy Riner ou Mamadou Sakho.
“Si vous êtes aujourd’hui attiré par le glissage de quenelle, apprenez quand même à baisser un peu votre froc.”
“Mamadou Sakho, c’est une vraie tragédie dans le monde de la quenelle. Il était avec moi : quenelle main droite, main gauche. Même moi je disais : ‘arrête Mamadou’ ”(rires)
Sans transition, il passe à la montée du Front national et revient à la politique.
“Les moutons, ils allaient voter sans réfléchir. Maintenant y’a internet…”
“Le mec qui fabrique l’argent en France qui convoque un jour Hollande dans son bureau […] : ‘Donc on a réfléchi hier soir et tu seras le prochain président de la République. On était pas prêts […] mais Strauss-Kahn s’est fait choper à New-York. […] Va voir la secrétaire, elle va te filer tes tickets-restaurant.’ ” (rires)
Ce “mec qui fabrique l’argent” appelle ensuite un chef de l’Ifop, un célèbre institut de sondages :
“Ecoute-moi. C’est moi qui paye, c’est moi qui parle. Toi tu la fermes. Tu fais du sondage ? Donc tu me mets la formule express sur François Hollande. On part de zéro, direction la Grande ourse. (rires) Des questions très fermées, des questions cadenassées. […] Des questions du style ‘qui parmi ces trois personnalités de gauche ferait un excellent président de la République ? Marc Dutroux, Guy Georges ou François Hollande ?’ ” (rires)
La fin du show approche. Dieudonné termine avec une séquence où il joue son propre père, avec l’accent africain toujours aussi caricatural. Il s’adresse au public :
“Je vous remercie d’avoir soutenu mon enfant. Sans vous le public, il ne pouvait tenir très longtemps. Vous avez encore payé 40 euros ! (rires) Mais c’est bon, c’est bon !”
“(à Dieudonné) Allez viens ici ! On va chanter ton machin de quenelle.”
Epilogue dans la joie, donc, avec la chanson de la quenelle.
Photo d’en-tête : la façade du théâtre de la Main d’or, jeudi. (Matthieu Jublin)