Justice

Pourquoi la déchéance de la nationalité est trop complexe pour être efficace

Les appels à la déchéance de nationalité française des jihadistes partis à l'étranger se multiplient depuis les attentats contre Charlie Hebdo. Prévue par le Code civil, la mesure repose sur des conditions précises. Sa mise mis en œuvre est rarissime.

Déchoir de leur nation­al­ité française les jihadistes par­tis à l’étranger. C’est la propo­si­tion for­mulée par plusieurs respon­s­ables poli­tiques, comme Nico­las Sarkozy, après la vague d’attentats qui a frap­pé la France. La mesure existe déjà, a rap­pelé Manuel Valls, qui n’y est pas opposé.

Le Con­seil con­sti­tu­tion­nel a récem­ment validé les arti­cles du code civ­il qui prévoient cette sanc­tion. Le dis­posi­tif obéit à des con­di­tions pré­cis­es. La déchéance de nation­al­ité reste aujourd’hui exceptionnelle.

Quelles sont les personnes concernées ?

Tous les Français ne peu­vent pas être déchus de leur nation­al­ité. Selon l’article 25 du Code civ­il, la mesure ne peut con­cern­er que ceux qui ont « acquis la qual­ité de Français ». Celui qui naît français ne peut donc être déchu de sa nationalité.

De plus, cette sanc­tion ne peut con­cern­er que des faits qui « se sont pro­duits antérieure­ment à l’ac­qui­si­tion de la nation­al­ité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acqui­si­tion ». Une fois ce délai écoulé, la déchéance est impos­si­ble. Depuis 2006, le délai est de 15 ans pour les actes de terrorisme.

Enfin, la mesure ne peut frap­per que des bina­tionaux. La con­ven­tion onusi­enne du 30 août 1961, rat­i­fiée par la France, inter­dit de priv­er un indi­vidu de sa nation­al­ité « si cette pri­va­tion doit le ren­dre apa­tride ». Sans deux­ième nation­al­ité, pas de déchéance possible.

Quels sont les motifs de déchéance ? 

L’article 25 du Code civ­il énumère qua­tre motifs de déchéance de nation­al­ité française.
1. Etre con­damné pour un acte qual­i­fié de crime ou délit con­sti­tu­ant une atteinte aux intérêts fon­da­men­taux de la nation.
2. Etre con­damné pour un acte qual­i­fié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal (“Des atteintes à l’ad­min­is­tra­tion publique com­mis­es par des per­son­nes exerçant une fonc­tion publique”). Traf­ic d’in­flu­ence, prise illé­gale d’intérêt…
3. Etre con­damné pour s’être sous­trait aux oblig­a­tions résul­tant pour lui du code du ser­vice national.
4. S’être livré au prof­it d’un Etat étranger à des actes incom­pat­i­bles avec la qual­ité de Français et préju­di­cia­bles aux intérêts de la France.

Quelle est la procédure à suivre ? 

La déchéance de nation­al­ité est une déci­sion admin­is­tra­tive et non judi­ci­aire. Un tri­bunal ne peut pas retir­er sa qual­ité de Français à un jus­ti­cia­ble. La déci­sion relève du gou­verne­ment. Elle est prise par « décret pris après avis con­forme du Con­seil d’E­tat », pré­cise l’article 25 du Code civil.

Quelles sont les effets de la déchéance de nationalité ? 

La per­son­ne déchue de sa nation­al­ité perd tous les droits attachés à la qual­ité de Français : droit de vote, d’éligibilité ou d’accès aux emplois de la fonc­tion publique. Elle ne béné­fi­cie plus de la pro­tec­tion diplo­ma­tique française à l’étranger et n’est pas à l’abri d’une extra­di­tion. Enfin, la per­son­ne peut-être expul­sée du ter­ri­toire français. Mais le droit européen s’oppose par­fois à cette mesure. En 2009, La Cour européenne des droits de l’Homme s’est opposée à l’expulsion vers l’Al­gérie de Kamel Daou­di, déchu de sa nation­al­ité pour sa par­tic­i­pa­tion à un pro­jet d’at­ten­tat con­tre l’am­bas­sade des Etats-Unis à Paris.

La Cour avait refusé l’ex­pul­sion à cause des risques de « mau­vais traite­ments, y com­pris de tor­ture” qui pour­raient peser sur Kamel Daou­di dans son pays d’o­rig­ine. C’est ce même raison­nement qui a con­duit à sus­pendre l’expulsion de Djamel Beghal, con­damné pour des faits sim­i­laires et soupçon­né d’être le men­tor des frères Kouachi. Il a été réin­car­céré depuis. Autre obsta­cle à l’expulsion : le droit au respect de la vie privée et famil­iale, garan­ti par l’article 8 de la Con­ven­tion Européenne des droits de l’homme.

Combien de cas ? 

Déchoir un indi­vidu de sa nation­al­ité française est com­plexe. Depuis 1989, la procé­dure n’a été util­isée qu’à 22 repris­es. Mais il faut dis­tinguer avant et après 1998. C’est depuis cette date que la loi inter­dit de ren­dre une per­son­ne apa­tride. Depuis, un motif de déchéance a dis­paru : celui d’avoir com­mis “un acte qual­i­fié de crime par les lois français­es ayant entraîné une con­damna­tion à une peine d’au moins 5 années d’emprisonnement”. Ain­si, seule­ment huit per­son­nes ont per­du la nation­al­ité française depuis 1998.

Quelle différence avec l’indignité nationale ? 

Manuel Valls a demandé une « réflex­ion » sur le rétab­lisse­ment de « la peine d’indignité nationale », une mesure à pro­pos de laque­lle la min­istre de la Jus­tice Chris­tiane Taubi­ra avait émis des réserves. L’indignité nationale est un crime rétroac­t­if instau­ré au lende­main de la Libéra­tion. L’infraction vise ceux qui ont col­laboré avec l’Allemagne pen­dant l’occupation nazie.

Abrogé par la loi d’amnistie du 5 jan­vi­er 1951, ce crime entraî­nait de lour­des sanc­tions : perte des droits civiques, civils et mil­i­taires. L’indignité nationale ne pri­vait cepen­dant pas le con­damné de la nation­al­ité française.

Et la citoyenneté ?

La citoyen­neté est le fruit d’une longue his­toire, issue de la Révo­lu­tion française. Elle est aujour­d’hui accordée à tous les Français. Cela n’a pas tou­jours été le cas.

Info­gra­phie : Mar­i­on Lot

Pho­to: des jihadistes français brû­lent leurs papiers (Cap­ture d’écran Al Hay­at Media Center)