Sécurité

Lunel, là où naissent les morts du jihad

Un jeune, originaire de la petite ville héraultaise, est mort le 29 décembre en Syrie. Cette annonce a porté à six le nombre de jihadistes de la commune décédés en quatre mois. La population craint qu’une filière salafiste ait pris racine parmi elle. Reportage.

« Il y a des choses qui ne tour­nent pas rond, ici ». Fati­ma, une quin­quagé­naire d’origine algéri­enne, baisse la voix en évo­quant le trou­ble qui plane sur la com­mu­nauté musul­mane de Lunel. La petite ville de 35 000 habi­tants, située dans la périphérie de Mont­pel­li­er, détient un triste record français : après les prénoms d’Hamza, 19 ans, et de Karim, 28 ans à la mi-décem­bre, un nou­veau nom - non dévoilé- est venu s’ajouter à la liste des trois autres Lunel­lois déjà morts au jihad, en Irak ou en Syrie.

Tous sor­taient de ces ruelles étroites, aux nom­breuses maisons délabrées. Tous ont gran­di entre les fis­sures de ces murs col­orés et les bal­cons aux rem­bardes envahies de linge humide. Tous ont foulé le pavé rocailleux du cen­tre-ville  d’où émane une forte odeur de viande frite.

Dans cette com­mune sous le choc, de nom­breux habi­tants attribuent ces drames à l’action d’une fil­ière organ­isée de recru­teurs jihadistes. Fati­ma a bien enten­du ce qui se dit autour d’elle :

« A la mosquée, il y a des cours d’alphabétisation le soir. Si vous voulez mon avis, pour arrêter l’endoctrinement, on devrait sur­veiller un peu plus les pro­fesseurs là-bas… ».

Dans son immeu­ble, ses voisins de palier par­lent même d’une « ving­taine » de jeunes qui, après avoir suivi ces cours, seraient par­tis vers la Syrie depuis le mois d’août.

« La mosquée de Lunel est préoccupante »

Le prési­dent du lieu de culte, Lahoucine Goum­ri, a fer­me­ment démen­ti, à la mi-décem­bre, dans un com­mu­niqué toute respon­s­abil­ité dans le phénomène de rad­i­cal­i­sa­tion de cer­tains de ses fidèles:

« Les tristes événe­ments sur­venus ne sont que la volon­té indi­vidu­elle de cer­taines per­son­nes ayant fait un choix stricte­ment per­son­nel, et totale­ment indépen­dante de la com­mu­nauté musul­mane de Lunel ».

Devant les grilles du lieu, situé au milieu d’une zone indus­trielle en périphérie de la ville, des musul­mans mon­tent la garde. « On ne peut pas par­ler, notre porte-parole nous l’a inter­dit », pré­cise l’un d’eux, âgé d’une ving­taine d’années, dans un regard sus­picieux. Le préfet de l’Hérault, Pierre de Bous­quet, a par­ticipé le 6 jan­vi­er à une réu­nion sur la mise en place de mesures pour endiguer la rad­i­cal­i­sa­tion de jeunes lunel­lois. « La mosquée de Lunel est préoc­cu­pante », a t‑il pré­cisé dans une inter­view du site Ensem­ble et citoyens pour Mont­pel­li­er. Le Front Nation­al a revendiqué le 7 jan­vi­er la fer­me­ture com­plète du lieu de culte. 

Pour Pierre*, un agent immo­bili­er lunel­lois, l’existence d’une fil­ière jihadiste ne fait aucun doute. Il pré­tend même en con­naître l’organigramme. « Au départ, les islamistes rad­i­caux de la région se con­cen­traient à la Pail­lade (un quarti­er de Mont­pel­l­li­er). Puis cer­tains d’entre eux sont venus s’installer à Lunel. Ils y ont créé un petit groupe salafiste, dont le noy­au dur était con­sti­tué d’habitants frag­iles et désœu­vrés. » Pierre a un ami qui s’est ren­du pen­dant deux mois à leurs réu­nions et qui a accep­té de témoign­er par téléphone.

« Là-bas, une asso­ci­a­tion com­mu­nau­taire, financée par le Qatar, nous dis­tribuait des livres en arabe avec une inter­pré­ta­tion vio­lente de l’Islam ».

Les hommes se rassem­blaient toutes les semaines, dans des sous-sols de restau­rants. Beau­coup étaient issus de l’immigration. Pas tous. De moins en moins, dit notre témoin.

« Ils ne veulent surtout pas louer à des arabes »

Selon l’INSEE, il y a 13% d’immigrés dans la pop­u­la­tion de la com­mune. Le maire de Lunel, Claude Arnaud, a refusé dans un com­mu­niqué offi­ciel toute forme de stig­ma­ti­sa­tion et de con­clu­sion hâtive :

« Lunel est une ville agréable à vivre dans laque­lle la cohé­sion et la tran­quil­lité sociales sont une réal­ité con­crète, au quo­ti­di­en, sur l’ensemble de la commune ».

Son directeur de cab­i­net,  Nor­bert Euvé n’a pas souhaité s’étendre sur le phénomène de ségré­ga­tion des quartiers lunel­lois, évo­quant sim­ple­ment une « impor­tante com­mu­nauté maghrébine, prin­ci­pale­ment con­cen­trée dans le cen­tre-ville. » En 2010, Claude Arnaud avait été épinglé par le Mou­ve­ment con­tre le racisme et pour l’amitié des peu­ples pour des pro­pos tenus sur le prob­lème soci­ologique du dia­logue avec la pop­u­la­tion maghrébine.

Pour­tant, Pierre a le sen­ti­ment de faire chaque jour l’expérience de la mon­tée du com­mu­nau­tarisme et de l’intolérance dans la petite cité héraultaise. L’agent immo­bili­er affirme ren­con­tr­er quo­ti­di­en­nement des clients qui, depuis deux ou trois ans, « ne veu­lent surtout pas louer à des arabes ». Pour lui, la révéla­tion de la mort des deux nou­veaux  jihadistes lunel­lois va attis­er encore plus les rancoeurs.

* Le prénom a été mod­i­fié à la demande de l’intéressé.

Pho­to : La mosquée de Lunel refuse toute part de respon­s­abil­ité dans la rad­i­cal­i­sa­tion de cer­tains de ses fidèles (Malo Tresca / CFJ).