« Il y a des choses qui ne tournent pas rond, ici ». Fatima, une quinquagénaire d’origine algérienne, baisse la voix en évoquant le trouble qui plane sur la communauté musulmane de Lunel. La petite ville de 35 000 habitants, située dans la périphérie de Montpellier, détient un triste record français : après les prénoms d’Hamza, 19 ans, et de Karim, 28 ans à la mi-décembre, un nouveau nom - non dévoilé- est venu s’ajouter à la liste des trois autres Lunellois déjà morts au jihad, en Irak ou en Syrie.
Tous sortaient de ces ruelles étroites, aux nombreuses maisons délabrées. Tous ont grandi entre les fissures de ces murs colorés et les balcons aux rembardes envahies de linge humide. Tous ont foulé le pavé rocailleux du centre-ville d’où émane une forte odeur de viande frite.
Dans cette commune sous le choc, de nombreux habitants attribuent ces drames à l’action d’une filière organisée de recruteurs jihadistes. Fatima a bien entendu ce qui se dit autour d’elle :
« A la mosquée, il y a des cours d’alphabétisation le soir. Si vous voulez mon avis, pour arrêter l’endoctrinement, on devrait surveiller un peu plus les professeurs là-bas… ».
Dans son immeuble, ses voisins de palier parlent même d’une « vingtaine » de jeunes qui, après avoir suivi ces cours, seraient partis vers la Syrie depuis le mois d’août.
« La mosquée de Lunel est préoccupante »
Le président du lieu de culte, Lahoucine Goumri, a fermement démenti, à la mi-décembre, dans un communiqué toute responsabilité dans le phénomène de radicalisation de certains de ses fidèles:
« Les tristes événements survenus ne sont que la volonté individuelle de certaines personnes ayant fait un choix strictement personnel, et totalement indépendante de la communauté musulmane de Lunel ».
Devant les grilles du lieu, situé au milieu d’une zone industrielle en périphérie de la ville, des musulmans montent la garde. « On ne peut pas parler, notre porte-parole nous l’a interdit », précise l’un d’eux, âgé d’une vingtaine d’années, dans un regard suspicieux. Le préfet de l’Hérault, Pierre de Bousquet, a participé le 6 janvier à une réunion sur la mise en place de mesures pour endiguer la radicalisation de jeunes lunellois. « La mosquée de Lunel est préoccupante », a t‑il précisé dans une interview du site Ensemble et citoyens pour Montpellier. Le Front National a revendiqué le 7 janvier la fermeture complète du lieu de culte.
Pour Pierre*, un agent immobilier lunellois, l’existence d’une filière jihadiste ne fait aucun doute. Il prétend même en connaître l’organigramme. « Au départ, les islamistes radicaux de la région se concentraient à la Paillade (un quartier de Montpelllier). Puis certains d’entre eux sont venus s’installer à Lunel. Ils y ont créé un petit groupe salafiste, dont le noyau dur était constitué d’habitants fragiles et désœuvrés. » Pierre a un ami qui s’est rendu pendant deux mois à leurs réunions et qui a accepté de témoigner par téléphone.
« Là-bas, une association communautaire, financée par le Qatar, nous distribuait des livres en arabe avec une interprétation violente de l’Islam ».
Les hommes se rassemblaient toutes les semaines, dans des sous-sols de restaurants. Beaucoup étaient issus de l’immigration. Pas tous. De moins en moins, dit notre témoin.
« Ils ne veulent surtout pas louer à des arabes »
Selon l’INSEE, il y a 13% d’immigrés dans la population de la commune. Le maire de Lunel, Claude Arnaud, a refusé dans un communiqué officiel toute forme de stigmatisation et de conclusion hâtive :
« Lunel est une ville agréable à vivre dans laquelle la cohésion et la tranquillité sociales sont une réalité concrète, au quotidien, sur l’ensemble de la commune ».
Son directeur de cabinet, Norbert Euvé n’a pas souhaité s’étendre sur le phénomène de ségrégation des quartiers lunellois, évoquant simplement une « importante communauté maghrébine, principalement concentrée dans le centre-ville. » En 2010, Claude Arnaud avait été épinglé par le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples pour des propos tenus sur le problème sociologique du dialogue avec la population maghrébine.
Pourtant, Pierre a le sentiment de faire chaque jour l’expérience de la montée du communautarisme et de l’intolérance dans la petite cité héraultaise. L’agent immobilier affirme rencontrer quotidiennement des clients qui, depuis deux ou trois ans, « ne veulent surtout pas louer à des arabes ». Pour lui, la révélation de la mort des deux nouveaux jihadistes lunellois va attiser encore plus les rancoeurs.
* Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.
Photo : La mosquée de Lunel refuse toute part de responsabilité dans la radicalisation de certains de ses fidèles (Malo Tresca / CFJ).