Chaussée d’une paire de bottes noires impeccablement cirées, la jeune policière ne craint pas la pluie battante de cette après-midi maussade. Devant la salle d’exposition de l’espace Champerret, dans le XVIIe arrondissement de Paris, Isabelle profite d’une courte pause cigarette avant de regagner son poste. A son bras, un écusson brodé porte la mention : « Police nationale : motocycliste ».
« J’ai fait pas mal de salons étudiants. Avant, avec les “Experts“ (série télévisée américaine ndlr), les jeunes voulaient tous entrer dans la police scientifique, sourit-elle. Aujourd’hui, c’est le RAID qui a la cote. » Sa mission du jour : informer les visiteurs des modalités d’accès au métier. Mais surtout, le faire connaître. Représenter, uniforme à l’appui, l’infinie variété des postes à pourvoir dans la police.
Alors que Manuel Valls annonçait le 21 janvier la création, sur trois ans, de 2680 emplois affectés à la lutte contre le terrorisme, dont 1400 dans la police et le renseignement, la première édition des “Journées des métiers en tenue et en uniforme” semble tomber à point nommé. Elle a pourtant été prévue depuis plus d’un an. Une trentaine de corps de métiers y sont représentés, de l’administration pénitentiaire aux carabiniers du prince de Monaco, en passant par l’armée de terre, la marine nationale et la police environnementale.
Passée la fouille des sacs – plan Vigipirate oblige – le visiteur peut débuter son parcours. Dans l’incessant défilé de treillis, rangers, insignes et autres glorieuses coquetteries, les stands de la police et de la gendarmerie sont en première ligne. Dès l’entrée, c’est un mannequin en uniforme de la BRI (Brigade d’intervention et de recherche, rattachée à la police judiciaire) qui vous accueille, tandis qu’un petit chien renifleur fait le beau près de son maître, s’attirant les faveurs de quelques collégiens.
« Ça aurait pu me refroidir, mais ça m’a confortée dans mon choix »
A quelques mètres de là, Matthieu, 20 ans, fait la queue pour pouvoir s’entretenir avec un délégué au recrutement de la police nationale. En DUT « gestion administrative et commerciale » dans les Yvelines (78), le jeune homme a trouvé dans les attentats du début janvier le moteur dont il avait besoin pour se décider à changer d’orientation.
« Ça fait un petit mois que j’essaie de me renseigner sur la police. De voir que des choses comme ça peuvent arriver en France, ça m’a donné encore plus envie d’entrer dans les forces de l’ordre. »
Une envie de longue date, jamais vraiment suivie d’effet. Contrairement à d’autres jeunes, Matthieu ne rêve pas d’intégrer les unités d’élite comme le RAID (pour “Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion”, rattaché à la Direction générale de la police nationale) ou le GIGN (Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale), dont l’action lors des prises d’otage des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly a été unanimement saluée.
S’il est encore impossible de mesurer statistiquement leur nombre, Matthieu n’est pas le seul à avoir ressenti l’envie de s’engager à la suite des attentats. L’un des délégués au recrutement présents sur la salon, Patrice Genty, en atteste.
Le gardien de la paix s’enthousiasme, sourire bienveillant aux lèvres, avec un léger accent méridional : « La semaine dernière, j’ai reçu un appel d’un jeune homme d’une trentaine d’années, employé administratif. Il m’a demandé s’il n’était pas trop tard pour s’inscrire au concours. Il m’a dit qu’il avait eu une prise de conscience suite aux événements de Charlie Hebdo.»
Mais il ne faut pas généraliser : « Ce n’est quand même pas rien, comme engagement », nuance-t-il. Une vérité tragiquement confirmée par l’assassinat du gardien de la paix, Ahmed Merabet lors de l’attaque de Charlie Hebdo et de la jeune policière municipale Clarissa Jean-Philippe, à Montrouge (Hauts-de-Seine).
Laetitia, quant à elle, a toujours voulu intégrer les forces de l’ordre. Depuis sa plus tendre enfance, cette mère de trois enfants rêve de devenir gendarme. Pourtant, à 33 ans, la jeune femme travaille dans un cabinet d’avocats. « Ma mère m’a toujours déconseillé d’entrer dans la gendarmerie. Elle disait que c’était totalement incompatible avec une vie de famille. » Désormais trop âgée pour postuler en gendarmerie, Laetitia s’est retranchée sur la police, et convoite un poste dans la brigade des motocyclistes.
Les attentats ? « Ça aurait pu me refroidir, mais en fait pas du tout. Bien au contraire, ça m’a confortée dans mon choix, assure la jeune femme. Et puis je me suis dit qu’ils allaient élargir le recrutement, que j’aurais plus de chances d’y arriver. »
« Il y a deux mois, on était les plus gros cons du monde »
Depuis le rassemblement du 11 janvier, policiers, CRS et gendarmes ont les faveurs du public. Embrassés, applaudis par la foule, l’espace d’un instant, ils n’avaient plus rien à envier aux pompiers, plus habitués aux louanges. Un bon moyen pour susciter des vocations.
Et pourtant, le capitaine Jean-François Brisse, du GIGN, ne se fait aucune illusion sur cette popularité aussi touchante que soudaine : « Il y a deux mois, il y avait l’affaire de Sivens, Rémi Fraisse… À l’époque, police et gendarmerie, on était les plus gros cons du monde. Deux mois plus tard, on nous roule des pèles en place publique ! »
Pour cette figure de la prestigieuse unité d’intervention de la Gendarmerie Nationale, il ne faut pas s’y tromper : à la première contravention, aux premiers flashs des radars, le bel engouement des dernières semaines retombera.
Mais pour ceux qui, comme Matthieu, sont sûrs de leur choix, cela importe peu : « Mon père me l’a rappelé récemment : “Tu verras, plus tard peut-être que tu te feras insulter, qu’on te détestera pour ce que tu fais. Mais si tu as envie de le faire, fais-le quoiqu’il arrive“ ».
Photo d’en-tête : Les derniers évènements de Charlie Hebdo ont aidé à certains à se décider à s’intéresser de plus près aux métiers de la police et de la gendarmerie. (3millions7 / Lyse Le Runigo)