Sécurité

Attentats : “Ça m’a donné encore plus envie d’entrer dans les forces de l’ordre”

Les attentats des 7, 8 et 9 janvier n'ont pas freiné les vocations dans la police ou la gendarmerie. Au contraire, certains candidats potentiels se disent d'autant plus pressés de s'engager. 3 millions 7 est allé les rencontrer, lors du premier salon des "métiers en tenue et en uniforme", le weekend dernier à Paris.

Chaussée d’une paire de bottes noires impec­ca­ble­ment cirées, la jeune poli­cière ne craint pas la pluie bat­tante de cette après-midi maus­sade. Devant la salle d’exposition de l’espace Cham­per­ret, dans le XVI­Ie arrondisse­ment de Paris, Isabelle prof­ite d’une courte pause cig­a­rette avant de regag­n­er son poste. A son bras, un écus­son brodé porte la men­tion : « Police nationale : motocycliste ».

« J’ai fait pas mal de salons étu­di­ants. Avant, avec les “Experts“ (série télévisée améri­caine ndlr), les jeunes voulaient tous entr­er dans la police sci­en­tifique, sourit-elle. Aujourd’hui, c’est le RAID qui a la cote. » Sa mis­sion du jour : informer les vis­i­teurs des modal­ités d’accès au méti­er. Mais surtout, le faire con­naître. Représen­ter, uni­forme à l’appui, l’infinie var­iété des postes à pour­voir dans la police.

Alors que Manuel Valls annonçait le 21 jan­vi­er la créa­tion, sur trois ans, de 2680 emplois affec­tés à la lutte con­tre le ter­ror­isme, dont 1400 dans la police et le ren­seigne­ment, la pre­mière édi­tion des “Journées des métiers en tenue et en uni­forme” sem­ble tomber à point nom­mé. Elle a pour­tant été prévue depuis plus d’un an. Une trentaine de corps de métiers y sont représen­tés, de l’administration péni­ten­ti­aire aux cara­biniers du prince de Mona­co, en pas­sant par l’ar­mée de terre, la marine nationale et la police environnementale.

Passée la fouille des sacs – plan Vigipi­rate oblige – le vis­i­teur peut débuter son par­cours. Dans l’incessant défilé de treil­lis, rangers, insignes et autres glo­rieuses coquet­ter­ies, les stands de la police et de la gen­darmerie sont en pre­mière ligne. Dès l’entrée, c’est un man­nequin en uni­forme de la BRI (Brigade d’intervention et de recherche, rat­tachée à la police judi­ci­aire) qui vous accueille, tan­dis qu’un petit chien reni­fleur fait le beau près de son maître, s’attirant les faveurs de quelques collégiens.

Gendarmes et policiers sont réunis pour communiquer avec le public, et recruter. (3millions7 / Lyse Le Runigo)
Gen­darmes et policiers sont réu­nis pour com­mu­ni­quer avec le pub­lic, et recruter. (3millions7 / Lyse Le Runigo)

« Ça aurait pu me refroidir, mais ça m’a confortée dans mon choix »

A quelques mètres de là, Matthieu, 20 ans, fait la queue pour pou­voir s’entretenir avec un délégué au recrute­ment de la police nationale. En DUT « ges­tion admin­is­tra­tive et com­mer­ciale » dans les Yve­lines (78), le jeune homme a trou­vé dans les atten­tats du début jan­vi­er le moteur dont il avait besoin pour se décider à chang­er d’orientation.

« Ça fait un petit mois que j’essaie de me ren­seign­er sur la police. De voir que des choses comme ça peu­vent arriv­er en France, ça m’a don­né encore plus envie d’entrer dans les forces de l’ordre. »

Une envie de longue date, jamais vrai­ment suiv­ie d’effet. Con­traire­ment à d’autres jeunes, Matthieu ne rêve pas d’intégrer les unités d’élite comme le RAID (pour “Recherche, Assis­tance, Inter­ven­tion, Dis­sua­sion”, rat­taché à la Direc­tion générale de la police nationale) ou le GIGN (Groupe d’in­ter­ven­tion de la Gen­darmerie nationale), dont l’action lors des pris­es d’otage des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly a été unanime­ment saluée.

Matthieu, 20 ans, est là pour se renseigner sur le concours de gardien de la paix. (3millions7 / Lyse Le Runigo)
Matthieu, 20 ans, est là pour se ren­seign­er sur le con­cours de gar­di­en de la paix. (3millions7 / Lyse Le Runigo)

S’il est encore impos­si­ble de mesur­er sta­tis­tique­ment leur nom­bre, Matthieu n’est pas le seul à avoir ressen­ti l’en­vie de s’en­gager à la suite des atten­tats. L’un des délégués au recrute­ment présents sur la salon, Patrice Gen­ty, en atteste.

Le gar­di­en de la paix s’en­t­hou­si­asme, sourire bien­veil­lant aux lèvres, avec un léger accent mérid­ion­al : « La semaine dernière, j’ai reçu un appel d’un jeune homme d’une trentaine d’années, employé admin­is­tratif. Il m’a demandé s’il n’était pas trop tard pour s’inscrire au con­cours. Il m’a dit qu’il avait eu une prise de con­science suite aux événe­ments de Char­lie Heb­do

Mais il ne faut pas généralis­er : « Ce n’est quand même pas rien, comme engage­ment », nuance-t-il. Une vérité trag­ique­ment con­fir­mée par l’assassinat du gar­di­en de la paix, Ahmed Mer­abet lors de l’attaque de Char­lie Heb­do et de la jeune poli­cière munic­i­pale Claris­sa Jean-Philippe, à Mon­trouge (Hauts-de-Seine).

Laeti­tia, quant à elle, a tou­jours voulu inté­gr­er les forces de l’ordre. Depuis sa plus ten­dre enfance, cette mère de trois enfants rêve de devenir gen­darme. Pour­tant, à 33 ans, la jeune femme tra­vaille dans un cab­i­net d’avocats. « Ma mère m’a tou­jours décon­seil­lé d’entrer dans la gen­darmerie. Elle dis­ait que c’était totale­ment incom­pat­i­ble avec une vie de famille. » Désor­mais trop âgée pour pos­tuler en gen­darmerie, Laeti­tia s’est retranchée sur la police, et con­voite un poste dans la brigade des motocyclistes.

Les atten­tats ? « Ça aurait pu me refroidir, mais en fait pas du tout. Bien au con­traire, ça m’a con­fortée dans mon choix, assure la jeune femme. Et puis je me suis dit qu’ils allaient élargir le recrute­ment, que j’aurais plus de chances d’y arriv­er. »

« Il y a deux mois, on était les plus gros cons du monde »

Depuis le rassem­ble­ment du 11 jan­vi­er, policiers, CRS et gen­darmes ont les faveurs du pub­lic. Embrassés, applaud­is par la foule, l’e­space d’un instant, ils n’avaient plus rien à envi­er aux pom­piers, plus habitués aux louanges. Un bon moyen pour sus­citer des vocations.

Et pour­tant, le cap­i­taine Jean-François Brisse, du GIGN, ne se fait aucune illu­sion sur cette pop­u­lar­ité aus­si touchante que soudaine : « Il y a deux mois, il y avait l’af­faire de Sivens, Rémi Fraisse… À l’époque, police et gen­darmerie, on était les plus gros cons du monde. Deux mois plus tard, on nous roule des pèles en place publique ! »

Pour cette fig­ure de la pres­tigieuse unité d’in­ter­ven­tion de la Gen­darmerie Nationale, il ne faut pas s’y tromper : à la pre­mière con­tra­ven­tion, aux pre­miers flashs des radars, le bel engoue­ment des dernières semaines retombera.

Le capitaine Brisse donne une conférence pour expliquer le fonctionnement du GIGN (3millions7 / Lyse Le Runigo)
Le cap­i­taine Brisse donne une con­férence pour expli­quer le fonc­tion­nement du GIGN (3millions7 / Lyse Le Runigo)

Mais pour ceux qui, comme Matthieu, sont sûrs de leur choix, cela importe peu : « Mon père me l’a rap­pelé récem­ment : “Tu ver­ras, plus tard peut-être que tu te feras insul­ter, qu’on te détestera pour ce que tu fais. Mais si tu as envie de le faire, fais-le quoiqu’il arrive“ ».

Pho­to d’en-tête : Les derniers évène­ments de Char­lie Heb­do ont aidé à cer­tains à se décider à s’in­téress­er de plus près aux métiers de la police et de la gen­darmerie. (3millions7 / Lyse Le Runigo)