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Les premières pistes de l’Union européenne pour résoudre le problème des migrants

« Des mesures fortes ». C'est ce qu'a appelé de ses vœux Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, pour le sommet extraordinaire des dirigeants européens jeudi 23 avril. L’ordre du jour : trouver des solutions pour éviter les drames de migrants en Méditerranée. Alors que les ONG réclament une opération humanitaire, l’UE semble s’engager sur la voie répressive. Revue de détail des solutions sur la table.

Les dirigeants européens se sont retrou­vés jeu­di 23 avril à Brux­elles pour trou­ver des pistes face aux drames des naufrages en Méditer­ran­née. Si le prési­dent du Con­seil européen, Don­ald Tusk, a prévenu avant la réu­nion que « per­son­ne ne se fai­sait d’il­lu­sions » et que « les prob­lèmes ne seraient pas réso­lus aujour­d’hui », la posi­tion européenne est très observée. Les dirigeants européens ont exam­iné un plan d’ac­tion en dix points de la Com­mis­sion européenne qui, s’il venait à être accep­té, con­stituerait un pro­gramme d’ac­tion inédit pour lut­ter con­tre l’im­mi­gra­tion clan­des­tine. Tour d’hori­zons des enjeux de ce som­met extraordinaire :

  • Ren­forcer la sur­veil­lance en mer

C’est là le prin­ci­pal point sur lequel doivent s’ac­corder les dirigeants européens. Ce ren­force­ment passe par l’extension de l’opération Tri­ton, un pro­gramme de l’agence européenne Fron­tex qui sur­veille les eaux ter­ri­to­ri­ales européennes. Ce pro­gramme, lancé en novem­bre 2014, a rem­placé Mare Nos­trum, opéra­tion ital­i­enne d’urgence née de la cat­a­stro­phe de Lampe­dusa le 3 octo­bre 2013 qui avait fait 366 victimes.

Le ren­force­ment financier de Tri­ton sem­ble faire l’unanimité par­mi les Vingt-huit, et l’Italie y est par­ti­c­ulière­ment favor­able. Rome sup­por­t­ait jusqu’à présent à elle seule l’effort de l’opération Mare Nos­trum à hau­teur de 9,5 mil­lions d’euros par mois. Bien moins dotée, l’opéra­tion Tri­ton dis­pose d’un bud­get men­su­el de 2,8 mil­lions d’euros dont l’extension devrait être décidée. « Le bud­get pour­rait être au min­i­mum dou­blé », révèle Harlem Désir, secré­taire d’Etat aux Affaires européennes.

Tous les pays mem­bres devraient pren­dre part à cette aug­men­ta­tion, au tra­vers de moyens logis­tiques divers : navires, avions, matériels de sur­veil­lances, experts. A son arrivée à Brux­elles, David Cameron a martelé que la Grande-Bre­tagne allait apporter son aide « comme tou­jours ». « Je vais offrir aujour­d’hui le HMS Bul­wark, l’un des plus grands navires de guerre bri­tan­nique, trois héli­cop­tères et deux autres navires patrouilleurs », a ajouté le pre­mier min­istre bri­tan­nique. Côté français, François Hol­lande a annon­cé une con­tri­bu­tion mais sans en détailler les moyens.

L’élargissement de Tri­ton sera aus­si opéra­tionnel. Jusqu’à présent, les bateaux européens ont un périmètre d’action de 30 000 milles nau­tiques, le long des côtes ital­i­ennes et mal­tais­es. Une faible dis­tance qui n’inclut pas de sur­veil­lance autour des côtes libyennes où les naufrages sont beau­coup plus fréquents, comme le mon­trent les drames de ces dernières semaines.

Cette exten­sion opéra­tionnelle ne ferait cepen­dant pas l’unanimité auprès de tous les Etats mem­bres de l’UE, cer­tains craig­nant un effet d’appel d’air, rap­porte le site d’information Eurac­tiv.

  • Lut­ter con­tre les passeurs

Détru­ire les bateaux des trafi­quants de migrants, ces « nou­veaux esclavagistes », selon l’ex­pres­sion du pre­mier min­istre ital­ien Mat­teo Ren­zi, est une autre piste envis­agée pen­dant la réu­nion. « Une mesure extrême­ment forte, dont je pense qu’elle sera adop­tée », a déclaré Lau­rent Fabius en marge d’un déplace­ment en Slovénie. Mais le chef de la diplo­matie française pêche peut-être par opti­misme. La mise en oeu­vre d’une telle action s’avère en effet com­pliquée et les experts sont scep­tiques. Ata­lante, la mis­sion mil­i­taire de l’UE con­tre la pira­terie au large des côtes soma­li­ennes a été lancée en 2008, mais les pre­mières actions con­tre les bateaux des pirates ont été menées en 2011–2012, a rap­pelé l’eu­rodéputé français Arnaud Dan­jean. « Que peut-on faire pour endiguer ce traf­ic par la force, la réponse est sim­ple : rien », a assuré à l’AFP l’ex-ami­ral français Alain Coldefy.

Les embar­ca­tions clan­des­tines pour­raient certes être saisies et détru­ites pen­dant les sauve­tages en mer. Mais seuls les gardes-côtes mal­tais et ital­iens sont en capac­ité de le faire dans leurs eaux ter­ri­to­ri­ales, les navires de l’opération Tri­ton ayant besoin d’un man­dat inter­na­tion­al. Une bien faible force de frappe face à l’afflux mas­sif d’embarcations clandestines.

  • Revoir la poli­tique d’asile

C’est sans doute là le prin­ci­pal point d’achoppement des dis­cus­sions. Il n’y a en effet pas de con­sen­sus des pays mem­bres de l’Union sur le dossier de la poli­tique migra­toire et d’asile. Depuis 2008, les deman­des d’asile vers des pays européens ont explosé. On dénom­brait 626 000 dossiers déposés en 2014, soit 400 000 de plus qu’il y a six ans.

Face à cette recrude­s­cence, la propo­si­tion de quo­tas de réfugiés et une répar­ti­tion équitable par pays est évo­quée. Mais elle est loin de faire l’unanimité. La sol­i­dar­ité entre pays sur la ques­tion migra­toire a en effet été bal­ayée par le règle­ment Dublin II qui impose au pre­mier Etat mem­bre auquel la demande d’asile a été adressée la respon­s­abil­ité de son exa­m­en, lais­sant l’Italie, Malte ou la Grèce en pre­mière ligne face à un prob­lème qui appelle pour­tant une solu­tion com­mune. « Le plus dif­fi­cile pour les gou­verne­ments sera de mon­tr­er (…) s’ils sont prêts à sac­ri­fi­er leurs intérêts nationaux », a affir­mé Don­ald Tusk en marge du som­met. Sur cette ques­tion, la Grande-Bre­tagne a d’ores et déjà fait con­naître sa posi­tion. « Les gens que nous repêcherons ou avec lesquels nous aurons affaire seront emmenés vers le pays sûr le plus proche, le plus prob­a­ble­ment l’I­tal­ie, et ils ne pour­ront deman­der immé­di­ate­ment l’asile au Roy­aume-Uni » a pré­cisé David Cameron, pre­mier min­istre bri­tan­nique, faisant peu de place à l’op­tion sol­idaire plébisc­itée par les ONG.

Un pro­jet « pilote » de répar­ti­tion des deman­deurs d’asile de 5 000 Syriens était au pro­gramme de la réu­nion. D’après un diplo­mate français, « il n’est pas évi­dent qu’il y ait un accord sur ce point » rap­porte Eurac­tiv. L’assouplissement de la poli­tique d’asile embar­rasse par­ti­c­ulière­ment la France où le pro­jet de loi sur le droit d’asile divise le Sénat. La réforme, qui prévoit de réduire de deux ans à neuf mois les délais de traite­ment des dossiers, doit être exam­inée en mai à la Cham­bre haute. Mais un récent rap­port de la Cour des comptes a fait polémique. Les mag­is­trats esti­ment en effet que le sys­tème d’asile français dont les coût seraient proche de deux mil­liards d’euros annuels n’est pas « souten­able à court terme ».

La ques­tion du droit d’asile, boîte de Pan­dore de l’Union européenne, a sans doute ani­mé les dis­cus­sions des Vingt-huit. « Le sujet est très poli­tisé, car il ren­voie à la poli­tique d’im­mi­gra­tion de l’U­nion européenne, et tous les par­tis d’ex­trême droite sont en embus­cade », analyse un diplo­mate auprès de l’AFP.

Marine Le Pen, prési­dente du Front Nation­al, n’a d’ailleurs pas man­qué de réa­gir ce matin sur la chaîne d’in­for­ma­tion en con­tinu Itélé. « La solu­tion, c’est de ren­dre nos pays non attrac­t­ifs à cette immi­gra­tion, a‑t-elle déclaré. On coupe toutes les pom­pes aspi­rantes, on arrête de pren­dre en charge gra­tu­ite­ment l’é­cole des enfants, les soins, l’aide sociale…»

  • Inter­venir en Libye

La solu­tion au drame des migrants en Méditer­ranée passe par le « traite­ment du dossier libyen ». C’est ce qu’a déclaré mer­cre­di 21 avril le prési­dent con­go­lais, Denis Sas­sou-Ngues­so. C’est aus­si l’opinion de Jean-Claude Junck­er, prési­dent de la Com­mis­sion européenne, et de son homo­logue auprès de l’U­nion africaine, Nkosazana Dlami­ni-Zuma. Tous deux exi­gent que les fac­tions rivales en Libye se met­tent rapi­de­ment d’ac­cord pour recon­stru­ire un Etat, pre­mière étape pour per­me­t­tre d’endiguer le flux de migrants.

La Libye est en effet en proie à une pro­fonde insta­bil­ité poli­tique depuis la chute du régime de Mouam­mar Kad­hafi en 2011. Divisé entre libéraux et islamistes, le pays se déchire au gré d’affrontements entre mil­ices enne­mies, issues de la guerre civile. Les passeurs, eux, prof­i­tent du chaos insti­tu­tion­nel libyen et de la porosité des fron­tières pour organ­is­er les trafics de migrants. Le prési­dent français François Hol­lande a appelé à « répar­er les erreurs du passé » sur le dossier libyen, visant ain­si son prédécesseur Nico­las Sarkozy, insti­ga­teur de l’in­ter­ven­tion mil­i­taire en Libye qui avait ren­ver­sé le régime de Moum­mar Kad­hafi en 2011.  « La ques­tion c’est de savoir com­ment se fait-il qu’après une inter­ven­tion il y a plus de trois ans et demi il n’y ait eu aucune réflex­ion sur ce qui devait se pass­er après », a‑t-il déclaré.

« Encore beau­coup, beau­coup à faire », c’est ce qu’a souligné Angela Merkel en marge de la réu­nion d’ur­gence. La chancelière alle­mande appelle de ses vœux un « plan de tra­vail dans les prochains jours, une feuille de route indi­quant la marche à suiv­re ».

En atten­dant que le plan soit offi­cielle­ment dévoilé jeu­di soir à Brux­elles, les organ­i­sa­tions human­i­taires man­i­fes­tent leur décep­tion et dénon­cent des mesures insuff­isantes. La con­cen­tra­tion de l’ac­tion européenne sur les bateaux « ne règlera pas le prob­lème parce que les prin­ci­paux respon­s­ables se situent plutôt en amont, au niveau des fil­ières », assure Olivi­er Clochard, prési­dent du réseau Migreu­rop. Le plan « n’ar­rêtera pas les gens en sit­u­a­tion de détresse », pour­suit-il, prô­nant l’ou­ver­ture de « voies de migra­tion légales » pour empêch­er les migrants de tomber dans les mains des passeurs.

La volon­té poli­tique européenne s’est bel et bien man­i­festée ce jeu­di à Brux­elles. Pas sûr cepen­dant que la ques­tion des cat­a­stro­phes migra­toires tran­scende les préoc­cu­pa­tions nationales.

Crédit pho­to : CC-BY Emiliano