Les dirigeants européens se sont retrouvés jeudi 23 avril à Bruxelles pour trouver des pistes face aux drames des naufrages en Méditerrannée. Si le président du Conseil européen, Donald Tusk, a prévenu avant la réunion que « personne ne se faisait d’illusions » et que « les problèmes ne seraient pas résolus aujourd’hui », la position européenne est très observée. Les dirigeants européens ont examiné un plan d’action en dix points de la Commission européenne qui, s’il venait à être accepté, constituerait un programme d’action inédit pour lutter contre l’immigration clandestine. Tour d’horizons des enjeux de ce sommet extraordinaire :
- Renforcer la surveillance en mer
C’est là le principal point sur lequel doivent s’accorder les dirigeants européens. Ce renforcement passe par l’extension de l’opération Triton, un programme de l’agence européenne Frontex qui surveille les eaux territoriales européennes. Ce programme, lancé en novembre 2014, a remplacé Mare Nostrum, opération italienne d’urgence née de la catastrophe de Lampedusa le 3 octobre 2013 qui avait fait 366 victimes.
Le renforcement financier de Triton semble faire l’unanimité parmi les Vingt-huit, et l’Italie y est particulièrement favorable. Rome supportait jusqu’à présent à elle seule l’effort de l’opération Mare Nostrum à hauteur de 9,5 millions d’euros par mois. Bien moins dotée, l’opération Triton dispose d’un budget mensuel de 2,8 millions d’euros dont l’extension devrait être décidée. « Le budget pourrait être au minimum doublé », révèle Harlem Désir, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes.
Tous les pays membres devraient prendre part à cette augmentation, au travers de moyens logistiques divers : navires, avions, matériels de surveillances, experts. A son arrivée à Bruxelles, David Cameron a martelé que la Grande-Bretagne allait apporter son aide « comme toujours ». « Je vais offrir aujourd’hui le HMS Bulwark, l’un des plus grands navires de guerre britannique, trois hélicoptères et deux autres navires patrouilleurs », a ajouté le premier ministre britannique. Côté français, François Hollande a annoncé une contribution mais sans en détailler les moyens.
L’élargissement de Triton sera aussi opérationnel. Jusqu’à présent, les bateaux européens ont un périmètre d’action de 30 000 milles nautiques, le long des côtes italiennes et maltaises. Une faible distance qui n’inclut pas de surveillance autour des côtes libyennes où les naufrages sont beaucoup plus fréquents, comme le montrent les drames de ces dernières semaines.
Cette extension opérationnelle ne ferait cependant pas l’unanimité auprès de tous les Etats membres de l’UE, certains craignant un effet d’appel d’air, rapporte le site d’information Euractiv.
- Lutter contre les passeurs
Détruire les bateaux des trafiquants de migrants, ces « nouveaux esclavagistes », selon l’expression du premier ministre italien Matteo Renzi, est une autre piste envisagée pendant la réunion. « Une mesure extrêmement forte, dont je pense qu’elle sera adoptée », a déclaré Laurent Fabius en marge d’un déplacement en Slovénie. Mais le chef de la diplomatie française pêche peut-être par optimisme. La mise en oeuvre d’une telle action s’avère en effet compliquée et les experts sont sceptiques. Atalante, la mission militaire de l’UE contre la piraterie au large des côtes somaliennes a été lancée en 2008, mais les premières actions contre les bateaux des pirates ont été menées en 2011–2012, a rappelé l’eurodéputé français Arnaud Danjean. « Que peut-on faire pour endiguer ce trafic par la force, la réponse est simple : rien », a assuré à l’AFP l’ex-amiral français Alain Coldefy.
Les embarcations clandestines pourraient certes être saisies et détruites pendant les sauvetages en mer. Mais seuls les gardes-côtes maltais et italiens sont en capacité de le faire dans leurs eaux territoriales, les navires de l’opération Triton ayant besoin d’un mandat international. Une bien faible force de frappe face à l’afflux massif d’embarcations clandestines.
- Revoir la politique d’asile
C’est sans doute là le principal point d’achoppement des discussions. Il n’y a en effet pas de consensus des pays membres de l’Union sur le dossier de la politique migratoire et d’asile. Depuis 2008, les demandes d’asile vers des pays européens ont explosé. On dénombrait 626 000 dossiers déposés en 2014, soit 400 000 de plus qu’il y a six ans.
Face à cette recrudescence, la proposition de quotas de réfugiés et une répartition équitable par pays est évoquée. Mais elle est loin de faire l’unanimité. La solidarité entre pays sur la question migratoire a en effet été balayée par le règlement Dublin II qui impose au premier Etat membre auquel la demande d’asile a été adressée la responsabilité de son examen, laissant l’Italie, Malte ou la Grèce en première ligne face à un problème qui appelle pourtant une solution commune. « Le plus difficile pour les gouvernements sera de montrer (…) s’ils sont prêts à sacrifier leurs intérêts nationaux », a affirmé Donald Tusk en marge du sommet. Sur cette question, la Grande-Bretagne a d’ores et déjà fait connaître sa position. « Les gens que nous repêcherons ou avec lesquels nous aurons affaire seront emmenés vers le pays sûr le plus proche, le plus probablement l’Italie, et ils ne pourront demander immédiatement l’asile au Royaume-Uni » a précisé David Cameron, premier ministre britannique, faisant peu de place à l’option solidaire plébiscitée par les ONG.
Un projet « pilote » de répartition des demandeurs d’asile de 5 000 Syriens était au programme de la réunion. D’après un diplomate français, « il n’est pas évident qu’il y ait un accord sur ce point » rapporte Euractiv. L’assouplissement de la politique d’asile embarrasse particulièrement la France où le projet de loi sur le droit d’asile divise le Sénat. La réforme, qui prévoit de réduire de deux ans à neuf mois les délais de traitement des dossiers, doit être examinée en mai à la Chambre haute. Mais un récent rapport de la Cour des comptes a fait polémique. Les magistrats estiment en effet que le système d’asile français dont les coût seraient proche de deux milliards d’euros annuels n’est pas « soutenable à court terme ».
La question du droit d’asile, boîte de Pandore de l’Union européenne, a sans doute animé les discussions des Vingt-huit. « Le sujet est très politisé, car il renvoie à la politique d’immigration de l’Union européenne, et tous les partis d’extrême droite sont en embuscade », analyse un diplomate auprès de l’AFP.
Marine Le Pen, présidente du Front National, n’a d’ailleurs pas manqué de réagir ce matin sur la chaîne d’information en continu Itélé. « La solution, c’est de rendre nos pays non attractifs à cette immigration, a‑t-elle déclaré. On coupe toutes les pompes aspirantes, on arrête de prendre en charge gratuitement l’école des enfants, les soins, l’aide sociale…»
- Intervenir en Libye
La solution au drame des migrants en Méditerranée passe par le « traitement du dossier libyen ». C’est ce qu’a déclaré mercredi 21 avril le président congolais, Denis Sassou-Nguesso. C’est aussi l’opinion de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et de son homologue auprès de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma. Tous deux exigent que les factions rivales en Libye se mettent rapidement d’accord pour reconstruire un Etat, première étape pour permettre d’endiguer le flux de migrants.
La Libye est en effet en proie à une profonde instabilité politique depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Divisé entre libéraux et islamistes, le pays se déchire au gré d’affrontements entre milices ennemies, issues de la guerre civile. Les passeurs, eux, profitent du chaos institutionnel libyen et de la porosité des frontières pour organiser les trafics de migrants. Le président français François Hollande a appelé à « réparer les erreurs du passé » sur le dossier libyen, visant ainsi son prédécesseur Nicolas Sarkozy, instigateur de l’intervention militaire en Libye qui avait renversé le régime de Moummar Kadhafi en 2011. « La question c’est de savoir comment se fait-il qu’après une intervention il y a plus de trois ans et demi il n’y ait eu aucune réflexion sur ce qui devait se passer après », a‑t-il déclaré.
« Encore beaucoup, beaucoup à faire », c’est ce qu’a souligné Angela Merkel en marge de la réunion d’urgence. La chancelière allemande appelle de ses vœux un « plan de travail dans les prochains jours, une feuille de route indiquant la marche à suivre ».
En attendant que le plan soit officiellement dévoilé jeudi soir à Bruxelles, les organisations humanitaires manifestent leur déception et dénoncent des mesures insuffisantes. La concentration de l’action européenne sur les bateaux « ne règlera pas le problème parce que les principaux responsables se situent plutôt en amont, au niveau des filières », assure Olivier Clochard, président du réseau Migreurop. Le plan « n’arrêtera pas les gens en situation de détresse », poursuit-il, prônant l’ouverture de « voies de migration légales » pour empêcher les migrants de tomber dans les mains des passeurs.
La volonté politique européenne s’est bel et bien manifestée ce jeudi à Bruxelles. Pas sûr cependant que la question des catastrophes migratoires transcende les préoccupations nationales.
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