Sécurité

La famille Merah, cet univers impitoyable

La France commémorait les trois ans de la mort des sept victimes de Mohammed Merah. Si le rejeton le plus tristement célèbre de la famille est mort, ses membres n'ont pas quitté la scène. Chacun pour des raisons différentes.

Le procès de l’af­faire Mer­ah ne se fera pas avant 2016 mais le sou­venir du tueur au scoot­er affleure régulière­ment à la sur­face de l’ac­tu­al­ité. Son “demi-frère” est soupçon­né d’ap­pa­raître dans la dernière vidéo du groupe Etat islamique (EI) présen­tant un bour­reau de douze ans. Mer­ah n’est pas un loup soli­taire, c’est le nom d’une fran­chise de l’is­lam rad­i­cal. Une règle qui souf­fre quelques exceptions.

Souad Merah :

La grande soeur de Mohammed Mer­ah n’a pas tou­jours porté le niqab. Cette jeune fille, plutôt jolie, a d’abord vécu à l’oc­ci­den­tale et épousé un petit trafi­quant de drogue qui n’avait rien de par­ti­c­ulière­ment religieux.

C’est dans le courant des années 2000 qu’elle change de style de vie, se rap­proche du milieu salafiste de la région toulou­saine et se remarie avec Abde­loua­hed el-Bagh­da­di, un musul­man des plus sourcilleux.

En 2010, une note des ren­seigne­ments la décrit comme “adepte de l’is­lam rad­i­cal”. Une opin­ion si ancrée qu’elle est con­sid­érée comme le per­son­nage-clé de l’en­doc­trine­ment de Mohammed Mer­ah. L’in­flu­ence qu’on lui prête sur celui qui est son cadet de dix ans remonte à plus loin : son père absent, sa mère effacée, Souad Mer­ah a assumé très vite de grandes respon­s­abil­ités vis-à-vis de lui.

Le juge­ment porté par Souad Mer­ah sur les actions meur­trières de son petit frère bal­ance entre l’éloge funèbre, le dis­cours militant…et l’am­biguïté. Dans cet extrait, tourné en caméra cachée, d’un reportage dif­fusé par M6, elle se dit “fière” du sens du sac­ri­fice de Mohammed Mer­ah, sans toute­fois endoss­er explicite­ment ses crimes.

Jamais vrai­ment inquiétée, elle est tout de même enten­due plusieurs fois par la police. Jusqu’à ce que sa trace se perde bru­tale­ment au print­emps 2014. Le 9 mai dernier, elle quitte la France avec ses qua­tre enfants. Après plusieurs voy­ages en Egypte dans les années 2000, c’est une autre terre du Dar al Islam qu’elle veut décou­vrir : la Syrie. Elle compte y retrou­ver son mari qui com­bat là-bas pour le compte du groupe Etat islamique.

Pour une rai­son aus­si obscure qu’in­cer­taine, il sem­ble qu’elle n’ait jamais dépassé la ville de Gaziantep, en Turquie. Le périple entamé comme une équipée trag­ique se ter­mine en une odyssée de pieds nick­elés : son mari revient en France avec leurs deux enfants et se con­stitue pris­on­nier, tan­dis que Souad Mer­ah gagne l’Al­gérie avec les deux autres. Elle y serait encore, hési­tant à rejoin­dre l’Hexagone.

Abdelkader Merah :

Il est le deux­ième enfant de ses par­ents, Mohammed et Zouli­ka Mer­ah. Il a recon­nu avoir aidé son frère à vol­er un scoot­er mais nie avoir par­ticipé à ses crimes. Quant à savoir s’il con­sid­ère Mohammed Mer­ah comme un héros ou un mar­tyr, la pru­dence est sa devise et il ren­voie ça à Dieu

Pas éton­nant qu’il ait plus de mal à faire part d’une éventuelle fierté devant la mort des mil­i­taires et des vic­times de l’é­cole juive. Depuis quelques années, il entrete­nait des rela­tions dif­fi­ciles avec ses frères. Alors qu’ils ne se par­laient plus depuis longtemps, le con­tact est renoué avec Mohammed Mer­ah seule­ment un mois avant les attaques.

Il faut croire qu’il n’y a pas qu’avec sa fratrie qu’il a du mal a bien se com­porter puisqu’il a fait plusieurs séjours en prison. C’est d’ailleurs durant l’un d’eux qu’il se tourne vers l’is­lam rad­i­cal. Par la suite, il se soucie d’ap­pren­dre ses gammes de par­fait salafiste, notam­ment en se ren­dant en Egypte où il aurait fréquen­té une école coranique.

À ce jour, il est écroué pour “asso­ci­a­tion de mal­fai­teurs en vue de la pré­pa­ra­tion d’actes de ter­ror­isme et vol en réu­nion”.

Sabri Essid :

C’est lui qu’on soupçonne d’ap­pa­raître sur une des dernières vidéos du groupe Etat islamique, intro­duisant et exal­tant la mise à mort d’un homme tenu pour être un agent israélien par un jeune garçon. La présence de Sabri Essid en Syrie s’in­scrit dans la con­ti­nu­ité du par­cours de ce trente­naire, fils du sec­ond mari (ils se sont mar­iés religieuse­ment) de Zouli­ka Mer­ah, et donc à ce titre demi-frère par alliance de Mohammed Merah.

Sabri Essid, le demi-frère de Mohamed Merah, apparaîtrait sur la dernière vidéo de propagande du groupe Etat islamique. (Capture d'écran / vidéo de propagande)
Sabri Essid, le demi-frère de Mohamed Mer­ah, appa­raî­trait sur la dernière vidéo de pro­pa­gande du groupe Etat islamique. (Cap­ture d’écran / vidéo de propagande)

Sabri Essid n’en est plus à ses pre­mières armes en matière de jihadisme. En 2006, il avait été arrêté en Syrie alors qu’il se rendait en Irak pour y men­er la guerre “sainte”. Un voy­age qui lui avait valu de purg­er une peine de qua­tre ans der­rière les bar­reaux de Fleury-Mér­o­gis où Mohammed Mer­ah venait le vis­iter de temps à autre. Une prox­im­ité qui s’é­tait pro­longée au-delà de la mort de l’as­sas­sin toulou­sain puisque Sabri Essid avait organ­isé les funérailles de Mer­ah en 2012.

Après sa sor­tie de prison, les ser­vices de ren­seigne­ment français con­tin­u­ent de sur­veiller ses agisse­ments. Pas assez apparem­ment car c’est seule­ment quelques mois plus tard, courant 2014, qu’il émi­gre en Syrie avec sa famille.

Chez les Mer­ah et leurs proches, on serait donc islamistes de frère en soeur ? Plus qu’une famille, les Mer­ah con­stitueraient une véri­ta­ble cel­lule salafiste ? Pas tout à fait. En marge, cer­tains mem­bres ont rompu avec la galax­ie néfaste représen­tée par les leurs.

Abdelghani Merah :

Crâne rasé et yeux en amande, Abdel­ghani Mer­ah ressem­ble comme deux gouttes d’eau aux images qu’on a gardé de son petit frère san­guinaire. Le par­al­lèle s’ar­rête là tant les deux per­son­nages sont dissemblables.

Comme sa sœur Aïcha, jamais Abdel­ghani n’a ver­sé dans l’is­lamisme. C’est d’ailleurs lui qui se prête à l’ex­er­ci­ce de la caméra cachée pour soutir­er les déc­la­ra­tions de Souad pour le reportage de M6, cité plus haut. Il avait refusé d’as­sis­ter aux obsèques de Mer­ah. Depuis, il a pub­lié un livre de témoignage et s’est exprimé dans les médias comme ici sur RTL :

Ses posi­tions et son expo­si­tion médi­a­tique l’ont poussé vers la rup­ture avec sa famille. Mais les ten­sions n’ont pas atten­du les événe­ments de mars 2012 pour éclater. Son mariage avec une femme non-musul­mane et ayant une ascen­dance juive n’avait pas plu.

La famille Mer­ah n’est donc pas un clan. Il s’ag­it au con­traire d’un ensem­ble com­pos­ite et frac­turé. Si les indi­vidus qui la for­ment font pro­fil bas, l’ac­tu­al­ité ne cesse de les rat­trap­er, à leur corps défen­dant ou non. Et les mois qui vien­nent n’en­ter­reront pas plus le nom de Merah.

Il suf­fi­ra de peu de choses pour qu’il réap­pa­raisse : un nou­v­el élé­ment de l’en­quête, un retour de Souad Mer­ah en France, un coup de filet dans la région toulou­saine. De plus, Mer­ah est régulière­ment évo­qué dans les vidéos du groupe Etat islamique. La petite frappe toulou­saine, le dernier d’une famille en dif­fi­culté est désor­mais présen­té comme l’é­toile du berg­er pour les loups soli­taires européens sur lesquels les jihadistes espèrent s’appuyer.

Pho­to d’en-tête : Cap­ture d’écran d’une vidéo du groupe EI mon­trant l’homme soupçon­né d’être Sabri Essid, le demi-frère de Mohamed Merah.