Une nouvelle ère s’ouvre pour les services de renseignement français. Le Figaro et La Croix ont eu accès au projet de loi sur le renseignement qui sera présenté en Conseil des ministres jeudi. Ce qui devrait changer selon ces premières informations :
1. Un cadre juridique et des motifs listés
Aujourd’hui : Le projet de loi-cadre sur le renseignement est dans les tiroirs depuis l’été. Les attentats de Paris en janvier dernier ont remis sous les projecteurs la question de la surveillance des filières jihadistes. Elles ne représentent pas la seule préoccupation de sécurité intérieure mais la possibilité de repérer des profils terroristes en amont et d’empêcher le passage à l’acte est dans tous les esprits.
Les moyens actuels des services de renseignements sont flous. Ils n’ont jamais été encadrés par une loi générale et les règles éparses qui se sont imposées par l’usage varient selon les services. Le Figaro cite cet extrait du texte de loi : “L’absence de règles claires approuvées par le Parlement en matière de renseignement favorise les suspicions infondées sur l’activité des services spécialisés.”
Après la loi : Il s’agit donc de donner un cadre législatif au fonctionnement du service de renseignement. Le texte présente notamment les motifs qui autoriseront les agents à recourir à certaines techniques de recueil d’informations : “prévention du terrorisme”, “atteinte au territoire” ou encore “violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique” font partie de la liste “limitative”.
2. Le renseignement accède aux méthodes réservées à la police judiciaire
Aujourd’hui : Les services de renseignements peuvent obtenir des opérateurs de télécommunication les données de connexion (les fadettes, ou factures détaillées, comportant les numéros contactés, nombre de SMS envoyés…) de certains usagers. Ils ont les moyens de procéder à des écoutes téléphoniques réglementées. D’autres méthodes de captation d’informations restent par contre réservées à la police judiciaire qui travaille sous l’autorité d’un juge dans le cadre d’une enquête.
Après la loi : Un nouveau champ d’enquête s’ouvrira aux services de renseignements. Ils pourront soumettre les individus sur lesquels portent leurs soupçons à différents types de “mouchards” :
- Géolocalisation des véhicules ou des objets.
- Micros et caméras placés dans les véhicules ou les domiciles.
- Interception en direct de ce qui est tapé sur un clavier. Par le biais de logiciels de type “keylogger”, cette pratique sera limitée à une durée de deux mois maximum.
- Aspirer les données qui circulent à proximité d’un agent. Avec un dispositif portatif comme “Imsi Catcher”, il sera possible à un membre des services de renseignement de circuler en recueillant toutes les informations émises par les mobiles environnants.
Ne seront autorisés à s’introduire dans des lieux privés pour installer ces “techniques spéciales de renseignements” que des “agents spécialement habilités”. Les membres des services devront faire la demande à leur hiérarchie qui transmettra au ministre concerné. La procédure débouchera sur une autorisation du Premier ministre, valable quatre mois renouvelables.
“En cas d’urgence liée à une menace imminente ou à un risque très élevé de ne pas pouvoir effectuer l’opération ultérieurement”, les dispositifs pourront être mis en place immédiatement. Les autorités de contrôles seront simplement prévenues dans un premier temps, le Premier ministre pouvant alors “ordonner sa cessation immédiate”.
Quant aux informations recueillies, elles pourront être conservées entre 12 mois et cinq ans selon les cas.
3. Sous la coupe d’une nouvelle autorité administrative
Aujourd’hui : Ces méthodes d’espionnage sont réservées aux enquêteurs judiciaires sous l’autorité d’un juge indépendant. Les écoutes sont contrôlées par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), autorité indépendante.
Les juges qui veulent se saisir d’un dossier doivent formuler une demande de déclassification, qui peut rester lettre morte.
Après la loi : Une nouvelle autorité sera mise en place : la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignements (CNCTR). Elle sera composée de neuf membres, issus des rangs du Conseil d’État, de la Cour de cassation et du Parlement. Elle comptera également, pour les compétences techniques, des ingénieurs réseaux, des informaticiens et des cryptologues. La CNCTR pourra “recommander l’interruption” des méthodes de recueillement d’informations et saisir le Conseil d’État si elle est déboutée.
Le Figaro évoque également une “formation de jugement composée de trois magistrats” qui sera habilitée à enquêter sur les affaires en cours.
4. Les opérateurs et sites Internet mis à contribution
Aujourd’hui : Les opérateurs de télécommunication mais aussi les géants d’Internet comme Google, Facebook ou Twitter sont tenus de conserver les données de connexion pendant un an pour pouvoir les remettre aux services de renseignements s’ils en font la requête.
Après la loi : Le délai de conservation des informations sera étendu à 5 ans par le projet de loi. Surtout, la possibilité de recueillir ces éléments en temps réel pour certains suspects verra le jour.
Les opérateurs se verront aussi imposer par la loi le devoir de détecter des comportements jugés suspects (consultation de certaines pages tendancieuses…) et de transmettre leurs signalements aux autorités.
En plus de ces obligations, il est également demandé aux plates-formes d’être capables d’assurer la discrétion absolue de ces échanges avec l’État.
5. Brouillage des communications illicites en prison
Aujourd’hui : L’administration pénitentiaire a déjà la possibilité d’ouvrir le courrier des détenus et d’écouter les conversations qu’ils tiennent depuis les téléphones mis à leur disposition en prison.
Après la loi : Ce sont les téléphones portables, présents illégalement dans les lieux de détention, qui sont visés par le texte de loi. Il envisage des moyens pour détecter les mobiles avant d’assurer leur brouillage et l’interruption des communications.
Photo d’en-tête : Ombre inspirée du générique des films James Bond. (Crédit : ClaraDon / Flickr CC)