Intégration

Obligatoire ou pas, le service civique peut déjà être réformé

Près de 80 % des Français sont favorables à l'engagement obligatoire des jeunes, mais les sénateurs hésitent encore. Quelle que soit l'issue de leur débat du jeudi 5 mars, sur le caractère obligatoire ou non du service civique, des pistes de réformes existent déjà. En voici cinq.

(Arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 4 févri­er, réédité le jeu­di 5 mars.)

Suiv­ez le débat des séna­teurs en direct ici, à par­tir de 10h30.

1. Avoir les mêmes avantages que les étudiants

« Quand tu débutes ton ser­vice civique, tu perds cer­tains avan­tages que tu avais en tant qu’étudiant », regrette Clara, « du coup tu n’as plus de réduc­tion pour les sor­ties cul­turelles, les trans­ports… ». Il existe bien une « carte du Ser­vice civique », nom­i­na­tive, qui donne accès à quelques avan­tages sur tout le ter­ri­toire (banque, assur­ance, opéra­teur mobile…) mais elle ne cou­vre pas tous les domaines. C’est pourquoi cer­taines régions ou départe­ments sou­ti­en­nent finan­cière­ment les volon­taires du ser­vice civique, en leur accor­dant une prime spé­ciale (100€ en Bre­tagne, par exem­ple) qui s’ajoute à leur grat­i­fi­ca­tion, ou en leur offrant des réduc­tions sur l’accès aux trans­ports ou à la cul­ture (Paca, Rhônes-Alpes, Alsace, Aquitaine…). 

Toute­fois, cela ne com­pense pas l’intégralité des avan­tages liés au statut d’étudiant. Un con­stat déjà dressé dans le rap­port remis par François Chérèque en juil­let 2014 à Najat Val­laud-Belka­cem, alors min­istre en charge de la Jeunesse (« 29 propo­si­tions pour soutenir le ser­vice civique »).

2. Mieux encadrer les horaires pour éviter les abus

Si le ser­vice civique est un engage­ment volon­taire né d’une démarche per­son­nelle assumée, cela ne veut pas dire que les bénév­oles sont corvéables à mer­ci. Pour­tant beau­coup d’entre eux font état d’entorses plus ou moins impor­tantes à leur con­trat,  se traduisant par un plan­ning plus chargé que prévu ini­tiale­ment. « Je croy­ais avoir signé pour 25 heures heb­do­madaires, mais j’en fai­sais sou­vent jusqu’à 32. Je me suis même retrou­vée à tra­vailler le dimanche à 5 ou 6 repris­es », racon­te Elise, qui a fait son ser­vice civique à l’âge de 17 ans auprès d’enfants en décrochage sco­laire à Marseille. 

La philoso­phie qui régit les con­trats de ser­vice civique est pour­tant la même que celle appliquée aux stages — « un volon­taire ou un sta­giaire ne doit pas rem­plac­er un salarié ». Mais sur le ter­rain, la réal­ité est plus com­plexe. Clara, qui a effec­tué son ser­vice civique dans une radio asso­cia­tive entre sep­tem­bre 2013 et mai 2014 à Rennes, le con­firme : “On te dit que tu ne dois pas être indis­pens­able à l’association, mais en pra­tique, si je n’étais pas là pour cha­peauter mon émis­sion, elle n’avait tout sim­ple­ment pas lieu ! ». Depuis quelques années, la radio a pris l’habitude de tourn­er grâce à trois con­trats de ser­vice civique par an, qui vien­nent gon­fler les effec­tifs des qua­tre salariés déjà présents. Avec le recul, même si Clara est ravie de son expéri­ence, elle n’en reste pas moins lucide : « C’était un peu un emploi déguisé en fait ».

De son côté, l’Agence du Ser­vice civique avoue qu’il y a un vrai défi à « trou­ver la juste mesure entre la sou­p­lesse du ser­vice civique, qui doit s’adapter à tous les jeunes et à toutes les mis­sions (des maraudes auprès des sans-abris ne se déroulent pas comme des actions d’an­i­ma­tion dans une mai­son de retraite) » et « le respect du cadre légal qui impose que le volon­taire réalise une mis­sion de 24 à 48 heures par semaine ». Des pro­jets devraient être mis en oeu­vre en ce sens, dès 2015. 

3. Refonte des « journées de formation citoyenne » et harmonisation nationale

Autre élé­ment récur­rent dans le cahi­er de doléances des volon­taires : les « Journées de for­ma­tion civique et citoyenne » aux­quelles ils se doivent d’assister au moins une fois au cours de leur engagement. 

Malo, en con­trat dans un ciné­ma asso­ci­atif au Mans se sou­vient de celle qui fut organ­isée dans sa région (Pays-de-Loire) pour faire se ren­con­tr­er les volon­taires. « Ça s’appelait le “Car­refour des engagés”. On pas­sait une journée entière ensem­ble à échang­er sur ce que fai­saient les autres dans leur struc­ture, c’était très riche et ça a per­mis de fédér­er le groupe ».

A con­trario, Elise par exem­ple, n’a jamais assisté à ces journées de for­ma­tion civique et citoyenne… « Elles sont pour­tant oblig­a­toires et l’Etat donne 100 euros sup­plé­men­taires par volon­taires pour ça ! » rap­pelle Cher­ine Amar, fon­da­trice de l’Association Une idée dans la tête qui organ­ise ce type de for­ma­tion en Île-de-France. « Ma bataille c’est d’informer les struc­tures qu’elles sont oblig­ées de suiv­re cette for­ma­tion, et même si on pro­gresse en 2014, on est encore  loin du compte.”

Autre prob­lème. Lorsque ces for­ma­tions ont lieu, leur con­tenu s’avère très iné­gal d’une struc­ture à l’autre. Eric, en ser­vice civique il y a qua­tre ans dans le Val d’Oise, garde un mau­vais sou­venir de ces journées : « Je n’ai rien appris, j’aurais aimé ren­con­tré des gens, échang­er, mais ça ressem­blait plus à un cours d’éducation civique de col­lège ». « C’est dom­mage, regrette-t-il, on par­lait de choses impor­tantes mais les per­son­nes qui étaient en face de nous ne savaient pas com­ment en par­ler ». On peut donc regret­ter que le con­tenu de ces journées citoyennes ne soit pas uni­formisé à l’échelle nationale et qu’il ne com­porte pas un volet sys­té­ma­tique de « ren­con­tres avec d’autres jeunes en ser­vice civique ».

En atten­dant, des ini­tia­tives voient le jour ici et là sous forme de groupes Face­book ou de regroupe­ments d’anciens volon­taires. L’A­gence du Ser­vice civique, quant à elle, a lancé un groupe de tra­vail avec ses parte­naires, dans lequel seront présents des volon­taires, pour trou­ver des idées concrètes.

4. Plus de communication dans les écoles et les administrations

Comme la grande majorité des jeunes inter­rogés au cours de cette enquête, Eric a appris l’existence du ser­vice civique par le biais… du bouche à oreille. Comme Tama­ra et d’autres, il s’étonne qu’il n’y ait pas plus de com­mu­ni­ca­tion sur ce dis­posi­tif, au lycée, à la fac, dans les écoles post-bac. « C’est à ce moment là de ta sco­lar­ité que tu peux en avoir besoin, c’est dans ces endroits-là que les jeunes sont par­fois un peu per­dus, qu’ils ne savent pas ce qu’ils vont faire après… » con­state Eric. Pour lui, le milieu étu­di­ant devrait être la cible priv­ilégiée des cam­pagnes de communication.

« C’est une sorte de stage ? Ah non, tu fais l’armée ? ». Clara s’amuse encore de la réac­tion qu’avaient ses inter­locu­teurs lorsqu’elle dis­ait faire son ser­vice civique. Ils sont nom­breux comme elle, a avoir passé leur année de ser­vice civique à expli­quer autour d’eux les ten­ants et les aboutis­sants d’un dis­posi­tif encore très mal con­nu. Et pas seule­ment du grand pub­lic, mais des ser­vices admin­is­trat­ifs eux-mêmes. Un jour, Clara se rend à la CPAM pour accom­plir une démarche qu’elle n’arrive pas à effectuer en ligne, con­cer­nant sa sécu­rité sociale. Elle est alors bal­adée de bureau en bureau : « On m’assurait qu’il y avait un onglet « ser­vice civique » quelque part sur le site inter­net, mais per­son­ne n’était capa­ble de me dire où ! Le per­son­nel n’était vis­i­ble­ment pas for­mé » en con­clut la jeune femme. A Pôle Emploi, même con­stat : c’est elle qui apprend à l’agent qui la reçoit qu’elle peut effectuer son ser­vice civique tout en restant « deman­deur d’emploi » (Plus d’infos ici).

Inter­rogée par 3millions7, l’Agence du Ser­vice civique a recon­nu une « vraie dif­fi­culté » sur ce point, en par­ti­c­uli­er en ce qui con­cerne le manque d’information dans les admin­is­tra­tions : « Une instruc­tion de l’ad­min­is­tra­tion a déjà été envoyée dans ce sens il y a deux ans, mais ça n’est pas suff­isant et il faut encore que l’on tra­vaille à lever tous ces freins ».

5. Forcer la porte des collectivités territoriales 

En 2014, seul un jeune sur qua­tre désir­ant faire son ser­vice civique a pu le faire soit 35 000 per­son­nes env­i­ron. Depuis le départ, les asso­ci­a­tions sont les pre­mières struc­tures d’accueil en terme de place, tan­dis que les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales restent à la traîne. En 2013, elles ont accueil­li 30% de volon­taires de plus que l’année précé­dente (soit env­i­ron 2000 volon­taires) mais la mobil­i­sa­tion est encore faible. 

« Il faut que les maires s’engagent plus résol­u­ment : ils sont nom­breux aujourd’hui à s’exprimer, mais restent trop rares à s’impliquer », jugeait Mar­tin Hirsch, créa­teur du ser­vice civique (2005) dans un arti­cle pub­lié dans Le Monde le 21 jan­vi­er 2015. Quelque jours plus tard, François Chérèque, son suc­cesseur à la tête de l’Agence du Ser­vice Civique, fai­sait le même con­stat dans l’émission 28 min­utes sur Arte le 2 févri­er dernier : « Aujourd’hui on a pra­tique­ment per­son­ne dans les hôpi­taux, pra­tique­ment per­son­ne dans les mairies… ».

« C’est un fort enjeu de développe­ment, con­firme Hélène Pao­let­ti, direc­trice de l’A­gence du Ser­vice Civique, Un pro­to­cole entre 4 grandes struc­tures qui représen­tent les col­lec­tiv­ités (AMF, ARF, ADF et ACDF) et le Min­istère de la Jeunesse devrait être signé très bien­tôt ». Une per­pec­tive d’autant plus intéres­sante à l’heure où le prési­dent de la République souhaite encour­ager l’accès au Ser­vice civique au plus grand nom­bre. Si l’Etat ini­ti­ait un mou­ve­ment d’ouverture des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales en leur imposant, par exem­ple, des quo­tas, ce pour­rait être une belle manière de mon­tr­er l’exemple.

 Légende :  Mar­tin Hirsch, ex prési­dent de l’A­gence du ser­vice civique, avec quelques volon­taires à Haïti (prise le 26 mars 2010)