Le vivier des jeunes dessinateurs de presse n’est pas très grand et il est difficile de s’y faire une place. Cela n’empêche pas certains jeunes talentueux de se lancer dans cette voie par passion, et d’autres par réaction aux événements de janvier.
Parmi les dessinateurs que 3millions7 a contacté, aucun ne s’y consacre à temps complet. Tous étudient ou travaillent à côté. Clément Quintard journaliste pour le magazine Sciences Humaines, et illustrateur sur son temps libre, en explique les raisons :
« Je ne connais pas de journaux qui veulent embaucher un dessinateur à plein temps. D’un point de vue financier, tu ne peux pas te lancer et ne faire que ça. Tu es obligé d’avoir une autre profession ou de faire de la BD »
D’autres étudient en parallèle. C’est le cas du dessinateur Bidu. Olivier, de son vrai prénom, 23 ans, étudie le droit à Limoges. Quand il n’est pas en cours, il dessine pour Le populaire du centre et pour quelques sites d’actualité.
« J’essaie d’avoir plusieurs cordes à mon arc », témoigne Piet. Après avoir obtenu une licence de journalisme à Tours, il suit actuellement un master d’affaires européennes en Allemagne .
Cette génération est plus consciente de la difficulté du métier qu’elle souhaite exercer. Et ce, dès les débuts. Flavien Moreau, lauréat 2010 de la Bourse du jeune talent de dessin de presse, et co-dirigeant du journal satirique Zelium, raconte :
«Très peu d’auteurs ont une carte de presse. La grande majorité est dans une situation plus ou moins précaire, selon que ces auteurs aient d’autres activités pour compenser ou non. Une des grandes raisons à ça est le désintérêt croissant des médias pour l’image dessinée. La photo est moins chère, plus facile d’accès, et sa lecture est plus directe. Il y a très peu de journaux qui publient des dessins et lorsqu’ils le font, à quelques exceptions près, les dessins publiés sont en général mal payés, voire pas du tout, particulièrement concernant la presse numérique ou la presse dite ‘alternative’.»
Même pas peur
Les places sont rares dans ce milieu. Cela n’empêche pas ces jeunes dessinateurs de vouloir prendre la relève. Si on leur donne la possibilité de le faire. Toutefois, ils ne se font pas d’illusion sur l’avenir de la profession.
« La presse écrite est en crise, ce n’est pas un scoop. Les attentats ont fait réagir, mais sur le long terme, j’ai des doutes », explique Bidu. Malgré ça, il reste motivé. « Dessiner pour Charlie ? C’est mon rêve ! ».
Même son de cloche ailleurs. Si Charlie Hebdo les appelle demain, ils signent sans hésiter et quittent tout pour se lancer dans l’aventure. La peur ? Ils ne la ressentent pas. Les attentats au contraire ont exacerbé leur envie de dessiner.
Moins politisés ?
La génération actuelle, ou certains de ses membres tout du moins, est moins politisée que la précédente. « Les dessinateurs connus, comme Charb ou Cabu, étaient clairement soixante-huitards et militants », confirme Clément Quintard. Aujourd’hui l’engagement politique est « moins saillant » : « Il y a un peu un vide idéologique dans la profession ».
Or, pour être un bon professionnel, il ne suffit pas d’être doué en dessin. Hervé Baudry, dessinateur pour la chaîne Public Sénat et pour le site Rue89 rappelle qu’il faut non seulement un « bon coup de crayon » mais aussi que le dessin ait un sens. Pour cela, une bonne culture politique et historique est indispensable :
“Le dessinateur est une tête avec une passoire, qui filtre les infos, et en garde le meilleur.”
Ce constat de moindre politisation, Piet le réfute :
“Dans les écoles d’art, bon nombre d’étudiants sont encore anarchistes et dessinent. Il est faux de dire que la génération d’aujourd’hui est apolitisée.”
Cependant, les jeunes dessinateurs sont souvent moins subversifs que leurs aînés, et restent souvent “politiquement corrects”, pour plaire aux dirigeants des groupes de presse. «Les médias sont rachetés par des financiers, et les rédacteurs en chef ont peur de leur réaction», affirme Hervé Baudry.
Selon Flavien Moreau, la précarité du métier les pousse également à se tourner vers des sujets moins politisés pour gagner leur vie :
«Il n’est jamais très bon pour le business d’être trop politisé, et certains l’ont bien compris. C’est ainsi que des auteurs sont capables de faire à la fois du dessin qui se dit satirique et du dessin pour des campagnes publicitaires du gouvernement ou de grosses entreprises. Ces auteurs dépolitisés sauront sans doute mieux s’en sortir que les autres, car ils n’ont pas vocation à déranger et pourront se placer n’importe où, mais ils font perdre au dessin et au métier ce qu’il a d’essentiel et de plus intéressant : son pouvoir de subversion».
Multiplier les contributions et persévérer
Le seul moyen pour pouvoir en vivre et se faire connaître reste de multiplier les contributions. Ces dessinateurs travaillent en free lance pour des journaux ou des sites, mais ont aussi leurs sites personnels de promotion. Toutefois, la route est longue et escarpée avant de se faire connaitre. “Il faut être talentueux. Il y a quatre ou cinq dessinateurs de presse que je suivais sur le web. Maintenant, tous ont lâché du lest, car c’est quasi impossible de percer”, concède Clément Quintard.
Quitte à ne plus imaginer l’avenir que dans des tons gris. « De l’aveu même de collègues dessinateurs issus des générations précédentes, la situation n’a jamais été facile, mais elle est pire aujourd’hui. L’avenir de ce métier nous paraît donc à tous plutôt sombre», rajoute Flavien Moreau.
Malgré l’engouement général pour Charlie ? La baisse du nombre de tirages ne laisse rien présager de bon pour le dessin de presse. Tout comme le manque de soutien des autorités, comme l’estime Flavien Moreau :
«Sur le dos de nos collègues assassinés, le gouvernement a prévu plus de militaires, plus de policiers, plus de surveillance, plus de contrôle de la société… Mais bien entendu, aucun soutien aux petites structures de presse et aux dessinateurs, qui pourront continuer à partager leur temps entre la défense de liberté d’expression et la file d’attente du Pôle Emploi.»
Photo d’en-tête : Creative Commons/Suzanne Bouron