Vendredi 6 février, entre deux émissions sur Public Sénat (mercredi et jeudi soir, dans le journal de 22h), des dessins pour Rue89 ou le magazine des paralysés de France, Hervé Baudry a prêté sa plume à 3millions7 le temps d’une matinée. Entretien.
3millions7 : Un mois après le drame de Charlie Hebdo, dans quel état se trouve le monde du dessin ?
Hervé Baudry : Pour être franc, je suis un peu en colère, parce qu’il aura fallut qu’il y ait des hommes à terre pour qu’on s’intéresse au dessin de presse ! Depuis un mois, toutes les radios, les télés, la presse papier ou le web, courent après les dessinateurs de presse. C’est tant mieux, mais le fait que ça arrive après un tel drame a un goût amer… J’aimerais surtout que ça dure et qu’on ne redevienne pas les parents pauvres de la presse, comme c’était le cas avant.
Les rédacteurs en chef des médias, quels qu’ils soient, ont toujours été frileux vis-à-vis de nous. Et ce n’est pas par manque de moyens financiers selon moi, c’est par frilosité vis-à-vis de l’indépendance des dessinateurs et de la liberté de ton de leurs dessins. Les rédacteurs en chef ont d’ailleurs préféré au dessin la neutralité de l’infographie, très à la mode ces dernières années. L’infographie, c’est joli, il y a des formes… Mais c’est totalement aseptisé ! Alors que le dessin, lui, apporte un autre regard.
3m7 : Êtes-vous plutôt de ceux qui militent pour une liberté d’expression inconditionnelle ou de ceux pour qui Charlie Hebdo a pu aller trop loin ?
H.B : Ceux qui trouvent que Charlie va trop loin n’ont qu’a pas l’acheter ! Personnellement, je préférais le ton du canard et tout ne me faisais pas rire dans Charlie… Mais ça ne m’empêche pas d’être pleinement pour la liberté d’expression et d’avoir une véritable admiration pour les dessinateurs de Charlie Hebdo.
3m7 : Y a‑t-il déjà des choses que vous vous interdisez de dessiner ?
H.B : Après un dessin, j’essaye toujours de me mettre à la place du lecteur. Depuis le temps, j’ai testé leurs limites et je connais mon horizon. Aujourd’hui, je peux donc faire à peu près tout ce que je veux.
Mais parfois, il faut savoir préparer le lecteur, en injectant l’humour à base de petites doses homéopathiques. Pour moi, le dessin c’est un savant dosage, un peu comme en cuisine. Je mets un peu de sel et un peu de poivre… mais pas trop de poivre non plus ! Je sais que j’ai trouvé l’équilibre quand mon dessin me fait rire…
3m7 : Vous arrive-t-il d’avoir des regrets vis à vis d’un dessin, parce que tu n’as pas osé le faire ou, au contraire, que tu estimes avoir été trop loin ?
H.B : Quand on ne s’interdit rien, on ne regrette pas ! Parfois je regrette que d’autres aient été plus rapides que moi, quand j’avais la même idée… mais c’est tout. Il faut dire qu’avec les réseaux sociaux, tout va très vite et certaines idées se chevauchent, ce n’est pas comme du temps où l’on envoyait nos dessins par la poste !
3m7 : Comment interprétez-vous les violences (verbales et physiques) qu’ont suscité les caricatures publiées par Charlie et d’autres journaux, en France et dans le monde ?
H.B : Dans un dessin, il y a plusieurs niveaux de lectures. Or, tout le monde n’est pas capable de lire un dessin de presse, tout le monde n’a pas les outils pour le faire.
Sous la Révolution en France, le dessin était fait pour informer le peuple qui ne savait pas lire. Aujourd’hui, c’est un peu l’inverse. Le dessin s’est épaissi dans son intelligence et il faut que le lecteur puisse se hisser à un certain niveau de compréhension.
Pour moi l’explication de ce qu’il s’est passé à Charlie Hebdo est très simple : les dessins sont sorti de notre pâture Gauloise, où l’esprit pamphlétaire et le goût de la satyre étaient bien ancrés, où les dessins étaient lus par des gens qui avaient les outils pour les décoder. Là, certains dessins sont arrivés au bout du monde, dans des pays à la culture différente de la notre et ont été mal compris. Or quand les gens ne comprennent pas, le retour de bâton peut être très dur…
3m7 : Que peuvent faire les dessinateurs pour changer les choses ?
H.B : J’allais déjà dans les écoles pour éduquer les jeunes à la lecture du dessin de presse avant les évènements. Mais depuis un mois, les circonstances font que nous (les dessinateurs de presse ndlr) sommes de plus en plus sollicités. L’État est à la recherche d’outils pédagogiques pour faire comprendre aux jeunes pourquoi, en France, on peut avoir cette liberté dans l’écriture, dans le ton.
J’interviens notamment dans une classe de 6ème de l’école Roland Dorgelès dans le 18ème arrondissement de Paris. Le collège a dégagé des moyens importants pour apprendre aux jeunes à décoder les médias et je pense que ce genre d’initiative vaudrait d’être multipliée. Deux heures par semaine, on leur apprend comment se fabrique l’information, comment lire une image, ils visites des studios de radio ou de télévision, ils rencontrent des journalistes…
Moi, je viens une demi journée par an, je leur raconte mon métier. Je leur montre ce que je fais et je les fait travailler à partir de photos dans les journaux. Par groupes de 3 ou 4, ils doivent réfléchir et trouver des idées pour savoir quelle forme prendra le dessin : chacun confronte ses idées à celles des autres et chacun rajoute sa patte.
3m7 : Finalement, quel est le but du dessinateur de presse, faire rire son monde ou à le changer ?
H.B : Les deux mon capitaine ! Je fais un métier formidable, je trouve que le dessin est un geste d’amour, de partage. La première chose que fait un enfant de 2 ou 3 ans après avoir gribouillé son premier dessin c’est de l’offrir à son père ou à sa mère, non ? Par la suite, quand il grandira, le dessin du gamin va s’épaissir, parce qu’il va vouloir faire passer des idées… Et même si le dessin est parfois violent, il reste doux. C’est avant tout un geste tendre, on laisse aller ses doigts sur la palette ou le crayon et la main glisse sur le papier, c’est une manière de s’exprimer.
Propos recueillis par Lucile Berland
Photo d’en-tête : Hervé Baudry était l’invité de 3millions7, un mois après les attentats de Charlie Hebdo. (Lucile Berland)