« Il faut traiter ce genre de caricature avec mépris. » Tel est le verdict d’Imène, 26 ans. Algérienne, la jeune femme étudie la médecine en France depuis sept mois. Attablée devant un café dans le restaurant de la Cité universitaire Internationale de Paris, elle feuillette avec circonspection le dernier numéro de Charlie Hebdo, en kiosque depuis ce matin.
Ses yeux noirs parcourent les colonnes, s’arrêtent sur un dessin de Riss qu’elle semble observer sans le voir réellement. Elle hausse un sourcil. Peu importe. Cette nouvelle cuvée ne changera pas l’opinion que la jeune femme se fait du journal. « Je suis autant contre Charlie Hebdo que contre Dieudonné, car ce n’est pas correct d’insulter les convictions des autres », tranche-t-elle, refermant l’hebdomadaire de ses doigts vernis de rouge — le même que celui de la couverture de l’hebdomadaire.
Takashi est japonais. Pour lui, c’est clair, Charlie est allé trop loin. « Il faut respecter la liberté d’expression mais il y a des limites », explique-t-il dans un français impeccable. Selon cet étudiant en master d’histoire, le respect des autres, celui des religions doit passer en premier.
Alors qu’une partie de l’opinion soutient le journal satirique dans sa lutte en faveur de la liberté d’expression, Takashi reste dubitatif. L’étudiant en littérature n’hésite pas à opposer les caricatures de Charlie Hebdo avec celles d’Honoré Daumier, un caricaturiste français du 19e siècle, qu’il a étudié.
« Daumier luttait contre le gouvernement de l’époque. Charlie Hebdo, lui, ne fait que se moquer ». Takashi n’a jamais acheté l’hebdomadaire et ne compte pas plus le faire aujourd’hui. « Ce serait exprimer mon accord avec leurs propos », déclare-t-il, catégorique.
Une satire à la française
« La satire est faite pour se poser des questions et ouvrir des débats », nuance Éléonore. A 21 ans, il y a à peine un an que cette jeune fille Belgo-Japonaise a posé ses valises à Paris. Avant les attaques de janvier, déjà, Éléonore connaissait et appréciait le travail de la rédaction de Charlie Hebdo.
Dans la bibliothèque de l’un des bâtiments de la Cité universitaire, la jeune fille s’attarde sur un dessin de Coco, l’un de ceux qui composent la rubrique ironiquement intitulée : « les couvertures auxquelles vous avez échappé ». Le dessin représente un bunker au bord d’une plage. La légende : « Charlie Hebdo. Bientôt de nouveaux locaux ». Une bulle de bande dessinée s’échappe du blockhaus, avec cette mention : « Avec vue sur la mer ».
Éléonore s’en amuse, d’un rire franc : « Même dans la situation dramatique dans laquelle ils se trouvent, ils parviennent à amener une certaine finesse qui te fait réfléchir, drôle et en même temps engagée. »
Son sentiment est en revanche plus partagé sur l’absence — remarquée — de Mahomet dans ce dernier numéro. « S’ils (l’équipe de Charlie) l’avaient caricaturé , ça aurait été provocateur (…) En même temps, ne pas le faire peut aussi être considéré comme un signe de faiblesse par rapport aux terroristes”, estime la jeune fille. Soulignant du doigt le titre d’un entretien du psychanalyste et anthropologue des religions, Malek Chebel intitulé : « Djihadiste et Musulman sur le divan », Eléonore se console : “Au moins ils n’ont pas occulté le sujet.”
« Tout est permis ici »
Cette liberté de ton, Arevik, 29 ans, a mis du temps à s’y faire. Cette discrète étudiante arménienne ne lisait pas Charlie. Ce n’est qu’après les événements de janvier qu’elle s’est penchée sur le travail de Charb et de son équipe. « J’ai trouvé que les dessins étaient intéressants, qu’ils apportaient un autre point de vue », murmure t‑elle.
« Mais certains m’ont choqués car je viens d’une autre culture », admet cette chrétienne pratiquante, un peu agacée de ce qu’elle perçoit comme un “acharnement sur les croyants”. « Mais j’ai compris que c’est comme ça en France. Tout est permis ici », dit-elle dans un grand sourire.
Lorsqu’au détour d’une page, elle tombe sur le dessin de Christine, qui présente un Jésus-Christ crucifié, au lit avec une femme mariée, la jeune femme ne peut que désapprouver. “En restant en France, je finirai peut-être par m’habituer à ces provocations”. Pourtant, si Charlie n’a pas conquis Arevik, il a au moins piqué sa curiosité : « Je lirai les prochains numéro de Charlie. »
Photo d’en-tête : Arevik, jeune étudiante arménienne découvre le dernier numéro de Charlie Hebdo (L. Mbembe/3millions7)