L’Egypte a annoncé avoir mené dimanche des raids aériens contre les positions de la branche libyenne du groupe jihadiste Etat islamique. Même si elle s’en défend, ce n’est pas la première fois qu’elle intervient en Libye.
1. C’est une réaction express à la décapitation de 21 Égyptiens dimanche
Quelques heures seulement après la diffusion, par la branche libyenne du groupe État islamique, d’une vidéo montrant la décapitation de 21 coptes égyptiens, l’armée égyptienne a annoncé le bombardement des positions des jihadistes en Libye. Des camps, des sites d’entraînement et des arsenaux du groupe terroriste ont été visés.
L’armée a justifié ces frappes, intervenues à la frontière entre l’Égypte et la Libye, pour « venger l’effusion de sang et punir les assassins. Il faut que chacun sache que les Égyptiens ont un bouclier qui les protège ». Dans cette vidéo repérée par le chercheur Romain Caillet sur Twitter, on voit des bâtiments détruits par ces bombardements.
Dès dimanche soir, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a convoqué d’urgence le Conseil national de la défense, réunissant le Premier ministre, les ministres de la Défense et de l’Intérieur et les plus hauts gradés de l’armée. Il a également décrété un deuil national de sept jours et a exhorté tous les Égyptiens à quitter la Libye.
Le président français François Hollande et le président égyptien, qui se retrouvent ce lundi pour officialiser la vente des avions Rafale, ont demandé une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies et de « nouvelles mesures » contre le groupe État islamique.
Le ministre des Affaires étrangères égyptien, Sameh Shoukry, qui se rend à Washington pour participer à un sommet antiterroriste, a estimé que « laisser la situation en l’état en Libye sans une intervention ferme pour y stopper la progression des organisations terroristes représenterait une menace claire pour la sécurité internationale et la paix ».
2. L’Egypte intervient déjà dans le pays depuis plusieurs mois
Dès le mois d’août 2014, le New York Times affirme que des avions de chasses des Émirats arabes unis ont mené des frappes, entre le 18 et le 23 août, avec le soutien logistique de l’Égypte. Le Caire a également été accusé d’avoir bombardé des positions jihadistes en Libye.
Des opérations immédiatement condamnées par les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne ou encore l’Allemagne qui y voyaient des « interférences extérieures en Libye qui exacerbent les divisions ».
En octobre 2014, deux officiels égyptiens, cités par The Atlantic, ont affirmé que des positions du groupe islamique Ansar al-Charia à Benghazi avaient été frappé par l’aviation libyenne.
Les pilotes libyens étaient alors entrainés par les forces égyptiennes. Ces interventions marquaient le début de la collaboration entre le Caire et Tripoli pour contrer les groupes jihadistes. Selon l’agence de presse américaine Associated Press, cette mission était « partie pour durer de trois à six mois ».
Les autorités égyptiennes avaient alors démenti toutes ces informations.
Sur Twitter, le journaliste David Thomson explique que « l’Égypte mène déjà des frappes aériennes en Libye depuis le mois d’août dernier avec les Émirats arabes unis ».
Ces frappes intervenues ce lundi matin en Libye ne seraient donc pas les premières de l’armée égyptienne. Mais pour la première fois, le Caire reconnaît officiellement ces interventions en Libye, un tournant dans la lutte contre le groupe État islamique en Libye ?
3. L’Egypte s’inquiète de « l’émergence fulgurante » de l’État islamique en Libye
Si l’Égypte a décidé d’officialiser ses interventions en Libye c’est parce ce qu’elle n’a plus le choix. A quelques encablures de ses frontières, la branche libyenne du groupe État islamique prend de plus en plus de poids.
Comme le montrent l’enlèvement et l’exécution des 21 coptes ce dimanche soir. Pour la première fois, ces scènes de décapitations collectives n’ont pas lieu dans un territoire contrôlé par le groupe État islamique, en Syrie et en Irak, mais bien sur une plage libyenne.
Les jihadistes ont également pris le contrôle de villes comme Derna, Nafaliya ou Syrte, toutes situés sur les côtes libyennes. Le 8 janvier, la branche libyenne du groupe État islamique avait revendiqué l’exécution de deux journalistes tunisiens, Sofiène Chourabi et Nadhir Ktari, enlevés en septembre 2014 en Libye.
De plus en plus de groupes libyens se sont affiliés au groupe État islamique. A Derna, ville touchée par les bombardements de ce matin, le Majilis Choura Chabab Al-Islam (Conseil consultatif de la jeunesse islamique) a établi une administration locale avant de prêter allégeance au groupe terroriste.
D’autres groupes ont revendiqué au nom du groupe de l’État islamique des attaques notamment dans le désert de Syrte, contre un champ pétrolier de Mabrouk.
D’après le journaliste David Thomson, toujours sur Twitter, cette apparition soudaine de la branche libyenne aura un effet… même en Europe.
Comme au Levant, l’émergence fulgurante du groupe État islamique en Libye aura un effet de déstabilisation régionale, notamment en Tunisie, et un impact sécuritaire en Europe.
4. Depuis la révolution, la Libye est un pays déchiré et en plein chaos
Si le groupe État islamique est arrivé en si peu de temps à émerger en Libye c’est, entre autres, la conséquence d’une révolution ratée. Quatre ans après les raids aériens de la France et de la Grande-Bretagne pour déloger Mouammar Kadhafi de son trône, la Libye sombre dans le chaos. Deux gouvernements rivaux se disputent même le pouvoir exécutif du pays.
D’un côté, les autorités de Tobrouk, issues des élections de juin 2014 et reconnues par la communauté internationale. Mais les élections ont été invalidées par la Cour suprême. Face à eux, les autorités de Tripoli, installées au pouvoir par la force des milices Fajr Libya en août dernier.
Sous l’égide de l’ONU, des négociations indirectes entre ces deux gouvernements se déroulent depuis une dizaine de jours à Ghadamès, à 600 kilomètres au sud-ouest de Tripoli. Mais les groupes jihadistes, et notamment l’État islamique, sont absents de ces négociations. La branche libyenne du groupe ne reconnaît d’ailleurs aucun de ces deux gouvernements.
Pour compliquer une situation politique déjà difficile, depuis la révolution des dizaines de milices formés d’ex-insurgés sont éparpillées dans tout le pays.
Depuis plusieurs mois, la Libye est divisée entre deux coalitions armées. D’un côté celle du général Khalifa Haftar qui combat aux côtés des Égyptiens depuis plusieurs mois sur les terres libyennes.
Elle rassemble plusieurs factions et brigades révolutionnaires, ainsi que d’anciens militaires fidèles à Kadhafi. Aux côtés de l’Armée nationale libyenne, elle déclare faire la guerre aux « terroristes ».
Face à eux, Fajr Libya, « Aube de la Libye », un groupe proche du gouvernement de Tripoli qui est composé de brigades se réclamant de la révolution de 2011. Il contrôlerait notamment tout l’Ouest du pays jusqu’aux frontières avec la Tunisie et l’Algérie, ainsi que des villes comme Benghazi ou Ajdabiya.
Fajr Libya comprend notamment des islamistes de toutes sortes et a fait alliance avec Ansar Al-Charia, groupe proche d’Al-Qaida, qui aurait été visé par des bombardements égyptiens et libyens en 2014.
Photo d’en-tête : Une image de la télévision d’État égyptienne, Al-Masriya, montrant un avion de combat F16 prêt à décoller pour mener des frappes en Libye, le 16 février — AFP/EGYPTIAN TV.