Education

Les profs du lycée musulman Averroès répondent à M. Zitouni

Repli communautaire, dérives antisémites, double jeu avec l'Etat... Le lycée Averroès de Lille est sous le feu d'accusations très lourdes, portées par Soufiane Zitouni, un professeur de philosophie qui enseignait là-bas depuis septembre et qui vient de démissionner. Sur place, les enseignants sont consternés. Leur établissement, seul lycée musulman "sous contrat" du pays, a été élu meilleur lycée de France en 2013 et "n'a plus a faire ses preuves" selon eux. Point par point, ils répondent aux accusations de M. Zitouni.

De notre envoyée spé­ciale à Lille.

L’his­toire com­mence avec une tri­bune inti­t­ulée Aujour­d’hui, le prophète est aus­si Char­lie, pub­liée dans le quo­ti­di­en Libéra­tion le 15 jan­vi­er dernier, quelques jours après les atten­tats de Paris. Soufi­ane Zitouni, son auteur, est pro­fesseur de philoso­phie au lycée Aver­roès de Lille, seul lycée musul­man de France “privé sous contrat”.

Dans cette pre­mière tri­bune, le pro­fesseur qui a tra­vail­lé pour Libéra­tion dans les années 1980, décrit un Islam qui, selon lui, “manque d’hu­mour, de recul, de sérénité dès que l’on touche à un tabou, un dogme, un inter­dit”, comme peut l’être la représen­ta­tion du Prophète. La tri­bune se ter­mine sur ces mots :

“Oui, j’ose le dire, comme le très beau dessin de Luz le sug­gère avec ten­dresse et intel­li­gence : le prophète de l’islam, Mohammed, pleure avec nous toutes les vic­times inno­centes de la bar­barie et de l’ignorance, et demande à Allah le par­don pour les nom­breuses bre­bis égarées se récla­mant de sa reli­gion alors qu’elles n’ont tou­jours pas com­pris l’essentiel de son message.”

Cinq jours plus tard, Sofi­ane Meziani, pro­fesseur d’éthique au lycée Aver­roès et mem­bre du Col­lec­tif des musul­mans de France, répond à son col­lègue en util­isant la même arme, une tri­bune parue dans Le Plus du Nou­v­el Obs, inti­t­ulée “Char­lie: le prob­lème n’est pas religieux. Stig­ma­tis­er les musul­mans est une erreur”. Selon M. Meziani, son ancien col­lègue se trompe de cible en désig­nant les musul­mans : pour lui le prob­lème n’est pas religieux mais “socio-économique, cul­turel, éducationnel”. 

Mon­sieur Zitouni, ne revien­dra plus au lycée Aver­roès. Il pose sa démis­sion et se met “en arrêt mal­adie” dans la foulée, comme le racon­te le jour­nal Libéra­tion. Deux semaines plus tard, ven­dre­di 6 févri­er, il reprend la plume dans une sec­onde tri­bune : Pourquoi j’ai démis­sion­né du lycée Aver­roès. Dans celle-ci, ce ne sont plus les musul­mans en général ou l’is­lam qui sont visés, mais l’étab­lisse­ment Aver­roès, ses élèves, ses pro­fesseurs et ses dirigeants. Anti­sémitisme, com­mu­nau­tarisme, repli sur soi, prob­lèmes de mix­ité, tabous autour de la sex­u­al­ité ou de la théorie dar­wini­enne de l’évo­lu­tion, absence d’e­sprit cri­tique de la part des jeunes : les exem­ples sont nom­breux et précis.

Les attaques font grand bruit dans les médias et, dans les heures qui suiv­ent, Mon­sieur Zitouni est invité par BFM TV. Lun­di 9 févri­er, Soufi­ane Zitouni est égale­ment l’in­vité des mati­nales d’Europe 1, où il réitère ses accu­sa­tions con­tre le lycée et y ajoute des sus­pi­cions de finance­ment de la part du Qatar.

Soufiane Zitouni était l'invité  d'Europe 1, lundi 9 février
Soufi­ane Zitouni était l’in­vité d’Eu­rope 1, lun­di 9 février

Du côté du lycée Aver­roès, c’est l’a­bat­te­ment : ven­dre­di 6 févri­er, cer­tains pro­fesseurs fondent en larmes en décou­vrant la sec­onde tri­bune de leur ancien col­lègue. “Per­son­ne ne se recon­nais­sait dans les pro­pos tenus par M. Zitouni”, racon­tent les enseignants. L’équipe de direc­tion et le corps pro­fes­so­ral déci­dent cepen­dant de ne pas cacher l’ex­is­tence du texte aux élèves, avant de porter plainte pour diffama­tion. Une péti­tion est égale­ment lancée, mar­di, et recueil­lait 2 300 sig­na­tures jeu­di matin.

Enfin, une inspec­tion générale de l’A­cadémie de Lille est demandée par l’étab­lisse­ment, pour que des agents de l’É­tat vien­nent con­fron­ter le plus vite pos­si­ble les pro­pos de M. Zitouni à l’épreuve des faits. Elle s’est déroulé mer­cre­di 11 févri­er. En atten­dant les con­clu­sions du rap­port, notre journée d’en­quête à l’in­térieur des murs du lycée Aver­roès per­met de con­tre-bal­ancer plusieurs points issus de l’ar­gu­men­taire de Mr Zitouni.

1. “Une conception de l’islam qui n’est autre que l’islamisme”

Ce que dit M. Zitouni :

En réal­ité, le lycée Aver­roès est un ter­ri­toire ‘musul­man’ sous con­trat avec l’État” […] qui joue un dou­ble jeu avec notre république laïque (…) en montr(ant) pat­te blanche dans les médias pour béné­fici­er d’une bonne image dans l’opinion publique […] tout en diffus(ant) de manière sournoise et per­ni­cieuse une con­cep­tion de l’islam qui n’est autre que l’islamisme, c’est-à-dire, un mélange mal­sain et dan­gereux de reli­gion et de politique.”

La réponse du lycée Averroès : 

“Cela fait 10 ans que le lycée existe, 10 ans que nous lais­sons les portes ouvertes aux médias, que nous sommes inspec­tés régulière­ment, par­fois 8 fois par an… Si quelque chose avait du percer, ça ce serait su !”, estime Eric Dufour, pro­fesseur de lit­téra­ture à Aver­roès depuis 2007 et nom­mé directeur adjoint à la ren­trée 2014.

Le lycée Aver­roès, de par son statut d’étab­lisse­ment musul­man “privé sous con­trat”, est régulière­ment inspec­té par l’É­d­u­ca­tion nationale, notam­ment en ce qui con­cerne les pro­grammes et le con­tenu des cours. Abdelka­d­er Saïm, pro­fesseur de SVT, a exer­cé pen­dant des années dans le secteur pub­lic avant de rejoin­dre, en 2005, le lycée Aver­roès. Pour lui, rien n’a changé dans sa manière d’en­seign­er : “Ici, on apprend la même chose qu’ailleurs, on n’est pas décon­nec­té du reste de monde. J’étais encore en for­ma­tion, la semaine dernière, avec des col­lègues d’autres étab­lisse­ments publics ou privés. On partage nos expéri­ences et ça per­met de se ren­dre compte qu’on est face aux mêmes dif­fi­cultés, par rap­port à la manière d’en­seign­er telle ou telle chose par exemple.”

Les pro­fesseurs inter­rogés ont par ailleurs affir­mé qu’il n’avait pas été ques­tion de leur appar­te­nance religieuse lors de leur recrute­ment. Madame Afe­j­jay, pro­fesseur d’his­toire-géo­gra­phie au lycée Aver­roès depuis 10 ans (après 5 ans dans le pub­lic) l’as­sure : “On ne m’a pas demandé ma con­fes­sion pen­dant l’entretien. Et si on me l’avait demandé, je pense que je n’aurais pas répon­du. Je ne suis pas ici pour ça, je suis un agent de l’État. Ici, on ne fait pas de prosé­lytisme. On est enseignant et c’est déjà beaucoup.”

“Pour nous, le fait d’être musul­man n’est pas un critère de sélec­tion, con­firme Eric Dufour le directeur adjoint et prof de lit­téra­ture. Quand je suis arrivé ici en 2007, le directeur ne m’a pas demandé de quelle con­fes­sion j’é­tais en entre­tien et je n’ai pas voulu lui dire que j’étais musul­man. J’ai sim­ple­ment demandé à M. Oufk­er si je pou­vais con­tin­uer à enseign­er, ici, tout ce que j’en­seignais ailleurs. Il m’a répon­du que oui et ça m’a ras­suré. Je ne m’imaginais pas me cen­sur­er dans ma matière pour des raisons religieuses. Pour moi c’était incon­cev­able, même si je suis musul­man.

Enfin, pour Eric Dufour, il est faux de par­ler de “mélange mal­sain entre reli­gion et poli­tique” au sein du lycée. Au con­traire, pour lui une grande pudeur règne au sein de l’étab­lisse­ment quant à la con­fes­sion de cha­cun : “Je ne peux pas vous dire qui est musul­man chez les profs. Il y a des col­lègues athées, des catholiques, d’autres pour lesquels on ne sait pas… Mais il n’est jamais ques­tion de reli­gion entre nous. Il arrive qu’on prie ensem­ble (NDLR : dans la salle de prière du lycée prévue à cet effet), mais c’est tout. Ce n’est pas un sujet dont on dis­cute dans la salle des profs. Cha­cun se garde bien de par­ler de ses con­vic­tions, c’est quelque chose d’in­time, de per­son­nel, surtout pour les musulmans.”

Au sujet des “ablu­tions” pra­tiquées dans le lavabo qui jouxte la salle des profs, les enseignants inter­rogés ne nient pas les faits, mais n’es­ti­ment pas que cela pose un prob­lème dans un lycée musul­man et pré­cisent que M. Zitouni lui-même, les pratiquait.

La salle des professeurs  du lycée Averroès
La salle des pro­fesseurs du lycée Averroès

Par ailleurs, des copies d’é­val­u­a­tions de philoso­phie mon­trent qu’il cor­rigeait ses élèves en s’ap­puyant, dans la marge, sur des ver­sets du Coran. Le pro­viseur de l’étab­lisse­ment, M. Has­san Oufk­er en a apporté la preuve en image, sur le plateau de “La nou­velle édi­tion” de Canal+, mar­di 10 févri­er, en mon­trant une copie à l’écran sur laque­lle était inscrit en rouge, “Vous doutez de l’existence de Dieu Ayoub ?”. “C’est stricte­ment inter­dit, s’est emporté le pro­viseur, c’est M. Zitouni qui a un prob­lème avec la reli­gion, pas nous!”

Des dires que vien­nent con­firmer le témoignage des anci­ennes élèves de M. Zitouni. “Les ter­mi­nales L de M. Zitouni recon­nais­sent que c’é­tait un bon prof de phi­lo, mais qu’il ne par­lait de phi­lo que 30% du temps, les 70% restant étant con­sacré à l’is­lam”, recon­nait Stephen Urani, le suc­cesseur de M. Zitouni depuis lun­di 9 févri­er. Aujour­d’hui, le nou­veau prof de philoso­phie affirme qu’il doit rat­trap­er avec ses élèves un sérieux retard sur le programme.

2. “Un antisémitisme quasi culturel”

Ce que dit M. Zitouni :

“En plus de vingt années de car­rière en milieu sco­laire, je n’ai jamais enten­du autant de pro­pos anti­sémites de la bouche d’élèves dans un lycée !”. Un thème “récur­rent et obses­sion­nel”, […] “un anti­sémitisme qua­si cul­turel” qui se serait man­i­festé par le biais d’élèves ayant affir­mé en cours que “la race juive est une race mau­dite par Allah” qui forme “un lob­by très puis­sant” qui “domine tous les médias français” et “orchestre une cabale con­tre l’is­lam en France”. “Enfin, com­bi­en d’élèves n’ai-je pas enten­du encenser, défendre, soutenir Dieudonné !”.

La réponse du lycée Averroès :

Qu’on dise de mes élèves qu’ils sont anti­sémites, je trou­ve ça pro­fondé­ment injuste et ça remet com­plète­ment en cause mon enseigne­ment, s’emporte Mme Afe­j­jay, pro­fesseur d’his­toire-géo­gra­phie depuis 10 ans au lycée Aver­roès. Le 19 jan­vi­er dernier, j’ai amené mes élèves de pre­mière au musée de la résis­tance à Bon­dues, vis­iter une expo­si­tion sur la libéra­tion des camps. Et chaque année, on par­ticipe au con­cours nation­al de la résis­tance et de la dépor­ta­tion. Là-dessus on n’a de leçons à recevoir à personne.”

Pour Sofi­ane Meziani, pro­fesseur d’éthique et auteur de la tri­bune suite à laque­lle Soufi­ane Zitouni a démis­sion­né, par­ler d’un tel anti­sémitisme au lycée Aver­roès n’a pas de fonde­ment. Il rap­pelle que, récem­ment, un débat “inter­re­ligieux” por­tant sur les points com­muns entre islam et judaïsme a été organ­isé au lycée, ani­mé par M. Zitouni lui-même. Sur le site inter­net du lycée Aver­roès, le pro­fesseur de phi­lo a d’ailleurs écrit un petit texte affir­mant que tout s’é­tait bien passé, en des mots qui con­trastent avec ceux de sa tri­bune du 6 févri­er : “Une bien belle ren­con­tre que celle entre Yona Ghert­man, jeune rab­bin de Cagnes-sur-Mer, et Sofi­ane Meziani, notre pro­fesseur de cul­ture musul­mane. […] Les nom­breuses ques­tions de nos élèves ont ensuite don­né un cer­tain relief au débat. Gageons alors que cette ren­con­tre frater­nelle entre judaïsme et islam au lycée Aver­roès a pu apporter de la lumière des deux côtés.”

Enfin, M. Meziani regrette l’at­ti­tude de M. Zitouni vis à vis des élèves qui auraient tenu, si cela est avéré, des pro­pos anti­sémites : “Et même s’il y avait eu des  dérives dans une classe, le rôle du pro­fesseur c’est de pren­dre du recul et de décon­stru­ire les préjugés. Dans sa tri­bune, M. Zitouni dit qu’il s’est bat­tu pour exercer son méti­er de prof de phi­lo, mais vis­i­ble­ment, il s’est vite découragé, car il n’a que qua­tre mois de présence effec­tive au lycée. Or il faut écouter les jeunes, leur don­ner la parole et échang­er : si on ne leur donne pas, en cours, les moyens de dire ce qu’ils pensent, c’est inter­net qui va faire le tra­vail et on sait les con­séquences que ça peut avoir…”

3. “Des thèmes et des mots tabous”

Ce que dit M. Zitouni :

“[…] Il y avait les thèmes et les mots tabous…” comme “la théorie dar­wini­enne de l’évolution” ou “le mot ‘sexe’ ”, affir­mant qu’un jour, “une élève (voilée) qui s’était pro­posée pour lire un texte de Freud, refusa de pronon­cer le mot ‘sexe’ à cha­cune de ses occur­rences dans l’extrait concerné.”

La réponse du lycée Averroès :

Sur la sex­u­al­ité, les argu­ments du pro­fesseur d’éthique Sofi­ane Meziani con­tre-bal­an­cent net­te­ment les accu­sa­tions de M. Zitouni : “J’ai con­sacré un chapitre de deux heures à la sex­u­al­ité. Et au mois de jan­vi­er, on a organ­isé une journée entière con­sacrée à la sex­u­al­ité, avec présence oblig­a­toire pour les pre­mières et les ter­mi­nales. Il y a eu d’abord une pro­jec­tion, puis des ate­liers — notam­ment avec un psy­cho­logue — pour per­me­t­tre l’échange et le débat, bris­er les préjugés et faire de la préven­tion. Les élèves en étaient très con­tents, ils ont même demandé que ça se refasse!”, con­cède le pro­fesseur d’éthique.

En ce qui con­cerne l’épisode de la jeune fille qui aurait “refusé” selon les ter­mes de M. Zitouni, de pronon­cer le mot “sexe” dans un texte, les élèves qui étaient présentes à ce moment là ont racon­té l’épisode à leur nou­veau prof de philoso­phie. La jeune fille en ques­tion aurait pouf­fé de rire, vis­i­ble­ment gênée, en butant sur le mot, et aurait effec­tive­ment mar­qué un silence chaque fois que le mot appa­rais­sait par la suite. “C’est bien dif­férent d’un refus caté­gorique, for­mal­isé comme tel et jus­ti­fié par des argu­ments religieux comme le lais­sait sous enten­dre M. Zitouni” pré­cise Stephen Urani. “Il faut les écouter, ces jeunes filles : c’est une affaire de pudeur, de trait cul­turel, en par­tie lié à leur reli­gion. Mais se bra­quer et refuser le débat n’est pas la bonne atti­tude à adopter, au con­traire”. Dans son cours du jour con­sacré à l’épi­curisme, M. Urani n’hésit­era d’ailleurs pas à pos­er des ques­tions franche­ment : “Pensez vous que la sex­u­al­ité soit un besoin naturel néces­saire, sim­ple­ment néces­saire, ou vain ?”

Enfin, pour le pro­fesseur de SVT Abdelka­d­er Saïm, il ne faut pas oubli­er que l’ado­les­cence est “une péri­ode où le rap­port au corps et à la sex­u­al­ité” est par­ti­c­uli­er pour tous les ado­les­cents, quelle que soit leur con­fes­sion. “Pour moi le sexe ne doit pas être un tabou. Vous voulez que je vous mon­tre l’ar­ti­cle que j’ai dis­tribué à mes élèves en cours aujour­d’hui ?”, ques­tionne-t-il en ten­dant une pho­to­copie. Dessus, un arti­cle du Nou­v­el Obser­va­teur paru en avril 2012 qui évoque le cas d’une can­di­date trans­sex­uelle cana­di­enne autorisée à par­ticiper à Miss Univers.

4. “Pas de livre du philosophe Averroès” au CDI

Ce que dit M. Zitouni :

“Mais quelle n’a pas été ma sur­prise de con­stater que sur les rayons du CDI de cet étab­lisse­ment, il n’y avait ni livres du philosophe andalou, ni livres sur lui !”

La réponse du lycée Averroès :

Pre­mière­ment, qu’il y en ait ou pas, ça n’est pas une preuve de quoi que ce soit. Je ne pense pas que les lycées publics Fénelon ou Faid­herbe de Lille dis­posent d’une étagère entière con­sacrée à celui dont le lycée porte le nom, jus­ti­fie la doc­u­men­tal­iste de l’étab­lisse­ment, Mme Mamèche. Deux­ième­ment, c’est faux de dire qu’il n’y a rien sur le philosophe Aver­roès, il y a des ouvrages qui le men­tion­nent, même si aucun ne lui est entière­ment con­sacré”, recon­naît-elle. Par­mi eux, un numéro de Philoso­phie Mag­a­zine que M. Zitouni aurait eu entre les mains et feuil­leté à l’au­tomne, assure la doc­u­men­tal­iste. “Il y aus­si des ouvrages sur les savants, les sci­en­tifiques ou la philoso­phie, dans lesquels des pas­sages par­lent d’Aver­roès”. Enfin, nous avons pu con­stater que les rayons de la petite bib­lio­thèque de l’étab­lisse­ment étaient peu four­nis. “Il faut faire des choix”, résume Mme Mamèche. 

Capture d’écran du site Philosophie Magazine
Cap­ture d’écran du site Philoso­phie Magazine

5. La théorie de l’évolution et Darwin

Ce que dit M. Zitouni :

Le Coran ne dit pas cela, donc cette théorie est fausse ! J’avais beau me référ­er au livre de l’astrophysicien Nid­hal Gues­soum (…) qui affirme (…) que la théorie de l’évolution est non seule­ment com­pat­i­ble avec le Coran, mais que plusieurs ver­sets coraniques vont dans son sens, rien n’y fai­sait non plus.”

La réponse du lycée Averroès :

Abdelka­d­er Saïm, pro­fesseur de SVT depuis 2005, récuse totale­ment : “L’évolution en SVT, c’est quelque chose qui est dis­cuté dans tous les pro­grammes, en par­ti­c­uli­er en ter­mi­nale S, mais je n’ai jamais eu aucun souci à l’enseigner. Il y a tou­jours des inter­ro­ga­tions. Est-ce que l’on descend du singe ? Par qui a‑t-on été créés ? Mais quand on leur explique les choses de manière sci­en­tifique et argu­men­tée, il n’y a aucun souci. 

L’enseignant note d’ailleurs des pro­grès à ce sujet depuis quelques années : “On oppose de moins en moins les croy­ances et les théories sci­en­tifiques. Aujour­d’hui, on con­sid­ère que les théories de Dar­win n’entrent pas directe­ment en con­tra­dic­tion avec les con­vic­tions des uns et des autres.”

6. Des élèves qui “répètent comme des perroquets bien dressés”

Ce que dit M. Zitouni :

“Avec tou­jours cette même ren­gaine, comme répétée par des per­ro­quets bien dressés…”

La réponse du lycée Averroès :

Bien des pro­fesseurs inter­rogés ont été par­ti­c­ulière­ment frap­pés et émus par cette accu­sa­tion de M. Zitouni. Nos élèves sont le con­traire des per­ro­quets qui ingur­gi­tent sans réfléchir, il faut au con­traire les frein­er par­fois telle­ment ils posent des ques­tions !”, réag­it Sophie Muhallil, la pro­fesseur d’espagnol.

En salle des profs, le dessin d’un lycéen a été affiché sur le tableau “Libre expres­sion”. Une sorte de car­i­ca­ture “un peu moqueuse à pro­pos de M. Zitouni”, con­cède Hache­mi, assis­tant d’é­d­u­ca­tion depuis l’an­née dernière. Pour lui, c’est aus­si une manière de mon­tr­er que les élèves, même musul­mans, ne sont pas dénués de sens de l’hu­mour — con­traire­ment à ce que dis­ait M. Zitouni dans sa pre­mière tri­bune.

Un élève du lycée Averroès a produit un dessin satyrique à l'encontre de l'ancien professeur de philosophie, M. Zitouni
Un élève du lycée Aver­roès a pro­duit un dessin satyrique à l’en­con­tre de l’an­cien pro­fesseur de philoso­phie, M. Zitouni

Dans la salle des profs, l’ar­ti­cle pub­lié sur le HuffingtonPost.fr, de la main d’un enseignant, Abder­rahim Bouzel­mate, cir­cule. Ils ne le con­nais­sent pas, mais trou­vent qu’il a trou­vé les mots juste pour décrire le sen­ti­ment des pro­fesseurs vis à vis de cette atteinte à l’in­tel­li­gence de leurs élèves :

“[…] vous présen­tez vos anciens élèves — con­tre lesquels vous vous acharnez dans la plus grande par­tie de votre papi­er — comme étant des bêtes à manger du foin avec un degré d’in­tel­li­gence proche du zéro. Je véri­fie à l’in­stant la sit­u­a­tion de l’étab­lisse­ment inculpé, et on m’indique qu’il a été élu meilleur lycée de France au pal­marès des lycées 2013, avec un taux de réus­site de 100% au bac­calau­réat. Cet élé­ment, étrange­ment absent dans votre papi­er, me pousse à me pos­er une ques­tion: où dia­ble auriez-vous pu réus­sir, si vous ne l’avez pas fait dans l’un des meilleurs lycées de France?”

Il est vrai que les bons résul­tats et l’en­t­hou­si­asme soulevé par cet étab­lisse­ment depuis sa créa­tion, sont dif­fi­cile­ment con­testa­bles. Alors même qu’il est situé au cœur d’un quarti­er défa­vorisé de Lille et qu’il accueille 60 % d’élèves bour­siers (bien au dessus de la moyenne nationale) ils obti­en­nent tous leur bac à l’is­sue de leur scolarité.

On forme des élèves pour qu’ils soient à l’aise dans le supérieur et devi­en­nent acteurs de la société de demain. On ne forme pas des élites musul­manes mais des élites répub­li­caines, affiche le directeur adjoint Eric Dufour, avec un brin de fierté. Ils seront avo­cats, médecins, jour­nal­istes avant d’être musul­mans, on ne forme pas des imams ici, et devoir le dire c’est déjà aber­rant…”

L'espace "Libre expression" a été créé récemment pour pouvoir accueillir les différents points de vue des élèves ou professeurs suite aux écrits de Mr Zitouni
L’e­space “Libre expres­sion” a été créé récem­ment pour pou­voir accueil­lir les dif­férents écrits des pro­fesseurs suite aux pro­pos de M. Zitouni

Pour lui, l’étab­lisse­ment Aver­roès n’est pas une enclave religieuse dans la République, mais un pont entre les musul­mans et la République. Et ce qu’il décrit comme étant un véri­ta­ble “rem­part” con­tre les dérives religieuses devrait être davan­tage soutenu par l’É­tat, selon lui. “On nous accuse d’être des islamistes, alors qu’avec notre péd­a­gogie et notre volon­té de les faire accéder aux plus hautes qual­i­fi­ca­tions de la République, on évit­era qu’ils soient ten­té de dériv­er ! Ici, on leur donne une chance et ils nous le ren­dent bien.”

***

Note de la rédaction :

Con­tac­té par 3millions7.com, Soufi­ane Zitouni s’est déclaré “épuisé” et “lassé de répéter les mêmes choses aux nom­breux médias qui (l)‘ont sol­lic­ité”. Il n’a pas répon­du pré­cisé­ment à nos ques­tions, nous ren­voy­ant à ses tri­bunes déjà pub­liées. Il a enfin réitéré ses sus­pi­cions à pro­pos du “finance­ment qatari” du lycée. “Main­tenant, […] c’est ma parole con­tre la leur”, a‑t-il écrit.

Image d’en tête: 3Millions7/ L. Berland