Education

L’éducation civique n’est pas (totalement) oubliée par l’école

Après les attentats, le rôle de l’école dans l’apprentissage de la citoyenneté a été interrogé. Si la France est le seul pays d’Europe à proposer des cours d’éducation civique tout au long de la scolarité de ses élèves, cette matière souffre de certaines vulnérabilités.

« Mobil­isons l’école pour les valeurs de la République » : moins d’une semaine après les atten­tats de Paris et de Mon­trouge, Najat-Val­laud Belka­cem, min­istre de l’É­d­u­ca­tion, rece­vait les représen­tants de la com­mu­nauté éduca­tive pour tra­vailler sur cette question.

La dérive des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, sor­tis du sys­tème édu­catif français, tout comme les réac­tions de cer­tains élèves, notam­ment lors des min­utes de silence, ont à nou­veau braqué les regards sur la ques­tion de l’école et de son rôle dans l’apprentissage de la citoyen­neté. Le 22 jan­vi­er, la min­istre annonçait une série de mesures pour cette « grande mobil­i­sa­tion », comme si l’école avait omis d’inculquer les valeurs de la République à ses élèves. L’éducation civique n’est pour­tant pas totale­ment oubliée, même si cette dis­ci­pline com­porte quelques failles.

Une exception en Europe

La France est le seul pays européen à pro­pos­er des cours d’éducation civique « claire­ment iden­ti­fiés » tout au long de la sco­lar­ité des élèves, comme le note une étude du Cnesco (Con­seil nation­al d’évaluation du sys­tème sco­laire) sur l’apprentissage de la citoyen­neté, pub­liée le 13 jan­vi­er dernier.

Cela com­mence dès le pri­maire, « on apprend aux enfants les sym­bol­es de la République ou ce qu’est le rôle d’un Maire », détaille Nathalie, insti­tutrice, et se pour­suit jusqu’à la ter­mi­nale, quelles que soient les fil­ières (générales, pro­fes­sion­nelles ou tech­nologiques). Les thèmes brassés sont larges et défi­nis par le min­istère de l’Education nationale. La laïc­ité y a bien sa place, tout comme la ques­tion de la citoyen­neté, des dis­crim­i­na­tions ou l’éducation aux médias.

Une inégalité entre les filières générales, technologiques et professionnelles

Si les col­légiens et les lycéens des fil­ières générales ont des horaires spé­ci­fiques dédiés aux cours d’éducation civique, ce n’est pas le cas pour les autres. Les enseignants des fil­ières tech­nologiques et pro­fes­sion­nelles reçoivent une enveloppe horaire glob­ale. Ils doivent se débrouiller pour assur­er sur ce temps les cours d’histoire, de géo­gra­phie et d’éducation civique.

Comme le racon­te Sophie, pro­fesseur-sta­giaire dans un lycée : « Avec mes class­es tech­nologiques, j’ai seule­ment 1h30 de cours par semaine, du coup je ne peux pas faire de séances spé­ci­fiques d’éducation civique. J’essaye de le reli­er au reste du pro­gramme. Par exem­ple, lors du cours sur la IIIème République, on va par­ler de la laïc­ité pen­dant 10 min­utes. Je ne peux pas faire plus car le pro­gramme d’histoire-géographie est inter­minable ». Au lycée pro­fes­sion­nel, « on va traiter seule­ment le thème oblig­a­toire pour l’examen car on n’a pas le temps de faire les autres », explique Cather­ine, pro­fesseur d’histoire-géographie.

Peu de temps avant l’entrée dans le monde des adultes, les pro­grammes de l’Education nationale privent donc une par­tie des élèves, sou­vent les moins favorisés, de véri­ta­bles cours d’éducation civique, alors que les lycéens des fil­ières générales en ont encore trente min­utes par semaine.

Des horaires mais pas forcément de temps

Même lorsque des horaires spé­ci­fiques sont prévus pour l’éducation civique, ce n’est pas tou­jours évi­dent de s’y tenir. « Très sou­vent, on va faire de l’histoire-géographie à la place de l’éducation civique car les pro­grammes sont énormes », recon­naît Bernard, pro­fesseur dans un collège.

Con­sacr­er du temps à l’éducation civique est encore plus dif­fi­cile avec des élèves en dif­fi­culté ou non fran­coph­o­nes. « Soit on ne fait pas toutes les notions mais celles qu’on traite, on les traite bien, soit on les fait toutes et mal », explique Jean-Bap­tiste, égale­ment pro­fesseur dans un collège.

Pas de formations spécifiques

Lors de leur for­ma­tion dans les ESPE (Ecole supérieure du pro­fes­so­rat et de l’éducation), ex-IUFM (Insti­tut uni­ver­si­taire de for­ma­tion des maîtres), les futurs pro­fesseurs ne sont pas par­ti­c­ulière­ment sen­si­bil­isés à la ques­tion de l’éducation civique. « On nous en a par­lé une fois pen­dant un cours, même pas pen­dant une heure » relate Sophie.

Pour le con­cours, « une des épreuves com­porte une toute petite ques­tion d’éducation civique », décrit Diego, pro­fesseur dans un col­lège depuis moins de dix ans. Les nou­veaux pro­fesseurs appren­nent sur le tas. Sophie, dont un tuteur est cen­sé observ­er les cours, note même : « Je ne sais pas si c’est révéla­teur, mais c’est le seul cours qu’il ne vient pas observ­er. »

 Trop théorique ?

Cer­tains pro­fesseurs, comme Bernard, reprochent au pro­gramme d’être trop abstrait et par­fois inadap­té aux niveaux des élèves : « Sa faib­lesse est qu’il est ‘hors-sol’, c’est un civisme de façade. Par exem­ple pour le brevet, on l’évalue par une épreuve écrite où il faut réciter une leçon». La manière dont les pro­grammes sont élaborés serait en cause. « Le prob­lème, c’est que le pro­gramme est pen­sé par des uni­ver­si­taires, pas par des enseignants, relève Jean-Bap­tiste. Ce n’est pas for­cé­ment adap­té à la matu­rité des élèves ». Même si cer­tains, comme Diego, recon­nais­sent une évo­lu­tion, « c’est bien plus intéres­sant que lorsque j’étais élève », et appré­cient la lib­erté péd­a­gogique qui leur est lais­sée pour traiter de ces questions.

Une éducation civique en-dehors des cours

Même si l’en­seigne­ment de l’éducation civique est loin d’être totale­ment appliqué, l’é­cole ne s’arrête pas aux pro­grammes défi­nis pour les cours. « On en fait tout le temps, toute la journée. Le vivre ensem­ble, la ges­tion des con­flits, c’est aus­si de l’éducation civique », résume Nathalie. Un con­stat fait par l’ensemble des pro­fesseurs interrogés.

Pho­to d’en-tête : Lu sur un tableau d’é­cole “L’ig­no­rance mène tou­jours à la servi­tude” (Tris­tan Nitot/Creative Com­mons)