Culture

Des dessinateurs basques lancent leur Charlie Hebdo

Après les attentats qui ont frappé Charlie Hebdo le 7 janvier dernier, trois dessinateurs basques ont décidé de se mobiliser pour mettre fin à une anomalie : l’absence de journal satirique au Pays Basque.

En une dizaine de jours, ils sont par­venus à rassem­bler une douzaine de dessi­na­teurs, tous basques, français ou espag­nols, pour lancer H28, un men­su­el numérique satirique exclu­sive­ment bascophone.

Ce jour­nal, dont la pre­mière édi­tion est parue mer­cre­di 28 jan­vi­er sor­ti­ra tous les 28 du mois, gra­tu­ite­ment sur inter­net. L’occasion de voir jusqu’où le Pays basque, et les Basques, peu­vent rire d’eux-mêmes.

Entre­tien avec le dessi­na­teur, et l’un des ini­ti­a­teurs du pro­jet, Marc Armspach alias Marko.

 

3millions7 : Comment vous est venue l’idée de lancer H28 ? 

Marko : On a décidé de met­tre en œuvre cette ini­tia­tive après ce qu’il s’est passé il y a trois semaines. Comme partout il y a eu une réac­tion très vive. Plus par­ti­c­ulière­ment ici, au Pays basque, chez cer­tains auteurs.

Beau­coup d’entre nous ont été sol­lic­ités pour nous exprimer par des dessins, des inter­views, des tables ron­des sur le thème de la lib­erté d’expression. On avait tous envie d’en par­ler, de s’exprimer.

Le 18 jan­vi­er dernier, je suis inter­venu à une table ronde organ­isée par Berria (un quo­ti­di­en bas­coph­o­ne, NDLR) avec deux autres dessi­na­teurs, Asisko et Zaldieroa. On s’est demandé : Et nous ici, au Pays basque ? Est-ce qu’on peut met­tre cette lib­erté en pra­tique dans un pays qui a une his­toire poli­tique et cul­turelle très forte, avec ses tabous et ses sujets sacrés ? Com­ment faire ? Qu’est ce qu’on peut faire ? Jusqu’où peut-on aller ? A la fin de cette table ronde, on s’est dit qu’il fal­lait faire quelque chose. On a donc décidé d’en faire un mensuel.

3m7 : Pourquoi avez-vous décidé de l’appeler H28 ?

M : C’est en dis­cu­tant entre nous. On a décidé que ça sor­ti­rait tous les 28 du mois. Pourquoi le 28 ? Il fal­lait trou­ver une journée et c’est né comme ça. Si on avait pris le 29 ou le 30 on ne serait pas sor­ti en févri­er dans les années bissextiles.

Et le H, dans H28, cor­re­spond à « hil­abetea » qui veut dire “mois” en basque.

3m7 : Comment expliquer qu’il n’y ait encore aucun journal satirique au Pays basque ?

M : Cette absence est due à la sit­u­a­tion générale au Pays basque, que ce soit en France ou en Espagne, qui est telle­ment lourde et com­pliquée. La région est très mar­quée poli­tique­ment. Il y a des antécé­dents, la sit­u­a­tion des pris­on­niers, de la poli­tique intérieure… Ce sont des sujets extrême­ment délicats.

Avec H28 on donne la pos­si­bil­ité à cer­tains d’aborder ces sujets, on a désor­mais l’occasion de le faire ou de ne pas le faire.

Cette volon­té de jour­nal satirique était quelque chose de latent, il a fal­lu atten­dre qu’une étin­celle se pro­duise. Dès qu’on a lancé l’idée, on s’est ren­du compte que beau­coup de monde s’est mobil­isé, des dessi­na­teurs mais aus­si des per­son­nes spé­cial­istes en mul­ti­mé­dia et en web. On s’est ren­du compte qu’il y avait une réelle attente.

D’après moi, le dessin est une forme de soupape. Avant, la ques­tion ne se serait pas for­cé­ment posée, mais les men­tal­ités ont évolué au Pays basque. D’ailleurs depuis le lance­ment du jour­nal, nous n’avons que de bons retours. C’est de la folie et c’est très impres­sion­nant. On est relayés dans pas mal de jour­naux. Ça a eu un bel impact.

C’est une belle aven­ture qui com­mence, je ne sais pas où on met les pieds. L’auto-censure ? On est con­stam­ment en train de s’auto cen­sur­er. Là on a plus d’impact, on s’expose plus. Mais peut être que cer­tains vont aus­si plus se lâcher.

 

3m7 : Vous comptez rester un journal mensuel bascophone exclusivement sur Internet ? 

M : On ne veut pas se coller une pres­sion quel­conque mais il faut struc­tur­er l’ensemble. Là, pour la pre­mière édi­tion, les dessins venaient de partout. Il faut qu’on se struc­ture en véri­ta­ble rédac­tion. Si on voit qu’il y a du répon­dant, on va con­tin­uer. Le papi­er pour l’instant non, ça a un coût. Là ça per­met de nous exprimer libre­ment, de vari­er tous les mois la pag­i­na­tion. Le papi­er a une autre logique.

Pour le moment tout le men­su­el est en basque, c’est une ini­tia­tive bas­coph­o­ne. Mais le débat est ouvert, pour l’instant cha­cun est libre de pub­li­er son illus­tra­tion sur les réseaux soci­aux en la traduisant. C’est un sujet à abor­der en groupe. D’ailleurs à ce stade tout est sujet à discussion.

Pro­pos recueil­lis par Jérémie Lamothe.

Pho­to d’en-tête : Sur ce dessin on peut lire en titre “H28 arrive”. Sur les pan­car­tes “Je suis H28” dans les dif­férentes nuances de la langue basque. (Crédit: Marko)