Une salle municipale à Villepinte (Seine-Saint-Denis, 93), une vingtaine de jeunes, membres de l’association Zonzon 93, qui agit pour la prévention de la délinquance, et un débat sur les valeurs républicaines. La seule surprise dans ce tableau est la présence de Patrick Kanner, ministre de la Ville.
Mercredi 23 janvier, le ministre nordiste s’est déplacé dans cette commune à 18 kilomètres au nord-est de Paris, dont certaines zones font partie des « quartiers prioritaires de la politique de la ville », pour échanger avec l’association. Quelques jours plus tôt, Zonzon 93 avait organisé un débat pour discuter des conséquences des attentats contre Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher et la policière municipale de Montrouge.
Cette initiative a interpellé Patrick Kanner, venu également pour montrer qu’il compte s’appuyer sur les associations pour recréer un dialogue avec ces bouts de France victimes, selon les mots du Premier ministre Manuel Valls, d’un « apartheid territorial, social et ethnique ».
Les invitations ont été lancées très vite. Un peu plus d’une semaine après la fusillade de Charlie Hebdo, Patrick Kanner avait réuni les associations engagées dans la politique de la ville, la lutte contre le racisme ou l’antisémitisme, et l’éducation populaire. Le même jour, une circulaire insistant sur le « resserrement du lien social, notamment à travers la création d’espaces de dialogue avec les associations qui sont au plus près du terrain » et demandant aux préfets de « prendre des initiatives avec les acteurs associatifs » était envoyée.
Le refus d’une partie des habitants des quartiers de se proclamer « Charlie », même s’ils dénoncent les attentats, et les minutes de silence chahutées dans certains établissements scolaires obligent le ministère à tendre l’oreille vers eux.
Un acte de bon sens
Bien observé de la part du ministère : qui est mieux placé que les associations pour faire remonter les doléances de ces habitants ? Pour certaines d’entre elles, cette tentative de dialogue est un acte de bon sens.
Selon Michel Rouah, membre du collectif « Pouvoir d’agir », qui rassemble des personnes, des associations locales et des réseaux nationaux contre l’exclusion politique et sociale : « Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’Etat ait envie de discuter avec les associations de proximité, qui sont en relation avec les habitants et travaillent sur les questions de citoyenneté et vivre-ensemble. ». Même si elles « n’ont pas attendu le préfet pour se mettre au travail », explique espièglement cet économiste militant aux yeux cerclés de petites lunettes rondes, rencontré lors d’une table de quartier à Saint-Denis (93).
La deuxième édition de cet événement est organisée dans les locaux de l’APIJ (Association pour l’Insertion des Jeunes) du quartier Cosmonautes, aux abords de la Courneuve (93). Les tables de quartier réunissent des habitants, associations, étudiants et élus qui discutent de projets, de leur importance, de leur financement.
Ce samedi 24 janvier, après avoir passé une matinée à discuter, ils se sont retrouvés autour d’un buffet disposé sur une nappe colorée. Depuis vingt ans, la commune la plus peuplée du département travaille sur la question des liens entre les associations, les institutions et les habitants.
Anne-Laure Langlais, directrice du quartier des Cosmonautes, décrit la particularité de Saint-Denis : « Chaque quartier a un directeur, qui est en contact étroit avec les associations et les habitants ». Si un de ses collègues traite des questions administratives, la jeune femme, qui présente ces dernières comme ses « complices », peut se consacrer au travail de terrain. Avec les associations, Anne-Laure s’attache à faire participer les habitants du quartier : « Elles savent qui sont les personnes qui ne viennent jamais aux débats ou aux animations ».
Elles sont une présence nécessaire pour faire vivre les tentatives de démocratie participative. À Villepinte, Zonzon 93 a par exemple travaillé sur les questions de citoyenneté, notamment lors de la dernière campagne municipale. Un Observatoire de citoyen de la jeunesse a été créé et un Conseil local de la jeunesse devrait bientôt être mis en place.
Rien en retour
Dialoguer, oui. Mais pas seulement. Les associations attendent beaucoup plus de la part du ministère, et plus largement de l’Etat. « Il ne faut pas que ça soit juste un recueil d’informations, qu’on les transmette et ensuite qu’on leur dise “bravo, c’est magnifique, on se revoit dans un an” », confie Michel Rouah.
Une analyse partagée par Omar Azzaoui, de l’Association VACP (Villepinte Association Citoyenne de Proximité), qui mène de nombreuses actions pour les habitants de Villepinte, allant de séjours au ski avec les gendarmes pour des jeunes difficiles au Noël pour les enfants de la ville, en passant par l’aide à la recherche d’emploi. Membre fondateur de l’association, il n’attend pas grand chose de cette annonce de dialogue. : « La circulaire est belle, mais qu’est-ce qu’il y a derrière ? On fait appel à nous, mais il n’y a rien en retour. » Il évoque les problèmes de financement et l’absence de reconnaissance de l’Etat. Même constat du côté de Zonzon 93. Pour Laetitia Nonone, présidente de l’association :
« L’échange avec le Ministre était sympathique, mais après des années à discuter, on attend surtout des actions. Entre l’écoute et construire un avenir meilleure pour les jeunes, il y a une différence. La politique de la ville devrait être une co-construction. Si c’est écrit dans les textes, dans la pratique ça reste laborieux… »
« Après 30 ans d’échec, il y a de quoi être dubitatif », confirme Anne-Laure Langlais.
La question des moyens reste centrale pour les associations, qui souffrent d’une baisse de financement. « Avec une subvention de la ville, il y a de quoi mener seulement une action dans l’année », regrette Omar Azzaoui. VACP se débrouille avec des dons privés et l’aide de fondations. « On est dans une course permanente à la subvention qui transforme les gens en bureaucrates et prend beaucoup de temps », analyse Agnès Deboulet, professeur de sociologie à l’université Paris‑8, également présente à la table de quartier des Cosmonautes de Saint-Denis.
Laetitia Nonone a profité de la visite du ministre pour mettre la question sur la table. Si Zonzon 93 reçoit une subvention de la Mairie, l’intercommunalité ne leur verse plus rien depuis qu’ils n’ont pas « fait campagne pour eux ». Le député concerné était présent. La jeune femme mime le coup de coude que le Ministre a fait a l’élu, « comme pour lui dire : “ah, ça c’est pour toi !” ». Avant d’ajouter :
« Il a répondu qu’il n’était soi-disant pas au courant avant d’appeler les membres de son cabinet pour ‘demander des explications’. »
Une lettre de l’association devrait être déposée lundi 26 janvier sur le site Change.org pour interpeler l’opinion publique sur les questions de financement des associations.
Rattraper ceux qui « partent en couille »
Si les motifs de résignation sont présents, les associations ne baissent pas les bras. Surtout lorsqu’elles réussissent à sortir du cercle vicieux « les jeunes qui partent en couille », comme le dit Omar avec son franc-parler. S’il ne sait pas si « ça aurait changé quelque chose pour les frères Kouachi », il a plusieurs exemples de jeunes qui commençaient à partir à la dérive.
Comme celui qui s’était mis à tenir des propos contre les Juifs. Après avoir constaté qu’il n’était même pas capable d’expliquer pourquoi, les membres de VACP lui ont fait rencontrer des Juifs. Avec un sourire, Omar raconte que maintenant « il est copain avec l’un d’entre eux ».
Du côté de Zonzon 93, on travaille à la création d’une cellule de veille avec la police et les établissements scolaires. Même si elle n’a jamais vu des adolescents de 14–15 ans basculer dans le radicalisme, il est essentiel pour Laetitia Nonone de « repérer et d’encadrer avant que ça ne devienne trop grave ».
Photo d’en-tête : Laetitia Nonone (à gauche), présidente de Zonzon 93, discute avec une autre membre de l’association. (3millions7 / P.Robert)