Religion / Laïcité

Conversations sur la conversion

Ils ont découvert, redécouvert Dieu, ils en ont changé... Les convertis ont de multiples visages. Cependant un trait les réunit : celui qui décide de pénétrer dans les impénétrables voies du seigneur, dont l'existence bifurque dans le sens de la religion, celui qui bouleverse son mode de vie inquiète à l'heure où flambent les violences religieuses. La conversion a alimenté chansons, romans et témoignages. Ici, trois personnes racontent leur expérience.

Un juif qui, à l’âge adulte, a éprou­vé le besoin de renouer avec la foi de ses ancêtres; un musul­man fraîche­ment con­ver­ti qui a trou­vé dans l’is­lam l’ex­em­ple moral qu’il n’avait jamais recon­nu ailleurs; un catholique qui, revenu dans le giron de l’Eglise à vingt ans, accom­pa­gne aujour­d’hui les “appelés” du Christ.

Com­ment vit-on sa con­ver­sion dans un XXI ème siè­cle trou­blé par les ques­tions religieuses ? Par quelles étapes passent les con­ver­tis ? Que dit l’en­tourage ?  Nos témoins évo­quent avec nous l’ap­pari­tion de la foi, l’ex­i­gence qu’elle char­rie avec elle, les richess­es qu’ils y ont puisées.

Jean-Pierre Rosa et le christianisme : faire le lien entre l’illumination et la vie quotidienne

Le quarti­er parisien du Châtelet a changé plusieurs fois de peau. Les travaux se sont suc­cédés sans trop d’in­ter­rup­tions durant les cinq derniers siè­cles. L’ag­i­ta­tion du cen­tre com­mer­cial du Forum des Halles est venue tam­bouriner à ses portes mais l’église Saint-Eustache, la paroisse qui bap­ti­sa et renâ­cla à enter­rer Molière, est tou­jours solide­ment plan­tée au cœur du Ier arrondisse­ment de Paris.

Dans un café situé der­rière l’ab­side de St-Eustache, Jean-Pierre Rosa nous racon­te son rôle d’ac­com­pa­g­na­teur des catéchumènes de la paroisse — ces gens qui se famil­iarisent avec la reli­gion catholique en vue du bap­tême. Lui, l’an­cien ado­les­cent oublieux des affaires de l’Eglise qui a retrou­vé la foi jeune homme, guide à présent le par­cours d’aspirants-chrétiens.

Ni cal­vaire, ni chemin de croix, le catéchumé­nat est une épreuve d’en­durance. Deux ans, à rai­son de 1h30 à 2 heures par mois, c’est le tarif pour tout le monde. Cette trotte spir­ituelle est jalon­née de balis­es. Elle amène le futur fidèle au bap­tême puis à l’ensem­ble des sacre­ments catholiques.

La con­ver­sion intrigue, et les mys­tères de la foi n’ont pas fini de soulever des ques­tions sans réponse chez les pro­fanes. Ce n’est pas faute d’en avoir par­lé dans les livres pour­tant ! Dans la lit­téra­ture française, de nom­breux auteurs, pas for­cé­ment portés sur la reli­gion et l’hostie à l’o­rig­ine, ont dépeint avec force détails le moment où ils se sen­tirent touchés par la grâce.

De Blaise Pas­cal à Charles Péguy, en pas­sant par Bar­bey d’Au­révil­ly et Huys­mans, cha­cun y va de son anec­dote, de son appel et les descrip­tions qu’ils ont don­nées de leur épiphanie ont nour­ri l’imag­i­naire d’une révéla­tion pour ain­si dire magique.

Paul Claudel a lais­sé der­rière lui l’un des tableaux les plus célèbres de la con­ver­sion. Le 25 décem­bre 1886, il écoute, en dilet­tante, un chœur d’en­fants chanter à Notre-Dame de Paris, quand soudain :

“J’é­tais moi-même debout dans la foule, près du sec­ond pili­er à l’en­trée du chœur, à droite du côté de la sac­ristie. Et c’est alors que se pro­duisit l’événe­ment qui domine toute ma vie.

En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’ad­hé­sion, d’un tel soulève­ment de tout mon être, d’une con­vic­tion si puis­sante, d’une telle cer­ti­tude ne lais­sant place à aucune espèce de doute que, depuis, tous les livres, tous les raison­nements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébran­ler ma foi, ni, à vrai dire, la touch­er. J’avais eu tout à coup le sen­ti­ment déchi­rant de l’in­no­cence, de l’éter­nelle enfance de Dieu, une révéla­tion ineffable.”

Cette rédemp­tion soudaine a frap­pé des esprits ini­tiale­ment moins mys­tiques et plus proches de nous que Paul Claudel. Bob Dylan a chan­té sa ren­con­tre avec Jésus sur tous les tons au tour­nant des années 70–80. L’artiste améri­cain, né juif et inscrit à l’é­tat-civ­il sous le nom de Robert Zim­mer­mann, n’é­tait pas réputé jusque-là pour sa piété et encore moins pour son prosé­lytisme religieux.

En 1979, Bob Dylan est dans une passe dif­fi­cile. Il a divor­cé peu de temps aupar­a­vant, peine à se renou­vel­er en stu­dio comme sur scène et mul­ti­plie les excès. Un soir de tournée qu’il passe seul dans une cham­bre d’hô­tel de Tuc­son en Ari­zona, une vision de Jésus se serait imposée à lui sans préavis. Une vis­ite à l’im­pro­viste qui le pousse à bazarder son ancien réper­toire, à se lancer dans d’in­ter­minables ser­mons illu­minés sur scène, et à nar­rer son bon­heur évangélique tout neuf à qui veut l’en­ten­dre comme ici, dans la chan­son Saved sur l’al­bum du même nom sor­ti en 1980 :

Mais atten­tion, “l’é­mo­tion ne fait pas la con­ver­sion” aver­tit Loïc Le Pape, soci­o­logue spé­cial­iste du phénomène de la con­ver­sion. Si il y a tou­jours une fer­veur à l’o­rig­ine de celle-ci, deux élé­ments vien­nent tem­pér­er l’en­t­hou­si­asme du transfuge de Dieu et calmer son dis­cours : la ren­con­tre avec l’in­sti­tu­tion “qui canalise l’é­mo­tion ressen­tie et replace dans une his­toire plus large le par­cours du con­ver­ti” et le fait d’avoir à par­ler de sa con­ver­sion, étape cru­ciale pour être recon­nu en tant que converti.

“Le nou­veau croy­ant doit présen­ter sa con­ver­sion comme quelque chose de réfléchi, sans trop de heurts. Il faut éviter deux écueils qui amèn­eraient l’ex­térieur à décon­sid­ér­er son choix de vie : pass­er pour un illu­miné ou pass­er pour un fanatique.”

Le coup de chaud de la révéla­tion chez les catéchumènes, les dif­fi­cultés de l’ap­pren­tis­sage d’une foi, Jean-Pierre Rosa con­naît ça par cœur. L’en­jeu pour lui est d’aider les catéchumènes à accouch­er de leurs ques­tions puis d’y répon­dre. “Nous sommes un peu comme des passeurs entre cette illu­mi­na­tion et la vie quo­ti­di­enne, par­fois pataude, de l’Église”, résume-t-il.

Qui est ce per­son­nage-là ? Pourquoi il se per­met de dire ça?” Autant de ques­tions qui vien­nent à la bouche des nou­veaux chré­tiens devant un texte aus­si ancien que la Bible.

La dif­fi­culté s’é­tend bien au-delà des mots. “Ce sont des gens extrême­ment exigeants, et cette exi­gence devient exi­gence de vie, explique Jean-Pierre Rosa. Petit à petit, ils changent d’ex­is­tence”. Devenir catholique c’est aus­si entr­er dans la vie de l’Église avec un grand “E”, c’est-à-dire une insti­tu­tion tout ce qu’il y a de plus con­cret avec les défauts qui vont avec.

A côté des imper­fec­tions de Rome, il faut cor­riger les siennes. Beau­coup de con­ver­tis con­sid­èrent que le nou­veau sens de leur exis­tence com­mande de procéder à quelques ajuste­ments à l’in­térieur de celle-ci. Cer­tains changent d’at­ti­tude quand d’autres changent de tra­vail : “Par exem­ple, une de nos catéchumènes s’est dit que tra­vailler dans un cab­i­net d’op­ti­mi­sa­tion fis­cale n’é­tait pas la meilleure des choses. Elle est dev­enue avo­cate.

Félix Barrès et l’islam : se convertir un jour, s’en justifier toujours

L’is­lam peut aus­si revendi­quer de con­ver­tir dans toutes les couch­es de la société. Mais le musul­man d’adop­tion est sou­vent sus­pec­té : à peine musul­man, déjà fana­tique, c’est ain­si l’idée qui cir­cule sous le man­teau et sous les mots.

Au début du mois de jan­vi­er, la pub­li­ca­tion d’un roman fait l’événe­ment. Soumis­sion, de Michel Houelle­becq, appa­rait en nom­bre sur le comp­toir des libraires comme dans les médias. Moins pour ses qual­ités lit­téraires que pour l’ef­fet brûlot poli­tique, en revanche.

Le nar­ra­teur, François, uni­ver­si­taire, y fait le réc­it de son par­cours erra­tique dans la France de 2022, année d’élec­tion prési­den­tielle : un pays trou­blé par les ten­sions iden­ti­taires où l’al­ter­nance tra­di­tion­nelle ne sem­ble plus pos­si­ble tant les par­tis de gou­verne­ment sem­blent dépassés, impuissants.

Le leader d’un par­ti ten­ant d’un islamisme démoc­ra­tique l’emporte au sec­ond tour con­tre Marine Le Pen. La France se trans­forme, avec une rapid­ité et une facil­ité incroy­ables, en une République islamique. Le roman se clôt sur le mono­logue intérieur du nar­ra­teur qui pro­jette sa future con­ver­sion à l’is­lam, en par­tie pour épouser plusieurs femmes, retrou­ver un poste lucratif à la Sor­bonne mais aus­si met­tre fin à son manque de repères spirituels :

“La céré­monie de la con­ver­sion, en elle-même, serait très sim­ple ; elle se déroulerait prob­a­ble­ment à la Grande mosquée de Paris, c’é­tait plus pra­tique pour tout le monde. (…) Il y aurait d’ailleurs sans doute aus­si quelques fidèles ordi­naires, la mosquée n’é­tait pas fer­mée pour l’oc­ca­sion, c’é­tait un témoignage que je devais porter devant mes nou­veaux frères musul­mans, mes égaux devant Dieu. (…) dans une salle plus petite, ornée elle aus­si de mosaïques raf­finées, baignée d’un éclairage bleuté, je lais­serais l’eau tiède couler longue­ment, très longue­ment, sur mon corps jusqu’à ce que mon corps soit puri­fié. Je me rha­billerais ensuite, j’au­rais prévu des vête­ments neufs ; puis j’en­tr­erais dans la grande salle, dédiée au culte.”

Le silence se ferait autour de moi. Des images de con­stel­la­tions, de super­novas, de nébuleuses spi­rales me tra­verseraient l’e­sprit ; des images de sources aus­si, de déserts minéraux et invi­o­lés, de grandes forêts presque vierges ; peu à peu, je me pénétr­erais de la grandeur de l’or­dre cos­mique. Puis, d’une voix calme, je pronon­cerais la for­mule suiv­ante, que j’au­rais phoné­tique­ment apprise : “Ach-Hadou ane la ilâha illa lahou wa ach hadou anna Mouhamadane ras­souloul­lahi.” Ce qui sig­nifi­ait, exacte­ment : “Je témoigne qu’il n’y a d’autre divinité que Dieu, et que Mahomet est l’en­voyé de Dieu.” Et puis ce serait fini ; je serais, doré­na­vant, un musulman.

Félix Bar­rès est bien réel lui, et n’est décidé­ment pas un héros houelle­bec­quien. S’il choisit de se con­ver­tir, en 2012, ce n’est ni pour égay­er sa vie sen­ti­men­tale en la saupoudrant de polyg­a­mie  ni pour faciliter un quel­conque avance­ment, pas même pour combler un manque. Sim­ple­ment, cet ancien athée, ten­dance “bouf­feur de curé”, a rejoint l’Oum­ma, la com­mu­nauté islamique, après que des musul­mans de sa con­nais­sance lui eurent fait forte impres­sion sur le plan des valeurs.

Ce sont des ren­con­tres qui m’ont amené à la con­ver­sion, con­fie Félix Bar­rès. Des gens dont la pos­ture m’im­pres­sion­naient m’ont par­lé. Je me suis demandé ce qui fai­sait que ces per­son­nes m’im­pres­sion­naient. Je me suis ren­du compte que l’Is­lam leur appor­tait quelque chose et pou­vait m’ap­porter quelque chose à moi aus­si”.

La sim­plic­ité entourant la con­ver­sion de Félix Bar­rès, aujour­d’hui jour­nal­iste en Seine-Saint-Denis, croise la dif­fi­culté de “pass­er à l’is­lam” dans un pays où cette reli­gion est minori­taire et sus­cite la défiance.

Les exem­ples de con­ver­tis prenant les armes au nom de l’is­lam sont légion. Pierre Choulet est mort à 19 ans au nom d’Al­lah dans un atten­tat kamikaze à Bag­dad en févri­er, quelques mois après avoir quit­té ses études d’é­d­u­ca­teur sportif en STAPS. Evo­quer sa con­ver­sion musul­mane ne va pas de soi.

Le soci­o­logue Loïc Le Pape recadre le pro­pos. Pour lui, l’ac­tu­al­ité n’est pas seule respon­s­able de ces com­pli­ca­tions. “La honte, la gêne ne sont pas nou­velles. Il s’ag­it même d’un invari­ant de la con­ver­sion, car on entre dans un sys­tème cul­turel qui n’est pas le nôtre.

Félix Bar­rès est né dans une famille chré­ti­enne, au moins sur le papi­er. Pour­tant, l’an­nonce de sa con­ver­sion a soulevé quelques vagues : “Ma famille ce sont des gens de gauche qui se dis­ent ouverts. Mais là, ils ont été con­fron­tés à quelque chose qui n’est pas exprimé mais qui court dans la société : la peur de l’is­lam.

A l’ouest, rien de nou­veau. Fin des années 70 : la con­ver­sion du musi­cien Cat Stevens à l’is­lam créé la polémique en occi­dent. Après avoir échap­pé in extrem­is à la noy­ade, le chanteur se tourne vers la foi de Mahomet, prend le nom de Yusuf Islam et délaisse même la musique pen­dant plusieurs décen­nies. Lorsqu’il relance sa car­rière en 2000, les pre­miers cou­plets qui lui vien­nent célèbrent sa croyance.

Il est des ques­tions que l’époque impose. Se con­ver­tir à l’is­lam au XXIème siè­cle oblige à réfléchir au jihad, cette “guerre sainte”, ce “com­bat dans le sen­tier de Dieu” dont par­le le Coran à plusieurs repris­es.  Mais les mul­ti­ples occur­rences du terme dans le texte ména­gent sus­pens et ambiguïté.

Pour une frange de la com­mu­nauté musul­mane, le jihad con­siste à ren­dre coup pour coup quand l’is­lam est attaqué, selon les plus rad­i­caux, il s’ag­it d’une guerre de con­quête quand pour d’autres, les plus nom­breux, il faut y voir une dis­ci­pline spir­ituelle per­me­t­tant au fidèle de puri­fi­er son âme pour se ren­dre acces­si­ble à la jus­tice, à la bon­té et digne de Dieu. Félix Bar­rès appar­tient à cette dernière catégorie.

L’is­lam séduit par la “puis­sance” de son mes­sage. Cette reli­gion est uni­verselle, au sens où elle puise dans les deux monothéismes qui l’ont précédé. Elle en revendique la fil­i­a­tion. Les Evangiles et le Pen­ta­teuque (les cinq pre­miers livres de l’An­cien Tes­ta­ment) sont ain­si recon­nus comme des textes saints, cadeaux offerts par Dieu aux hommes, et les pro­tag­o­nistes bibliques don­nés en exem­ple par le Coran sont innom­brables : en vrac, Noé, Abra­ham, Sara, Isaac, Ismaël, Moïse, Elie, Jean-le-Bap­tiste, Marie, Jésus. Islam, chris­tian­isme et judaïsme ont de nom­breuses fig­ures en partage.

Olivier Müller et le judaïsme : “Je me suis fait un devoir de ramasser ce flambeau”

Mais le judaïsme, pre­mier des monothéismes, est aus­si le plus mys­térieux au chapitre de la con­ver­sion. Nous avons ren­con­tré Olivi­er Müller, un homme dont l’it­inéraire illus­tre la com­plex­ité de la démarche. Jeune adulte, il a redé­cou­vert et embrassé la reli­gion d’Abraham.

Une idée reçue colle à la reli­gion juive. Seul grand monothéisme non prosé­lyte, le judaïsme serait inc­on­cil­i­able avec la con­ver­sion. Pour­tant, le Livre de Ruth, au sein de la Torah, est le réc­it d’une conversion.

Ruth vit au pays de Moab, à l’est du Jour­dain, c’est-à-dire sur le ter­ri­toire de la Jor­danie actuelle. Elle ne fait donc pas par­tie du peu­ple d’Is­raël. Après la mort de son mari, elle décide de suiv­re sa belle-mère, Noémie, juive, qui décide de retrou­ver les siens. Ruth part donc en Israël et prend la reli­gion de la mère de son défunt mari. Là-bas, elle épousera Booz en sec­on­des noces, un épisode qui inspir­era à Vic­tor Hugo l’un de ses plus beaux poèmes. La Bible, quant à elle, dépeint ain­si le choix de Ruth :

Chapitre I

  1. Noémie dit à Ruth : « Voici que ta belle-sœur s’en est retournée vers son peu­ple et vers son dieu ; retourne avec ta belle-sœur. »
  2. Ruth répon­dit : « Ne me presse pas de te laiss­er en m’en retour­nant loin de toi. Où tu iras, j’irai  ; où tu demeur­eras, je demeur­erai ; ton peu­ple sera mon peu­ple, et ton Dieu sera mon Dieu ;
  3. Où tu mour­ras, je mour­rai et j’y serai ensevelie. Que Yah­weh me traite dans toute sa rigueur, si autre chose que la mort me sépare de toi ! »
  4. Voy­ant que Ruth était décidée à l’accompagner, Noémie ces­sa ses instances

(…)

(Au chapitre 4, Booz épouse Ruth et demande au peu­ple d’Is­raël de recon­naître l’union.)

  1. Tout le peu­ple qui était à la porte et les anciens dirent : « Nous en sommes témoins. Que Yah­weh rende la femme qui entre dans ta mai­son sem­blable à Rachel et à Lia, qui toutes les deux ont bâti la mai­son d’Israël ! Sois fort dans Ephra­ta, et fais-toi un nom dans Bethléem !

  2. Puisse ta mai­son être sem­blable à la mai­son de Pharès, — que Thamar enfan­ta à Juda, — par la postérité que Yah­weh te don­nera de cette jeune femme ! »

  3. Booz prit Ruth, et elle fut sa femme, et il alla vers elle. Yah­weh don­na à Ruth de con­cevoir, et elle enfan­ta un fils.

“Les amis de Ruth”, c’est le nom de l’as­so­ci­a­tion qu’O­livi­er Müller a créée en 2008 pour guider les non-juifs en voie de conversion.

Nous le ren­con­trons dans un restau­rant proche du min­istère de l’A­gri­cul­ture où il tra­vaille comme respon­s­able tech­nique. Celui qui a renoué le lien avec le judaïsme à l’âge adulte pour l’amour d’une femme détaille les buts pour­suiv­is par cette asso­ci­a­tion qui a aujour­d’hui cessé d’ex­is­ter : accueil­lir, sor­tir d’af­faires des futurs con­ver­tis peu au fait des sub­til­ités, qui sont autant de pièges, d’une tra­di­tion plusieurs fois millénaire.

Les con­ver­tis ne peu­vent plus manger chez leurs par­ents pour respecter les lois de la Cach­er­out (lois ali­men­taires du judaïsme) car ils ne peu­vent ni manger le con­tenu ni dans les assi­ettes qu’on vous présente” note Olivi­er Müller.

La légende ne dit pas si la chanteuse Madon­na a arrêté de manger chez mon­sieur et madame Cic­cone, après sa con­ver­sion au judaïsme au milieu des années 90. Celle qui est dev­enue l’artiste fémi­nine qui a con­nu le plus grand suc­cès com­mer­cial est née catholique, au sein d’une famille d’o­rig­ine ital­i­enne. La quar­an­taine approchant, l’au­ra ésotérique entourant la Kab­bale, une inter­pré­ta­tion mys­tique de l’An­cien Tes­ta­ment, l’a séduite.

Une con­ver­sion qui a inspiré cer­taines chan­sons de son album Ray of Light, pro­duit en 1998, qui mêle à cet hom­mage au judaïsme des références au Boud­dhisme et à la cul­ture yoga sur fond d’in­stru­men­ta­tion dance amphé­t­a­m­inée. Pour la cohérence, on repassera :

Des stars plané­taires en mal de spir­i­tu­al­ité, Olivi­er Müller n’en a pas croisées. En revanche, il dresse la typolo­gie des deux grandes caté­gories de con­ver­tis au judaïsme : d’un côté, ceux qui veu­lent sauter le pas par “pure idéolo­gie”, qui trou­vent auprès de la reli­gion juive les répons­es aux ques­tion­nements sus­cités par les mal­heurs et la marche du monde ; de l’autre, ceux qui souhait­ent se con­ver­tir pour se mari­er avec leur con­joint juif.

Les rab­bins goû­tent assez peu ces ral­liements “intéressés”, fussent-ils inspirés par l’amour. En out­re, le judaïsme n’est pas prosé­lyte, il ne cherche pas à brass­er large. Il s’adresse à un peu­ple choisi par Dieu à l’o­rig­ine de l’humanité.

For­cé­ment, la facil­ité à se con­ver­tir s’en ressent et la durée du proces­sus est aus­si longue que vari­able : comptez six mois d’ap­pren­tis­sage pour la branche libérale, et jusqu’à qua­tre ans chez les juifs ortho­doxe. Partout, l’ac­cent est mis sur la sincérité de la démarche.

Mais Olivi­er Müller qui en est passé par ce chem­ine­ment rap­pelle que l’ad­hé­sion au judaïsme n’est pas un cal­vaire ni une his­toire d’élitisme : “La con­ver­sion m’a per­mis deux choses : don­ner une cohérence à ce monde, définir le sens de mon action”.

Le judaïsme n’est pas une course en soli­taire. Qu’on reçoive Yahvé à la nais­sance ou qu’on le recon­naisse par la con­ver­sion, être juif c’est aus­si s’en­racin­er dans une his­toire au long cours. De la sor­tie d’E­gypte aux atroc­ités du XXème siè­cle, en pas­sant par la Dias­po­ra, la judaïté est une geste famil­iale, une fil­i­a­tion dont le flam­beau se trans­met à la généra­tion suiv­ante. Le tout en défi­ant les siè­cles et la géographie.

Olivi­er Müller a trou­vé ce flam­beau dans sa famille, mais per­son­ne ne le lui a remis. Ses deux grands-pères juifs ayant épousé deux femmes qui ne l’é­taient pas, la flamme a bien fail­li s’éteindre.

Aus­si dif­férents que soient les exem­ples four­nis par Olivi­er Müller, Felix Bar­rès ou encore Jean-Pierre Rosa, le fond de l’air gon­fle leurs voiles. L’époque remet en avant les ques­tions liées à la foi. “On devrait moins par­ler du retour du religieux que du retour du refoulé”, sourit Jean-Pierre Rosa, évo­quant ce qu’il voit comme la fin d’une illu­sion : celle qui pré­tendait, selon lui, rem­plac­er défini­tive­ment les cieux divins par le ciel des idées, l’om­nipo­tence de Dieu par la toute-puis­sance de la science.

Si cette ten­dance se véri­fie, les rangs des con­ver­tis devraient encore s’é­pais­sir. Se con­ver­tir c’est non seule­ment faire la con­nais­sance d’un Dieu auquel on n’avait pas été présen­té mais aus­si aller à la ren­con­tre d’une cul­ture, d’une tra­di­tion et d’un sys­tème de pen­sée qu’on pense à même de lever les points d’in­ter­ro­ga­tion sus­cités par les mal­heurs ou la bizarrerie des temps. Et vis­i­ble­ment, le monde ne pose pas moins de ques­tions aujour­d’hui qu’hier.

Pho­to de cou­ver­ture : La Con­ver­sion de Saint-Paul, mosaïque dans l’ab­baye de West­min­ster à Lon­dres (Lawrence OP / Cre­ative Commons)