La solution pour que cessent les drames des migrants disparus en mer ? “Le traitement du dossier libyen”, a martelé le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, interrogé hier matin sur Europe 1. C’est en effet le point commun des naufrages des dernières semaines : tous deux sont survenus au large des côtes libyennes. En 2014, plus de 110 000 migrants sont passés par ce pays selon l’Organisation des nations unies. Comment la Libye est-elle devenue la porte d’entrée vers l’Europe et la base arrière des passeurs et des trafiquants de clandestins ? On vous explique.
- Une situation géographique privilégiée
La proximité de la Libye avec l’Europe en fait un point d’entrée privilégié des migrants africains vers le Vieux continent. Lampedusa, l’île italienne où débarquent chaque année des milliers de clandestins ne se situe en effet qu’à 300 kilomètres de la Libye. Le pays possède un littoral et un territoire très étendus : 1 770 kilomètres de côtes auxquels s’ajoutent 5 000 kilomètres de frontières terrestres avec six pays : la Tunisie, l’Algérie, le Niger, le Soudan, le Tchad et l’Egypte. Autant de points de passage possibles dans des zones poreuses, désertiques et peu peuplées pour des migrants venus de toute l’Afrique.
La carte ci-dessus représente les trois principaux couloirs de migrations entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe. Les données utilisées, pour arriver à ce résultat, sont celles de l’enquête de The migrant files. Cette base de données est non exhaustive.
- Un Etat failli en instabilité politique
La situation politique en Libye était au coeur des discussions des commissaires européens lundi 20 avril. Car le pays vit, depuis la révolution de 2011, un véritable chaos institutionnel. Littéralement divisée en deux, la Libye est écartelée entre deux parlements qui se disputent la légitimité politique. L’assemblée reconnue par la communauté internationale, la Chambre des représentants, s’est formée suite aux élections de juin 2014. Elle siège à Tobrouk depuis août 2014 pour fuir les violences à Benghazi et Tripoli, la capitale. A Tripoli, l’autre parlement, le Congrès national, majoritairement composé d’islamistes des Frères musulmans, continue son travail malgré l’arrêt de son mandat en juin dernier. La confusion règne désormais à la tête de cet Etat bicéphale où les milices se livrent une guerre sans merci depuis la chute du colonel Mouammar Kadhafi en 2011. Ces brigades islamistes, formées pendant l’insurrection de 2011, n’ont été ni désarmées ni dissoutes pendant la transition et sèment aujourd’hui la panique en Libye.
Avant la révolution de 2011, la Libye de Kadhafi utilisait l’immigration comme un moyen de pression sur l’Europe, contrôlant le flux des migrants au gré de ses relations avec les pays occidentaux, particulièrement son ancienne puissance coloniale, l’Italie. Le colonel Kadhafi réclamait alors cinq milliards d’euros par an à l’Union européenne pour pouvoir surveiller ses frontières et lutter contre l’immigration. Depuis la chute du colonel, la guerre des clans et la confusion institutionnelle qui règnent compliquent la situation des migrants, toujours plus précaires et menacés avant même d’embarquer vers l’Europe. La plage de Garabulli, d’où est parti le chalutier naufragé dimanche, avait été le théâtre, quelques jours plus tôt, d’affrontements entre milices ennemies selon Le Monde Afrique.
- Un chaos qui profite aux passeurs
La faiblesse de l’Etat en Libye crée un environnement favorable à la traite des êtres humains et laisse les frontières pratiquement sans contrôle. “Il est donc devenu beaucoup plus facile pour les trafiquants d’acheminer les migrants à travers le pays sans police ou l’armée pour les arrêter”, explique à l’AFP Issandr El Amrani, directeur Afrique du Nord à Crisis Group. Le gouvernement de transition formé après la chute de Mouammar Kadhafi a même délégué ses fonctions de contrôle aux frontières à certaines milices chargées de tenir des check-points. Des experts estiment que ces mêmes miliciens, payés et équipés par l’Etat, s’adonnent au trafic de clandestins.
L’imbroglio mafieux dans le pays profite également à l’organisation Etat islamique. Sa “franchise” libyenne a pris le contrôle de la région de Syrte, à 450 kilomètres de Tripoli. Le groupe terroriste est donc un nouvel obstacle sur la route des migrants qui transitent par la Libye pour rejoindre l’Europe. Dimanche 19 avril, les jihadistes ont diffusé une nouvelle vidéo montrant la décapitation en Libye de 28 chrétiens éthiopiens candidats à l’exil.
- L’intervention militaire en question
Les chefs d’état-major des pays membres de la Ligue arabe réunis mercredi 22 avril au Caire ont évoqué la possibilité d’une intervention militaire en Libye. L’Egypte y est particulièrement favorable afin de lutter contre la branche locale de l’organisation Etat islamique. Le 16 février dernier, des bombardements de l’armée égyptienne avaient déjà eu lieu sur les positions libyennes de l’EI suite au massacre de 20 coptes égyptiens par les jihadistes.
Côté européen, si une intervention militaire n’est pour l’instant pas envisagée, le président du Conseil italien, Matteo Renzi, a évoqué mardi 21 avril la possibilité de “frappes ciblées” afin de détruire “un racket criminel” des migrants. La désorganisation politique en Libye complique une possible intervention militaire. “Il n’est pas envisageable d’envoyer de force de stabilisation en l’absence d’un accord entre les deux principales coalitions actuellement en guerre en Libye”, analyse Matteo Toaldia, spécialiste de la Libye, sur le site du Conseil européen des relations internationales.