Justice

“Dans les vidéos on les voit mourir avec le sourire, c’est beau”

Les candidats au jihad existaient avant le recrutement massif du groupe État islamique. Face à ce phénomène, la réponse pénale s'est durcie depuis l'affaire Merah. Cas concret autour du procès d'un aspirant moujahid "repenti".

Un beau jour de juil­let 2011, “sur un coup de tête”, Mourad M. prend un bil­let pour la Turquie avec l’idée de rejoin­dre la province pak­istanaise du Waziris­tan, à la fron­tière avec l’Afghanistan. À l’époque, c’est vers ces zones de guerre que con­ver­gent les aspi­rants jhadistes. Ceux-là veu­lent pren­dre les armes aux côtés des mou­jahidin, les com­bat­tants islamistes, con­tre la coali­tion inter­na­tionale menée par les américains.

Leurs tra­jec­toires font échos aux départs actuels de jeunes Français vers la Syrie et l’I­rak. Avec leur lot de retours et la ques­tion tou­jours reposée de la réponse pénale à y don­ner, entre mesures de sécu­rité néces­saires et risques liberticides.

Mourad M. a 24 ans fait une ten­ta­tive avortée. Elle ne le mène pas plus loin que l’I­ran et il ren­tre volon­taire­ment en France, près de Saint-Tropez. Mais ses con­tacts avec des gros bon­nets du ter­ror­isme et un deux­ième départ en Ana­tolie quelques mois plus tard — “pour vivre dans un pays musul­man”, explique-t-il — l’ac­ca­blent aux yeux de la jus­tice française. Il com­para­is­sait jeu­di devant le tri­bunal cor­rec­tion­nel de Paris pour “par­tic­i­pa­tion à une asso­ci­a­tion de mal­fai­teurs en vue de la pré­pa­ra­tion d’un acte de terrorisme”.

La figure du repenti qui assume

Alors oui, il n’a rien fait. Pour autant, cet homme de 28 ans, rasé de près et vis­age émacié, tient-il plus du paumé ou du dan­ger pour la sécu­rité intérieure ? La ques­tion est en sus­pens pen­dant les deux heures que dure l’au­di­tion. Elle prend des airs de con­seil de discipline.

Les ques­tions que le tri­bunal vous pose n’ont pas d’autre intérêt que de com­pren­dre, insiste à un moment l’une des juges en appuyant le dernier mot.

Quand cer­tains jus­ti­fient leurs voy­ages par des motifs touris­tiques ou human­i­taires, le jeune homme de 28 ans, qui se présente en repen­ti, assume ses inten­tions antérieures. Devant les juges, c’est un prévenu très calme qui décline ces pro­jets d’il y a 3 ans. Il évoque ses con­tacts, ses des­ti­na­tions et ses ren­con­tres, pen­dant que la prési­dente se perd dans le dossier abyssal qui con­tient ses nom­breuses con­ver­sa­tions spir­ituel­lo-guer­rière sur Inter­net. Échange entre le pro­cureur et Mourad :

“Vous y alliez pour quoi ?

- Pour com­bat­tre”, répond-t-il, sere­ine­ment, sans mar­que de fierté ou de honte par­ti­c­ulière.

Il espère alors mourir en martyr :

“Quand on voit les vidéos, les gens meurent avec le sourire, c’est beau”

Le jihad à la carte

Dans son dis­cours, il con­tin­ue à dis­tinguer les ambi­tions belliqueuses des actions ter­ror­istes et des atten­tats qui ont frap­pé et frap­pent encore la région :

“Je n’ai rien à voir avec ça. Je n’é­tais pas dans une démarche de haine.

- Il y avait encore des français en Afghanistan à cette époque, fait remar­quer la juge.

- Je n’ai rien con­tre la France, mais au com­bat, je ne vais pas vous men­tir, je me serais battu.”

Plus tard, inter­rogé par le pro­cureur sur la pra­tique des attentats :

“S’ils m’avaient demandé de ren­tr­er en France faire quelque chose, je n’au­rais jamais accepté.

- Vous allez me dire que vous alliez faire un jihad à la carte ? Que vous auriez dit à un émir ‘moi je ne fais pas ça’.”

 

Si sa déci­sion de par­tir est impul­sive, elle est l’aboutisse­ment de mois d’ “auto endoc­trine­ment” sur Inter­net, pour repren­dre les mots de la défense. Sur son ordi­na­teur, des traces des vidéos vio­lentes, des con­sul­ta­tions de sites jihadistes, beau­coup d’échanges par tchat avec d’autres musul­mans intéressés comme lui par la guerre sainte.

“Vous par­lez du Waziris­tan comme d’un lieu ordi­naire alors que c’est une zone de com­bat, s’é­tonne la juge.

- C’est un endroit ordi­naire quand on est dans cette optique. C’est même mieux qu’or­di­naire, après il y a le paradis.”

“Ça me faisait peur”

Mais le Français n’est vraisem­blable­ment pas prêt. À Tra­b­zon, sur la mer Morte, il se pro­cure un passe­port pour l’I­ran. Or le tra­jet en bus jusque Téhéran sem­ble le refroidir : “C’é­tait une cat­a­stro­phe. Les gens me regar­daient bizarrement parce que je suis de type arabo­phone. Ça me fai­sait peur.” Il revient sur ses pas dans les 48h. Tra­b­zon, Istan­bul et retour à la case départ. En sep­tem­bre il repart pour Tra­b­zon, pour s’in­staller cette fois. Mais il est inter­pel­lé par la police turque et con­traint de ren­tr­er. “Une claque” qui lui a passé l’en­vie de repar­tir, affirme-t-il.

Pour­tant une fois en France, il con­tin­ue à échang­er avec “(ses) amis d’In­ter­net”, à par­ler de jihad :

“C’é­tait comme une drogue. Je ne voulais plus y aller mais j’é­tais encore dans le délire. Il y a peut-être un peu d’é­go, je ne voulais pas pass­er pour un dégonflé.”

En sep­tem­bre, il est placé en garde à vue en France, soupçon­né d’avoir activé des cel­lules ter­ror­istes en Turquie et en Iran.

“Avant, on les regardait plus comme des pauvres types”

Sous son chef d’ac­cu­sa­tion, le jeune homme risque jusqu’à 10 ans de prison et pour­tant il com­para­it libre. L’ap­proche juridique de ces cas lim­ites, avec des inten­tions belliqueuses mais sans pas­sage à l’acte, a évolué explique son avo­cate, maître Arfi :

“Mon client n’a jamais fait de déten­tion. En 2011 il y avait encore des con­trôles judi­ci­aires. Aujour­d’hui ce serait inimag­in­able, les per­son­nes qui ont ce genre de pro­fils sont sys­té­ma­tique­ment incarcérées.”

La pénal­iste traite actuelle­ment une dizaine de dossiers, plus ou moins récents, en lien avec le jihadisme. Pour elle ce n’est pas tant la loi anti-ter­ror­isme de novem­bre 2014 qui a changé la donne que l’af­faire Mohamed Mer­ah, en 2012. Le tueur de Toulouse et Mon­tauban, “loup soli­taire” qui n’agis­sait pas sous la com­mande d’une organ­i­sa­tion ter­ror­iste, s’é­tait préal­able­ment entraîné au Waziristan.

Soli­taire, Mourad ne l’est pas dans le box en tout cas. Ils étaient trois à com­para­ître ce jeu­di. L’av­o­cate de Mourad le présente comme une pièce rap­portée et évoque le cas des autres prévenus : “Ce sont des par­cours indi­vidu­els. Ils étaient en con­tact mais se con­nais­saient très peu. Et on les a qual­i­fiés d’as­so­ci­a­tion de malfaiteurs.”

Une défense comme adressée à tous ces appren­tis jihadistes, arrivés à mi-chemin de la guerre sans avoir tué per­son­ne. L’av­o­cate observe :

“Avant on les regar­dait plus comme des pau­vres types.”

Pho­to d’en-tête : Palais de jus­tice de Paris (Juli­ette Harau / CFJ)